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La Chine entend désormais baisser ses barrières douanières pour tout le monde. Merci qui ?
©MIKE HUTCHINGS / POOL / AFP

Guerre commerciale

Selon Bloomberg, la Chine envisagerait une réduction généralisée de ses protections douanières. Une conséquence positive de la guerre commerciale menée par Donald Trump ?

Jean-Marc Siroën

Jean-Marc Siroën

Jean-Marc Siroën est professeur émérite d'économie à l'Université PSL-Dauphine. Il est spécialiste d’économie internationale et a publié de nombreux ouvrages et articles sur la mondialisation. Il est également l'auteur d'un récit romancé (en trois tomes) autour de l'économiste J.M. Keynes : "Mr Keynes et les extravagants". Site : www.jean-marcsiroen.dauphine.fr

 

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Atlantico : Selon des informations révélées par Bloomberg, les autorités chinoises envisageraient de réduire les barrières douanières du pays sur les importations de la majorité de ses partenaires commerciaux, dans un contexte de durcissement de la guerre commerciale avec les Etats-Unis. Faut-il voir ici une volonté de Pékin de tenter la désescalade avec Washington ? Dans quelle mesure Donald Trump pourrait y voir une victoire politique ? 

Jean-Marc Siroën : Rien n'est confirmé et il faut donc rester très prudent. On ne sait rien d'ailleurs des produits qui bénéficieraient de la baisse des droits de douane alors même que pour certains produits les droits dépassent 60%. Malgré ces pics, les tarifs chinois sont de 5,2% en moyenne (en pondérant par la valeur des produits importés) contre 2,4% aux Etats-Unis et 3% dans l'Union européenne. À titre de comparaison, depuis 6 mois, la monnaie chinoise, le renminbi, a chuté de 9% par rapport au dollar. Les taux de change ont donc un impact sur le commerce plus important que les droits de douane. De plus, la Chine exonère de droits de douane les intrants importés (biens intermédiaires ou d'équipement) transformés ou utilisés dans des zones franches d'exportation -notamment les "zones économiques spéciales"- dont la plus connue est Shenzhen. Enfin, depuis un an, la Chine a déjà réduit ses droits sur un certain nombre de produits de consommation. Bref, si une nouvelle baisse se confirmait, il ne faudrait pas donner à cette décision une importance qu'elle n'a pas. 

Faut-il voir dans cette décision une victoire de Donald Trump dans sa guerre commerciale contre la Chine ? On peut en douter dans la mesure où les Etats-Unis ne justifient par leurs mesures de représailles (dont les nouveaux tarifs imposés en septembre sur 200 milliards d'importations américaines en provenance de Chine) par les droits de douane excessifs qui seraient imposés par la Chine, mais par les pratiques "déraisonnables, injustifiables et discriminatoire" de ce pays c'est-à-dire, en l'occurrence, le transfert "forcé" de technologie imposé aux firmes qui investissent en Chine, l'acquisition de firmes américaines pour mieux "piller" leur savoir-faire ou, enfin, l'intrusion dans les réseaux informatiques commerciaux américains afin d'obtenir un accès non autorisé aux données. 

Dès lors, si la Chine ne cède rien sur ces questions, Donald Trump pourrait difficilement crier victoire et il se déconsidérerait en levant ses sanctions sans avoir obtenu ce qu'il voulait : protéger les monopoles technologiques des Etats-Unis.  

Pour Donald Trump, cibler sur les transferts de technologie était pourtant assez habile. D'une part, si la Chine porte plainte à l'OMC, son succès n'est pas acquis. Les sanctions unilatérales sont certes prohibées, mais les pratiques mises en cause ne relèvent pas clairement de la compétence de l'organe de règlement des différends de l'OMC. D'autre part, les reproches américains sont largement partagés par d'autres et notamment par l'Union européenne ce qui, pour les Etats-Unis enfoncerait opportunément un coin dans leur possible alliance avec la puissance chinoise.

