Chine : Xi Jinping, tout puissant mais en situation délicate <!-- --> | Atlantico.fr
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Vladimir Poutine serre la main du président de la République populaire de Chine, Xi Jinping, lors d'une cérémonie au Conseil des chefs d'État de l'OCS, le 10 juin 2018.
Vladimir Poutine serre la main du président de la République populaire de Chine, Xi Jinping, lors d'une cérémonie au Conseil des chefs d'État de l'OCS, le 10 juin 2018.
©SERGUEÏ GUNEYEV / SPOUTNIK / AFP

Pouvoir chinois

Face aux défis internes et mondiaux, Xi Jinping est aujourd’hui dans une position difficile à tenir. Les Etats-Unis sont sortis d’une ère de naïveté à l’égard de la Chine et sont passés à l'offensive, prenant totalement de court Xi Jinping. Emmanuel Lincot et Emmanuel Véron viennent de publier « La Chine face au monde : une puissance résistible » aux éditions Capit Muscas.

Emmanuel Lincot

Emmanuel Lincot

Professeur à l'Institut Catholique de Paris, sinologue, Emmanuel Lincot est Chercheur-associé à l'Iris. Son dernier ouvrage « Le Très Grand Jeu : l’Asie centrale face à Pékin » est publié aux éditions du Cerf.

 

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Emmanuel Véron

Emmanuel Véron

Emmanuel Véron est géographe et spécialiste de la Chine contemporaine. Il a enseigné la géographie et la géopolitique de la Chine à l’INALCO de 2014 à 2018. Il est enseignant-chercheur associé à l'Ecole navale.

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Atlantico : Vous publiez « La Chine face au monde : une puissance résistible » aux éditions Capit Muscas. Sur fond de tensions sino-américaines aggravées par la crise sanitaire et de reprise en main du secteur du numérique, la Chine envisage d’interdire aux entreprises détenant trop de données sensibles de se coter aux États-Unis. Le gouvernement chinois a aussi l’intention de s'attaquer à la santé, aux services financiers ou encore aux transports. Cette intervention unilatérale du pouvoir sur ces marchés inquiète les investisseurs, notamment étrangers. Fin juillet, la brutale reprise en main de plusieurs sociétés chinoises cotées à l'étranger avait déjà fait chuter les indices boursiers chinois. Ce mouvement de mise au pas de pans entiers de certains secteurs économiques de la société chinoise est-il inéluctable et peut-il s’avérer contre-productif face aux ambitions de croissance et de développement de la Chine ?

Emmanuel Véron : Ces décisions renvoient à la perception (en partie réelle) que les dirigeants du Parti-Etat, Xi Jinping en tête se font de la Chine, des défis internes et mondiaux. En quelques sorte, Xi Jinping est aujourd’hui dans une position difficile à tenir, celle qui correspond à une certaine euphorie du développement des 30 dernières années et les conséquences de l’ouverture économique de la Chine, de son urbanisation accélérée et de l’industrialisation tous azimuts. Ces processus de modernisation du pays, de la société et dans une certaine mesure (de manière particulière) l’économie se sont fait par le recours à une corruption systémique, le sacrifice environnemental et humain. En plus des grands défis intérieurs classiques (démographie, dimension du pays, cataclysme, questions rurales etc.), s’est ajouté un spectre large de problèmes et de déséquilibres liés à l’insertion de la Chine dans la mondialisation (bulle immobilière, fuites de capitaux, dépendance aux marchés des pays développés et industrialisés etc.). Aussi, si hier, Pékin avait accumulé une réserve importante de devises utile pour l’investissement dans le développement du pays (plans de relance, infrastructures etc.), aujourd’hui ces réserves fondent véritablement, et pas seulement avec le ralentissement économique lié à la pandémie de Covid-19. Maintenir un effort budgétaire pour les modernisations militaires, mais aussi pour les grands travaux à l’Ouest, le développement de la R&D pour concurrencer les Etats-Unis dans les technologies de rupture, sans évoquer les plans pour les personnes âgées, l’éducation, et le coût d’une diplomatie au réseau très important sera difficilement tenable sur dix ans.

