Cheops et nos frontières passoires : ce qui se passe vraiment avec le logiciel qui est censé relier tous les fichiers de police<!-- --> | Atlantico.fr
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Nos frontières sont des passoires.
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Plantage

Cheops, le système qui centralise tous les fichiers de la police, a connu un grave dysfonctionnement qui a permis à trois djihadistes présumés d'atterrir à l'aéroport de Marseille sans être inquiétés. Problème : il ne s'agissait pas d'une première, Cheops multipliant les soucis techniques.

Patrice  Ribeiro

Patrice Ribeiro

Patrice Ribeiro est secrétaire général de Synergie-Officiers

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Atlantico : Le système Cheops, qui réunit les fichiers de la police, a récemment connu une "panne" retentissante en ne permettant pas d'arrêter à leur arrivée à l'aéroport de Marseille trois djihadistes présumés. Les autorités ont laissé entendre que ces pannes étaient assez fréquentes. Quelle est leur fréquence et comment s'expliquent-elles en majorité ?

Patrice Ribeiro : Les pannes sont en effet récurrentes car c'est un système qui est très souvent mis à jour, avec des milliers d'informations qui rentrent constamment dans la base de données. On est plutôt face à des problèmes de "tuyauteries", un peu comme si dans un appartement tout le monde ouvrait tous les robinets en même temps. Cela cause alors un flux très lent, voire des bugs. Il n'y a cependant pas que les pannes, il y a aussi des mises à jour fréquentes, et des périodes de maintenance, qui peuvent entraver le bon fonctionnement de Cheops. Il y a clairement un sous-dimensionnement du système, car les choses ont été faites à une autre époque, avec un volume d'informations moindre alors que nous devons aujourd'hui upgrader constamment le contenu. Aujourd'hui l'outil n'est malheureusement plus adapté aux nouvelles exigences de volume de données.

Eu égard à la fréquence des pannes, peut-on dire que Cheops ne remplit qu'en partie son rôle ? Le cas de Marseille a été médiatisé, mais peut-on penser que de nombreux cas similaires, moins "graves" (ou moins médiatiques) qu'une affaire de djihadistes, se produisent très régulièrement ? 

J'attire votre attention sur le fait que même quand Cheops marche, on ne peut pas vérifier systématiquement tous les passeports des ressortissants de l'espace Schengen. Mais concrètement, quand Cheops ne marche pas, la police agit effectivement à l'aveugle. Et ces moments sont totalement aléatoires, il n'y a évidemment rien de programmé, ce sont soit des pannes, soit du surrégime de l'utilisation de Chéops.

Les syndicats ont déjà tiré la sonnette d'alarme sur les insuffisances de Cheops, sans que l'affaire ne s'ébruite dans les médias malgré sa gravité. Pourquoi ? Y a-t-il eu une volonté des syndicats de garder une certaine discrétion sur la question vis-à-vis du grand public ?

Mais nous n'avons pas cherché à rester discrets ! Il y a malheureusement beaucoup de dossiers qui avancent à l'aune de grandes affaires médiatiques, comme celle de Marseille. Nous avons longuement prévenu pour dire qu'un jour un problème grave arriverait avec cette contraction des budgets de fonctionnement, et c'est arrivé. Le budget de la police nationale, c'est 8 milliards d'euros.  Sept d'entre eux sont consacrés aux traitements des policiers et aux pensions des retraités. Il reste moins d'un milliard pour "faire tourner la maison", c’est-à-dire le budget pour les voitures, les logiciels, les armes, les frais de déplacement, l'entretien des bâtiments… Cela représente à peu près le déficit annuel du régime des intermittents du spectacle. On ne peut donc pas nous dire sans cesse qu'il n'y a pas d'argent et en mettre ensuite à fonds perdus dans d'autres postes budgétaire, alors qu'il existe en France une menace prégnante, certaine et nouvelle.  

Le problème c'est que nos sujets de mécontentement sur la question du financement sont très nombreux (véhicules, armement, locaux…) mais cela n'avait – jusque-là – pas de dimension politique. Il n'y avait pas de volonté politique de le faire sortir ou de l'étouffer, il s'agissait seulement de notre quotidien. Mais maintenant une fenêtre médiatique s'est ouverte sur notre état de vulnérabilité.

Que faudrait-il pour que les choses s'arrangent ? Est-ce seulement une question de moyens, ou existe-t-il des "black out" incompressibles pour ce type de système ?

C'est avant tout une question de moyens car les principaux problèmes que nous rencontrons viennent d'un manque d'optimisation du système face aux nouvelles masses de données que nous devons traiter. Tout cela complique le fonctionnement général. Demain, nous allons en plus rajouter à nos fichiers de police le fichier Cassiopée du ministère de la Justice… La police n'est malheureusement pas plus à l'abri qu'une multinationale qui connaîtrait des dysfonctionnements de systèmes informatiques. En tout cas, il est certain qu'il y a un talon d'Achille et qu'il devrait être réparé très rapidement. Le mérite de cette affaire de djihadistes aura au moins été de jeter la lumière sur ces dysfonctionnements et notre vulnérabilité.

Malheureusement, nous sommes un peu dans la situation d'une grenouille dans la casserole d'eau. Si elle est dans une eau déjà brûlante, elle va sauter dehors, mais si vous la mettez dans une eau froide et que vous faite monter la température petit à petit, elle va mourir sans s'en apercevoir. C'est pareil dans la police : nous avons des matériels ultra-pointus, mais nous devons travailler avec des bouts de ficelle, des véhicules qui ont 300 000 km, du mobilier de récupération… Le policier se débrouille donc avec ce qu'il a car il est habitué à la pénurie. Dans le cas de Chéops, comme dans d'autres, les dysfonctionnements sont connus, la hiérarchie est au courant, et nous sommes bien obligés de travailler avec ce que nous avons.   

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