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Charte de l’Islam de France : un premier pas encourageant. Mais dont les islamistes risquent de se jouer sans difficulté et voilà pourquoi
©Ludovic MARIN / POOL / AFP

Evolution

La France osera-t-elle faire enfin le choix de la fermeté pénale face à l’islamisme ?

Emmanuel Razavi

Emmanuel Razavi est Grand reporter, spécialiste du Moyen-Orient. Diplômé de sciences Politiques, il collabore avec les rédactions de Paris Match, Politique Internationale, Le Spectacle du Monde, Franc-Tireur et a réalisé plusieurs Grands reportages et documentaires d’actualités pour Arte, France 3, M6, Planète...  Il a notamment vécu et travaillé en tant que journaliste en Afghanistan, dans le Golfe persique, en Espagne …

Il s’est fait remarquer pour ses grands reportages sur les Talibans (Paris Match), les Jihadistes d’Al Qaida (M6), l’organisation égyptienne des Frères Musulmans (Le Figaro Magazine, Arte).

Depuis le mois de septembre 2022, il a réalisé plusieurs reportages sur la vague de contestation qui traverse l’Iran. Il est notamment l'auteur d'un scoop sur l’or caché des Gardiens de la révolution publié par Paris Match, ainsi que d’un grand reportage sur les Kurdes Iraniennes qui font la guerre aux Mollahs, également publié Paris Match. Auteur de plusieurs documentaires et livres sur le Moyen-Orient, il a publié le 15 juin 2023 un nouveau roman avec Chems Akrouf, « Les coalitions de l’ombre » (éditions Sixièmes), qui traite de la guerre secrète menée par le Corps des Gardiens de la Révolution contre les grandes démocraties. Il aussi publié en 2023 « les guerriers oubliés, histoire des Indiens dans l’armée américaine » (L’Artilleur).

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Atlantico.fr : Plusieurs fédérations membres du Conseil français du culte musulman (CFCM) ont signé une "charte des principes" de l'islam de France, après de longues négociations. Est-ce un premier pas encourageant vers un islam français moins influencé par l’idéologie islamiste ?

Emmanuel Razavi : Depuis 2003 et la création du conseil français du culte musulman mis en place à l'initiative de Nicolas Sarkozy, l'État français s'est senti obligé de s'immiscer dans l'organisation de l'islam de France, et jusqu'à présent, sans grand succès. C’est à mon avis un signe inquiétant de l'échec de la république laïque face à l'islamisme. Car ce sont bien les islamistes qui nous ont conduit à la situation où l’État laïc croit devoir s’ingérer dans les affaires d'une religion. Ce n’est pas la religion qui pose problème, mais les islamistes.

La majeure partie des musulmans qui vivent en France est en effet parfaitement intégrée et vit loin des islamistes, même si on constate chez les plus jeunes une augmentation de la radicalisation.

Nos concitoyens de confession musulmane ne réclamaient de fait aucune charte. Ils souhaitent simplement pratiquer leur foi en toute sérénité, quand d’ailleurs ils sont pratiquants.

Emmanuel Macron fait sans doute preuve de bonne volonté mais je pense qu’il pèche par naïveté et se trompe de chemin. Il n'est bien sûr pas comptable d'une situation qui a commencé à émerger il y a 40 ans et essaye de trouver des réponses adaptées à la montée de l’idéologie islamiste. Mais il ne perçoit pas ce qu'est l'islam tel qu’il existe en France parce qu'il ne connait pas sa matrice sociologique. Ainsi en donnant du crédit à des organisations islamistes comme l'ex-UOIF, rebaptisée « Association musulmans de France », il amalgame sans s'en rendre compte nos concitoyens musulmans qui respectent la loi, aux islamistes qui la contournent. Pour moi, c’est terrible. Emmanuel Macron est par ailleurs très ambigu. Il dit refuser l'islam politique des Frères musulmans mais dans le même temps il discute et négocie avec ses représentants, dont ceux de l’’association « musulmans de France » dont la matrice originelle qui était l’Union des organisations islamiques de France (UOIF) est inscrite sur la liste des organisations terroristes des Émirats Unis depuis 2014. C’est quand même un comble : une organisation classée terroriste dans le monde arabe a pignon sur rue en France, discute avec les pouvoirs publics et cela ne gêne personne ? Je crois que c’est très grave pour la démocratie.

En voulant lutter contre l’islamisme avec cette charte, on sanctionne donc l’islam dans son ensemble ?

L'islam n'est pas le sujet selon moi. Il n'y a en effet pas de problème avec l'islam en France, mais bien avec l'islamisme. Il faut donc légiférer sur l'idéologie islamiste qui inspire la radicalisation puis engendre le terrorisme. Pourquoi vouloir légiférer ou imposer un cadre sur l'islam en général ? Au fond qui le demande ? Appliquons la loi, fermons les organisations islamistes qui prônent des valeurs contraires à celles de la république ou font l’apologie du terrorisme, et expulsons leurs responsables quand ils ne sont pas Français. Ce sera déjà un grand pas et beaucoup de musulmans français s’en féliciteront.

La réponse contre l’islamisme doit donc être pénale avant tout ?