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La reprise en main par le régime du secteur privé répond en partie à ces problématiques à la fois financière et de contrôle toujours plus fort des activités lui échappant. La mise à pied récente de l’industriel Jack Ma rappelle toutefois que nul n’est à l’abri d’une mise à l’index, la peur conditionnant les réflexes d’un comportement social correspondant à des normes escomptées. Le mythe du tout technologique rencontre de très sérieuses limites malgré des capacités d’adaptation et des performances bien réelles. Premier indicateur en cette période post-Covid-19 : la consommation des ménages n'est pas au rendez-vous. La majorité des Chinois épargne, car l'avenir est incertain. Second indicateur : le découplage industriel déjà en cours, annoncé par le Japon et les Etats-Unis, représente un vrai dilemme pour les autorités chinoises dans le domaine de la high tech. Les difficultés, voire l’impossibilité de la Chine a formé une véritable classe moyenne atteignant le niveau de consommation intérieure souhaitée ne feront que se cristalliser dans la prochaine décennie. Ainsi, les objectifs du régime pour 2035, a fortiori pour 2049 ne seront pas réalisables.

Emmanuel Lincot : Les décisions prises par le Parti-Etat relèvent de choix idéologiques avec un virage à gauche, condamnant les plus nantis et ce, au nom de la « prospérité commune » et de la redistribution. La traditionnelle « conférence de Beidahe » (Beidahe huiyi) réunissant les caciques du régime, et qui s’est tenue il y a quelques semaines, semble avoir montré que cette politique initiée par Xi Jinping est loin de susciter l’unanimité au sein du politburo.  Le Chef de l’Etat est dans une passe difficile. Se mettant à dos l’industriel Jack Ma mais aussi une partie de l’armée, sa politique économique est en rupture totale avec l’héritage de Deng Xiaoping. Ce repli va paradoxalement de pair avec une volonté de poursuivre une stratégie jugée de plus en plus téméraire pour ne pas dire suicidaire, celle des Nouvelles Routes de la Soie et des largesses que la Chine se dirait prête à prodiguer à l’Afghanistan notamment. La conjoncture, défavorable s’il en est, montre par ailleurs une hostilité grandissante des Etats-Unis et de l’Union Européenne tant sur le plan industriel (avec un gel des accords sur les investissements signé entre Bruxelles et Pékin, le 30 décembre dernier…) que politique ; le choix de certains pays membres de se rapprocher davantage de l’« autre » Chine, Taïwan, étant en cela révélateur de tendances neuves. La Chine est donc à un tournant de son histoire comme nous le montrons dans notre dernier livre et ce que l’on peut dire avec certitude c’est que la croyance néo-libérale selon laquelle le développement économique, seul, amènerait la Chine à se démocratiser est morte avec la pandémie. L’Occident et surtout les Etats-Unis sont sortis d’une ère de naïveté à l’égard de la Chine et sont passés à un degré d’offensivité qui prend totalement de court Xi Jinping.

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Après avoir durci le ton face aux géants chinois de la tech, l'exécutif chinois veut également serrer la vis aux entreprises de soutien scolaire, un secteur dynamique et dont certains groupes sont cotés à New-York. Les autorités chinoises ont aussi décidé depuis quelques mois de racheter certaines écoles privées. Une spectaculaire campagne de « rectification » dans le secteur du divertissement à destination des jeunes a également été menée. « Il faut fermement interdire le style des idoles efféminées », a décrété le pouvoir, le 2 septembre, accélérant son offensive contre les « célébrités vulgaires », accusées de dissiper une jeunesse qui doit renouer avec les fondamentaux du « socialisme » . Que cache cette reprise en main du secteur éducatif et du contrôle des modèles des jeunes ? Quelles pourraient être les conséquences de ces décisions liées à l’éducation et pour l’avenir de la jeunesse en Chine ?