L'initiative chinoise, doit donc plutôt être replacée dans cette perspective. C'est une contre-offensive qui n'est pas moins habile que l'offensive américaine sans être pourtant assurée de la victoire. Si la baisse des droits était confirmée, elle devrait conforter l'image d'une Chine, grand défenseur du libre-échange et potentiel leader d'un multilatéralisme rénové qui suppléerait aux défaillances de l'ancienne hégémonie … Dans la grande bataille que les deux puissances se livrent, la Chine ne bat pas en retraite, elle contourne l'armée adverse dans l'espoir de pouvoir ensuite l'encercler.

Ne peut-on pas voir l'esquisse d'une "solution" gagnant qui permettrait à la Chine de remplir son objectif de rééquilibrer sa croissance en s'appuyant sur sa demande intérieure, et par ricochet, d'augmenter ses importations en provenance des Etats-Unis ? 

Pour les raisons exposées précédemment, je doute que la Chine pense que ses concessions sur les tarifs convaincront les Etats-Unis de lever les sanctions. Dès lors, la Chine pourrait très bien abaisser ses tarifs "normaux" -c'est-à-dire ses tarifs "nation la plus favorisée" qui s'appliquent à tous, y compris aux Etats-Unis, tout en conservant ses surtaxes qui elles, ne viseraient que les importations américaines. Les Etats-Unis ne profiteraient donc pas de la baisse des tarifs chinois. 

Tant que l'on ignore la liste des produits concernés il est hasardeux de surinterpréter les intentions chinoises. Si l'intérêt de la Chine est de réduire unilatéralement ses tarifs pourquoi ne l'a-t-elle pas fait plus tôt ? Peut-être attendait-elle une réciprocité dans le cadre des négociations à l'OMC, mais comme celles-ci n'ont jamais abouti il est possible que la Chine adopte aujourd'hui une stratégie différente, en se posant comme leader bienveillant prêt à faire des sacrifices pour le bien de l'humanité… 

Il est vrai que, depuis plusieurs années, la Chine tente avec un succès mitigé de réorienter son modèle en le rendant moins dépendant des exportations. La demande intérieure devrait alors se substituer, au moins partiellement, à la demande extérieure comme moteur de la croissance. La baisse des droits de douane favoriserait cette réorientation vers la consommation intérieure surtout si la baisse porte sur des produits alimentaires ou textiles dont certains d'entre eux sont fortement taxés. Mais les entreprises qui produisent pour le marché intérieur pourraient également gagner si les réductions devaient porter sur les intrants importés, agricoles ou industriels. Les conséquences pourraient être assez importantes car en réduisant l'avantage des zones franches d'exportation qui bénéficient déjà d'exonérations tarifaires, l'industrie chinoise connaitrait une petite révolution. 

Qu'est-ce que l'Europe aurait à apprendre d'un tel mouvement, si celui-ci venait à se réaliser ? 

Il est encore trop tôt pour déchiffrer les intentions chinoises et donc les enseignements que pourrait en tirer l'Europe. S'agit-il de céder aux pressions américaines ce qui l'affaiblirait ou, comme je le crois plus vraisemblable, de renforcer une alliance de fait entre les deux plus grandes puissances commerciales que sont la Chine et l'Union européenne ? Si la Chine abaisse ses tarifs mais maintient ses surtaxes sur les importations en provenance d'Amérique, l'Union Européenne et les "grands" asiatiques (Japon, Corée) pourraient être les grands gagnants de la riposte chinoise. 

L'Union européenne a d'ailleurs fait une proposition similaire sur les droits de douane imposés aux automobiles importées qui, elle, était une réponse directe aux menaces américaines. Pour respecter les règles de l'OMC, la suppression ou l'abaissement du tarif devrait s'appliquer, à tous les pays membres y compris la Chine et le Japon. Si les pays ripostaient aux douteuses "sanctions" américaines tout en ouvrant leurs importations aux autres pays, il se dessinerait alors un front "multilatéraliste" qui isolerait les Etats-Unis et éviterait, peut-être, l'escalade protectionniste…  La situation deviendrait alors intenable pour les Etats-Unis qui auraient perdu la guerre commerciale que Trump pensait facile à gagner. Je ne dis pas que ce scénario paradoxal et inédit soit assuré. Mais si ce n'est pas le plus probable, c'est celui qui à terme pourrait conduire à un bouleversement du système de gouvernance mondial.

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