Charbon maudit : prohiber des KWh quand on en explose le besoin<!-- --> | Atlantico.fr
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La centrale à charbon de Cordemais, près de Nantes
La centrale à charbon de Cordemais, près de Nantes
©UGO PADOVANI / HANS LUCAS VIA AFP

Parc THF

Le charbon et le gaz naturel produisent de l’ordre de 70 % de l’électricité mondiale.

André Pellen

André Pellen

André Pellen est Ingénieur d’exploitation du parc électronucléaire d’EDF en retraite, André Pellen est président du Collectif pour le contrôle des risques radioactifs (CCRR) et membre de Science-Technologies-Actions (STA), groupe d'action pour la promotion des sciences et des technologies.

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Lors de l’ouverture du marché UE de l’électricité, le 1er juillet 2007, la puissance installée du parc THF (thermique à flamme) d’EDF construit entre 1959 et 1983 était encore de 9,5 GW et produisait 4 à 5 % de l’électricité du pays, à raison de 1000 à 1500 heures de fonctionnement par an. Il était même prévu d’accroitre cette capacité de production de 3,1 GW en sortant les tranches Porcheville 1 et 2, Cordemais 3 et Aramon 1 de l’indisponibilité (sortie de mise en « cocon » dite d’AGP). À cette époque, l’expertise du Centre d’ingénierie thermique d’EDF (le CIT) était reconnue dans le monde – au Brésil, au Mexique et en Chine notamment – qui avait entre autres succès à son actif les centrales de Phu My au Vietnam, Norte Flumente au Brésil et Laïbin en Chine.   

Le parc THF d’EDF fin 2006 d’une puissance totale de 10 GW

La montée en puissance du nucléaire conduisit peu à peu la production de base des centrales THF à se muer en composante d’appoint du mix énergétique. La démonstration du caractère crucial d’une telle fonction n’est plus à faire, qui apporte à ce mix l’indispenable flexibilité temporelle : à court terme (quotidien, saisonnier), à moyen terme (mise en et hors AGP), à long terme (investissements dans de nouvelles capacités de production). Ce précieux rôle d’ajustement permet en effet de pallier une volatilité de la consommation, quotidienne pour couvrir les pointes du matin et du soir, en continu pendant les périodes très froides, et en substitution de l’énergie hydraulique lors des années sèches ou du nucléaire en cas d’arrêt fortuit.  

De fait, en 2007, nos centrales THF représentaient 20 % des services d’ajustement de la puissance électrique et couvraient près de 15 % des besoins de pointe. Depuis 2003, EDF conduisait une démarche de modernisation et d’adaptation de ce parc visant à lui conserver une garantie de réponse aux variations croissantes de la demande, visant également à produire propre et performant et à atteindre un coefficient d’indisponibilité fortuite (KINP) de 10 % en 2009, contre 13,7 % en 2005. 

Sans préjuger de l’avenir, EDF s’employa donc à moderniser les centrales à charbon des quatre régions Cordemais, Le Havre, Blénod et La Maxe pour un budget de 350 M€, en améliorant leurs performances technico-économiques et environnementales grâce aux procédés les plus sophistiqués. Le maintien des tranches charbon les plus performantes s’avéra ainsi le moyen le plus compétitif de fournir les capacités de semi-base. Quant à celles de 600 MW de Le Havre 4 et de Cordemais 4 et 5, en plus de bénéficier d’un effet de taille favorable et de coûts de revient du combustible parmi les plus bas du parc THF – grâce à la facilité d’approvisionnement de ces sites de grande capacité situés en bord de mer –, la flexibilité de leur production fut un atout essentiel. Ces tranches avaient même été équipées d’un système de désulfuration par lavage des fumées devant être complété en 2008 d’une installation de dénitrification poussée leur permettant de se conformer aux sévères contraintes environnementales déjà dans les cartons.

Quid de la sécurité présente et à venir de notre approvisionnement électroénergétique et de son coût ?

Ce qui était vrai en 2007 l’est plus que jamais en 2024, à savoir que le coût d’investissement dans le THF en général, dans le charbon en particulier, est plus faible que dans les énergies concurrentes auxquelles éolien et photovoltaïque n’appartiennent pas, les délais de construction étant de surcroît plus réduits. Partant du constat que les réserves mondiales de charbon sont évaluées à deux siècles d’exploitation, l’Agence internationale de l'énergie (AIE) n’avait alors pas hésité à prédire que ce dernier nous fournirait jusqu’à 10 TWh d’électricité en 2020.

Or, que nous apprend le bilan 2023 du mix électroénergétique français ? Que la production charbon n’y figure plus que pour 0,17 %, soit pour 0,8 TWh d’un total THF de 32,6 TWh dans lequel le gaz se taille la part du lion ; voir ci-après la physionnomie actuelle du parc THF. Dès lors, la situation du système électrique français se résume on ne peut plus clairement à ceci : non seulement sa sécurité est majoritairement suspendue à la fourniture de gaz, mais, de ce fait, notre pays est d’autant plus à la merci d’un cours marchand devenu incontrôlable que l’hydraulicité est déficitaire. Ajoutons que la situation s’aggrave singulièrement lorsque la capacité française THF + hydraulicité devient insuffisante, ce qui est arrivé en 2022 avec un solde importateur de 16,5 TWh… et n’a sans doute pas fini d’arriver.