Emmanuel Véron : Ces décisions vont dans le sens des processus évoqués plus haut. Aussi, en matière d’éducation et de société, le régime s’est lancé dans une nouvelle phase que certains observateurs appellent « nouvelle Révolution Culturelle ». Toutes proportions gardées et d’incompatibilités avec un pseudo parallélisme historique, ces mesures politiques posent la question de la nature du régime aujourd’hui, son dessein de puissance mais aussi, de ce que j’appelle une forme de dislocation de la Chine, de sa société et de son économie du reste du monde, du système international. Il y a la fois un paradoxe et un dilemme. Un paradoxe d’abord. La Chine aspire à devenir la première puissance mondiale à l’horizon de la prochaine décennie ou de la suivante. Il est assez paradoxal d’être une puissance globale et en même temps de maintenir un niveau élevé de pression sur la société, voire de recul en matière d’ouverture et de liberté d’entreprendre, sans évoquer le formatage de la société par la propagande et la volonté d’adoration du chef suprême… C’est au contraire une marque de faiblesse. Le dilemme ensuite. La République populaire de Chine (RPC) a réussi un tour de force inédit dans l’histoire : un régime totalitaire puis autoritaire communiste se hissant seconde puissance économique mondiale. Cela a été rendu possible par une philosophie politique non seulement basée sur le sacrifice humain, écologique et économique, mais aussi par l’intelligence stratégique de dirigeants associant système autoritaire et ouverture économique partielle, soutenue par le Parti-Etat. Le système de Pékin a survécu à l’URSS et à sa disparition. N’en demeure pas moins que les autorités centrales craignent toujours un scénario similaire à l’implosion de l’Union soviétique. Si plusieurs spécialistes ont été tenté de miser sur l’effondrement du régime, depuis au moins la répression sanglante de la place Tian’anmen en 1989, la décennie 2020 sera sans aucun doute le temps de la remise en question de la crédibilité et de la légitimité de la puissance chinoise.

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Emmanuel Lincot : M’étant déjà exprimé sur ces différents sujets dans vos colonnes, je serai plus bref. En rappelant que cette radicalité du régime rencontre déjà des formes de résistance de la société civile. Résistance passive, c’est entendu, qui s’oppose à la performativité tant vantée par le régime et qui opte pour des choix de vie qui vont à l’encontre de ce volontarisme que semble vouloir incarner le régime. D’une part, parce que la croissance est moins au rendez-vous que la propagande ne le dit. D’autre part, parce que le chômage, le coût de la vie et l’explosion des loyers créent un divorce entre le pouvoir et l’opinion. Paradoxalement, la supposée atonie politique de la société chinoise, décrite comme telle depuis 1989, est entrain de disparaître au profit d’une politisation nouvelle du corps social. Et tout particulièrement chez les jeunes à qui l’on interdit toute forme d’exutoire. Interdiction de la pop, des jeux vidéo ; interdiction pour les parents de recourir à des cours privés alors que la scolarité est hyperconcurrentielle. Bref, Xi Jinping se fait des ennemis de l’intérieur et crée un malaise extrêmement délétère dans toute la société. Au moins, un « deal » avait été passé entre la société d’en haut et celle d’en bas durant ces quarante dernières années. Business as usual – le pouvoir gérant les affaires politiques, la société ayant la possibilité de consommer…Or, ce compromis n’est plus respecté et Xi Jinping revient à des formes très intrusives de gouvernance et de conditionnement politique que l’on croyait révolues. Là où les prédécesseurs de Xi Jinping avaient toléré un certain respect de la sphère privée et de l’intimité des familles en donnant l’illusion que le totalitarisme caractéristique du régime allait se dissoudre puis disparaître intégralement, le développement d’une cybercrature totale crée les ferments de sa propre décomposition. La Chine continentale est ainsi redevenue un laboratoire du pire. Hyper-répressif et irrespirable, le dispositif de contrôle mis en place par Xi Jinping en s’appuyant sur une technostructure ubiquiste tue toute possibilité d’épanouissement individuel et de créativité. 

Vous expliquez dans votre ouvrage que la Chine a rendu caducs tous les repères et les préjugés que nous avions encore il y a peu sur la gouvernance mondiale, sur les interactions qui se sont patiemment tissées entre la Chine et les pays du sud, mais aussi avec les puissances établies. L’image de la Chine auprès de ses partenaires privilégiés à l’étranger dans le cadre de la diplomatie chinoise, comme l’Inde, la Russie, l’Iran ou l’Arabie saoudite, a été sérieusement atteinte depuis le choc de la pandémie. La gestion de la Covid-19 par les autorités chinoises et l’opacité du régime vont-elles nuire aux futurs projets de la Chine et décrédibiliser son image auprès de ses partenaires étrangers ? Vous revenez notamment sur l’endettement qu’encourent des pays centrasiatiques ou africains concernant le projet des Nouvelles routes de la soie. La Chine va-t-elle persister dans sa radicalité ?