Si on veut lutter contre l'islamisme, il faut le nommer puis l’interdire purement et simplement comme on interdit d'autres déviances extrémistes. On n'a pas besoin d'une charte pour faire appliquer la loi. En France, on interdit par exemple les associations néo-nazies, et l’antisémitisme est heureusement puni. Pourquoi ne fait-on pas pareil avec les Frères Musulmans dont les principaux théoriciens prônent l’antisémitisme et l’homophobie ? Emmanuel Macron sait-il que les principaux théoriciens de l’islam politique comme Hassan al Banna ont soutenu le nazisme ?

Il s’agit en fait d’un islamisme révolutionnaire qui a vocation non pas à faire du séparatisme mais à prendre le pouvoir pour organiser la société autour de des valeurs de la charia - c’est dit dans la charte des frères musulmans.

Il faut donc fermer toutes les associations qui se réclament de la confrérie car elle est aux ordres de deux pays qui posent problème : le Qatar et la Turquie. Il faut rappeler que le chef spirituel de la branche qatarienne des frères musulmans, Youssef al-Qaradawi a tenu des prêches antisémites et homophobes. Il a soutenu ben Laden ouvertement et encouragé des jeunes à se kamikazer en Israël ou en Irak. Aujourd'hui, il y a des associations en France qui font la promotion de ce prêcheur et de ses textes. Il y a aussi des gens de l'ex-UOIF qui sont membre du conseil européen de la fatwa, présidé par al-Qaradawi. Comment peut-on discuter avec des gens qui font l'apologie d'une idéologie meurtrière ? Comment peuvent-ils être devenus les interlocuteurs des pouvoirs publics ?

Quelle efficacité peut avoir cette charte ?

Cette charte est pleine de bonnes intentions. Je ne remets pas en cause la bonne volonté d'Emmanuel Macron sur le sujet. Mais elle n'aura pas d'efficacité réelle. D'abord parce qu’un bon nombre d'imams islamistes prêchent en dehors des circuits associatifs. Je ne doute pas que certaines associations suivront soigneusement ses principes. Il y a des gens très bien á la grande mosquée de Paris. Mais il faut tenir compte du fait que les islamistes liés aux frères musulmans – qui sont les mieux organisés en France - pratiquent l'art de la dissimulation. Ils disent « blanc » alors qu’ils font noir.  Ils jouent le jeu de la démocratie tant qu'on va dans leur sens. Le jour où on n'est plus d'accord avec eux, il y a toujours des éléments qui se radicalisent et basculent dans le terrorisme. Ça a été le cas dans plusieurs pays depuis 80 ans. Pourquoi la France échapperait à une règle qui est constante depuis la création de leur organisation ? Quand leur idéologie n'est plus compatible avec la règle des états, il y a un point de rupture qui entraine de l'activisme et du terrorisme.

Ensuite, une question doit se poser : combien de musulmans représentent concrètement toutes ces associations ? Ce n’est pas le tout d'avoir une légitimité institutionnelle, mais qu'est-ce qu'elle incarne, sur quoi repose-t-elle sociologiquement ? De ce que j'ai pu observer sur le terrain à travers mes reportages et enquêtes depuis une vingtaine d'années, la majeure partie des musulmans français ne se sentent pas représentés par ces organisations. Ils ne les connaissent parfois même pas ou estiment qu'elles entretiennent un flou sur leur financement ou leurs liens avec des pays étrangers.

Enfin, cette charte a subi énormément d'amendements, ce qui montre bien qu’elle est loin d'être passée comme une lettre à la poste.

Le fait que seules cinq fédérations parmi les neuf qui composent le CFCM ont signé la charte démontre-t-il un manque de légitimité ?

Comment comptez-vous faire respecter une charte pareille par la Confédération islamique Millî Görüş, qui est d'obédience turque et dont le patron n'est autre que M. Erdogan dont on connait les velléités islamistes et expansionnistes ? On nous dit que la majorité des fédérations ont signé mais la majorité n'est pas l'unanimité. Donc, il n’y a pas, de la part d’une partie d’entre elles, d’adhésion unanime aux valeurs de la république française. J’ai un profond respect pour les cultures du monde arabe et la religion musulmane que je connais bien. J’ai vécu en Afghanistan et dans le Golfe Persique où j’ai travaillé en tant que journaliste. Je suis moi-même d’origine orientale. J’appartiens à une famille dont une partie a fui l’islamisme des mollahs iraniens. En tant que reporter, j’ai passé 20 ans de ma vie à faire des reportages au contact des islamistes et des djihadistes. Je crois donc savoir de quoi je parle, et je vous l’assure : il est vain de croire que l’on peut composer avec les islamistes, qu’ils soient pro-turcs ou à la solde du Qatar, en leur faisant signer une charte de bonne conduite. La solution pour protéger la République, mais aussi nos concitoyens de confession musulmane qui adhèrent majoritairement à nos valeurs, c’est la fermeté avec les islamistes.

Emmanuel Razavi est Grand reporter et directeur du magazine de grands reportages et d’actualités Fild. Spécialiste de la géopolitique du golfe Persique et de l’organisation islamiste des Frères Musulmans, il a écrit plusieurs ouvrages sur le sujet et réalisé de nombreux reportages sur l’islamisme au Moyen-Orient et en Europe pour des médias tels Arte, le Figaro Magazine ou Paris Match. Comptant parmi les rares journalistes français à avoir rencontré et interviewé les cadres de la confrérie dans le monde, il a été auditionné en tant qu’expert de terrain par la commission parlementaire sur l’islam radical.

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