Emmanuel Véron : L’image négative de la Chine, en particulier du régime est au plus haut, mais rappelons le essentiellement dans les pays développés et industrialisés, autrement dit large partie de l’occident et des pays d’Asie du Nord-Est (Japon et Corée du Sud). Si cette tendance (forte) est aussi bien réelle dans la plupart des Etats en développement, les opinions sont assez versatiles et polarisées par d’un côté la fin du monopole de l’Occident dans les affaires du monde et de l’autre par les possibilités économiques réelles articulant les « Suds ».

Pékin ne souhaite pour le moment ne pas reculer, malgré des opinions et perceptions divergentes au plus haut sommet.  

Ce qui est en jeu est l’avenir du monde, de la durabilité plus que fragile de la coopération et une fragmentation plus violente du monde en matière économique, technologique et diplomatique. La seule grille de lecture Occident vs le reste du monde n’est pas opérante. Au sein même de ces pseudos catégories, plusieurs fragmentations sont à l’œuvre. Si Pékin tente un dessein stratégique non-occidental pour s’ériger en modèle et à termes leader, la recomposition des relations internationales au Moyen-Orient, en Asie du Sud, l’avenir de l’UE et les réorientations stratégiques des Etats-Unis ne favoriseront pas une stature incontestée de la puissance chinoise. Au contraire, des points de tension, jusqu’au risque de guerre (haute intensité) n’ont jamais été aussi forts.

Emmanuel Lincot : La bipolarisation Chine / Occident est un fait irréversible. Cependant, les pays du Sud sont évidemment plus indécis. Nombre d’entre eux – par empathie tiers-mondiste – sont prompts à jouer la carte chinoise, Inde exceptée sans doute même si le partenariat historique entre Moscou et New Dehli ne rend pas nécessairement l’Inde aussi fiable qu’on le dit dans ce projet concurrent aux Nouvelles Routes de la Soie qu’est l’Indopacifique. Ce qui prévaut avant tout, c’est une fragmentation en effet des régions convoitées et un très grand pragmatisme des puissances régionales. Le Moyen-Orient est en cela un cas d’école qui infirme le préjugé binaire d’un Gilles Kepel selon lequel une partie du monde sunnite jouerait la carte américaine tandis que le monde chiite jouerait celle de la Chine. Le critère d’une lutte belligène entre sunnites et chiites n’opère plus, tout au moins dans les choix et le pragmatisme de la diplomatie chinoise (premier exemple) ou, encore plus significatif à mes yeux, d’un point de vue  du Qatar (second exemple).  La preuve en est que Doha est l’interlocuteur privilégié de l’Iran et n’en reste pas moins l’un des partenaires stratégiques les plus importants de la région pour Washington. Et cette ambivalence des rapports diplomatiques met en lumière une dissociation très réelle entre des enjeux économiques et des objectifs stratégiques ; dissociation que l’on retrouve dans toutes les régions du monde et notamment en Asie centrale comme nous l’analysons dans notre livre. Notre analyse semble d’ailleurs confortée par l’agenda diplomatique des mois à venir. Ainsi, la visite diplomatique des Chefs d’Etat tadjik et ouzbek à Paris - pour ne s’en tenir qu’à ces seuls exemples – est prévue alors que ces pays entretiennent des relations économiques très (trop ?) étroites avec Pékin.

La dangerosité du régime chinois semble faire de plus en plus l’unanimité. Après la guerre commerciale lors du mandat de Donald Trump, un conflit armé peut-il réellement éclater à l’avenir entre les Etats-Unis et la Chine, comme vous abordez ce thème dans votre ouvrage ? Quel est l’état de la puissance militaire chinoise ? La Chine pourra-t-elle réellement compter sur ses alliés comme la Russie, notamment comme force de dissuasion ?

Emmanuel Véron : La question, très largement débattue, d’une confrontation entre la Chine et les Etats-Unis demeure concrète mais pas complètement admise. Pour autant, un spectre large de facteurs tend à montrer que le régime articule des formes hybrides de la guerre, de la guérilla et de la recomposition de l’affrontement de haute intensité, le tout inhérent à sa culture stratégique et politique.

La refonte de son outil militaire et les efforts budgétaires constants (modernisation des armées et professionnalisation)  et tous azimuts (marine de guerre côtière à une marine hauturière, le cyber, composantes terrestres et balistique, la partie aérienne et spatiale), la construction d’une bulle A2/AD (Anti-Access/Area Denial) en mer de Chine (en particulier avec la mer de Chine méridionale, véritable bastion stratégique issu d’une victoire militaire en temps de paix) et la maîtrise de nouvelles technologies de rupture (IA, robotique, Learning machine, armes à énergie dirigée, planeurs hypersoniques, drones, etc.) sont autant de paramètres majeurs, changeant la donne stratégique en Asie et plus largement dans les équilibres stratégiques mondiaux. La première base à Djibouti en atteste, tout comme le réseau d’infrastructures portuaires, relais tactiques et logistiques pour les forces armées, de sécurité et diplomatique.

L’objectif visé par Pékin est celui d’une parité avec les forces américaines et à terme de les dépasser. Les Etats-Unis concentrent à eux seuls le modèle inavoué mais fantasmé. L’exercice de normalisation internationale du dernier livre blanc de la défense (2019) n’apportait pas de nouveautés en matière stratégique, mais confirmait les ambitions, les représentations et les inquiétudes de Pékin dans son environnement international et régional. Taïwan demeure et demeurera pour la décennie le sujet central des tensions entre Pékin, les Etats-Unis, et plus largement l’Asie de l’Est et une large partie de l’Occident.

Plus largement, la Chine d’aujourd’hui est-elle comparable à l’Allemagne de la fin du XIXe siècle et début XXe siècle, ou encore celle du Japon de l’ère Meiji ou Showa ? Les contraintes à son ascension hégémonique peuvent favoriser un climat conflictuel. Le monde (pas seulement l’Occident) se doit de bien retenir et de bien comprendre le précepte de Sun Zi : « lorsque l’ennemi est trop puissant, il faut refuser le combat ».

Emmanuel Lincot : D’un point de vue européen, le risque est de se laisser embarquer dans un conflit qui oppose avant tout la Chine aux Etats-Unis. Il faut trouver une alternative à la binarité Nouvelles Routes de la Soie / Indopacifique. D’un point de vue militaire, la Chine n’égalera pas avant longtemps la puissance de feu des Etats-Unis. Bien sûr le duo Pékin / Moscou est un contrepoids à l’hégémonie américaine mais celui-ci, dans sa relation, demeure précaire au point où Moscou n’a en rien renoncé, comme nous l’avons dit plus haut, à son partenariat historique tant avec l’Inde que le Vietnam qui, eux, ont plus que jamais des différends importants avec la Chine. Alors, « guerre improbable et paix impossible », pour parler le langage de Raymond Aron ? Au moins un équilibre avait été atteint avec les Soviétiques durant de la guerre froide. Equilibre par la terreur, disait-on. C’est vrai et nos capacités de pulvériser la planète ont depuis décuplé. Mais ce qui me paraît le plus important c’est que les diplomates retrouvent un langage commun pour échanger, dialoguer et éviter le pire. Ce langage s’est appauvri depuis ces dernières années, et en grande partie par cécité idéologique. La carte maîtresse de l’UE et de la France tout particulièrement - à qui échoira d’ici quatre mois la présidence de l’Union - est de trouver la voie d’un apaisement entre les deux grands. Nul n’a intérêt à un conflit d’envergure qui, selon toute vraisemblance, commencerait en effet autour de Taïwan et les litiges en mer de Chine. Pour l’heure, les conflits de basse intensité vont se multiplier sous la forme de guérillas et de tentatives de sanctuarisation de zones. L’Asie centrale et l’Afghanistan vont être l’un de ces théâtres d’affrontements. Le grand jeu se poursuit mais sur des modalités et avec des acteurs différents…

A lire aussi : Vers une guerre entre la Chine et les Etats-Unis ?

Emmanuel Lincot et Emmanuel Véron viennent de publier « La Chine face au monde : une puissance résistible », chez Capit Muscas Editions.

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