Les centrales thermiques à flamme en France en 2021


Pourquoi en est-il ainsi ? Tout bonnement parce que, comme détaillé et illustré précédemment, THF et hydraulique de chute répondent en totalité aux demandes de pointe et de semi-base. Ces deux productions composent la réserve dite tertiaire ou tournante qui, avec la réserve permanente des réglages fréquence-puissance, constituent la marge d’exploitation maintenant la stabilité du système. Que cette marge vienne à être insuffisante et le système s’écroule. Or, c’est précisément ce à quoi nous expose désormais toute rupture dans l’approvisionnement d’un gaz dont nous venons de voir que, à peu de choses près, il est à lui seul le THF !

C’est ici l’occasion de procéder à deux rappels très importants :

-Conçus pour dérober de la production de base au nucléaire, éolien et photovoltaïque ne seront jamais aptes à entrer dans la composition de ladite marge ;

-La survenue de la pointe de puissance appelée à 112 GW, en février 2012, mettrait (gravement) à mal un parc de production français ne pouvant aujourd’hui aligner plus de 70 GW et ne pouvant guère compter sur le secours de parcs voisins en transition aussi indigente que la sienne.  

Où l’on réalise que la France a définitivement prohibé le moyen le plus sûr et le moins cher de garantir durablement la sécurité de son approvisionnement électroénergétique. D’aucuns arguent qu’il n’est plus possible de faire autrement, à savoir de miser sur le charbon au détriment du gaz pour assurer la marge, sauf à rompre officiellement avec la politique énergétique intégrée de l’UE, ce à quoi notre pays n’aurait pas intérêt. Nonobstant le lamentable exemple allemand, l’argument avancé selon lequel la France prendrait ainsi le risque d’une situation d’autarcie dont elle n’a plus les moyens est fallacieux pour les deux raisons suivantes : l’interconnexion technique et commerciale des systèmes électriques européens existait bien avant la création du marché unique ; même à son âge d’or électroénergétique, la France n’a jamais vécu en autarcie, concept au demeurant incompatible avec la nature d’un marché auquel les propriétés techniques du produit, l’instabilité des limites territoriales, la géographie et la météo imposent des contraintes spécifiques et rarement définitives. Par-dessus le marché, la reprise en main nationale du commerce des KWh débarrassée d’Arenh et de TRVe (tarif régulé de vente d’électricité) mettrait à disposition un produit bien moins cher qu’aujourd’hui.

Quoi qu’il en soit, le système électrique français reste principalement nucléaire, devrait s’efforcer de l’être plus et le plus vite possible. À l’instar des autres systèmes électriques, l’optimisation de son exploitation consiste à faire de son KWh le moins cher qu’il soit le plus souvent « marginal », c’est-à-dire en situation de bouclage de l’équilibre production-consommation déterminant le prix de vente de l’ensemble de la production. Renouer avec la fréquence du « marginal nucléaire » d’autrefois c’est aussi moins recourir aux palliatifs de l’atome que sont le gaz et le charbon et donc parvenir progressivement à fermer leurs unités de production. Hélas, tout porte à croire – notre auguste ASN en particulier – que les français ne retrouveront pas de sitôt une situation aussi avantageuse.   

C’est pourquoi le temps du gaz et celui du charbon promettent d’être encore longs, deux énergies desquelles il faudra bien que la France se résolve un jour à conserver celle rendant le service le plus rentable et le plus durable.    


Une Chine engagée dans une dynamique électronucléaire comparable à celle de la France a choisi depuis longtemps

Ainsi que le rapporte Le Figaro du 23/02/2024, l’Empire du Milieu met aujourd’hui en service deux centrales à charbon de 1000 MWe par semaine et lance la construction d’une nouvelle. Contrairement à la promesse faite par Xi Jiping en 2021 de réduire ce rythme, la cadence de construction augmente en même temps que la mise en chantier de plus de 10 tranches nucléaires par an. 

En 2023, 106 GWe charbon ont ainsi été autorisées, tandis que 70 sont en construction. Depuis 2022, ce sont 218 GWe qui ont été autorisés, soit la puissance délivrée par 55 sites de 4 tranches nucléaires comme celui de Tricastin ; la durée de construction d’une centrale à charbon étant d’environ 2,5 ans.

Durant les quelque 40 années mises à profit par l’émule chinois pour rattraper le maître français à marche forcée, ce dernier n’a rien trouver de mieux que se séparer de(s) 1,2 GWe nucléaire de Superphenix, de 11 GWe Charbon, de(s) 1,8 GWe nucléaire de Fessenheim et d’élargir plus largement sa désindustrialisation. Aujourd’hui, ses états d’âme se résument à se demander s’il doit continuer de brûler du charbon plutôt que du bois à la centrale de Cordemais, à douter qu’il ait été judicieux de redémarrer en catastrophe la centrale charbon de St Avold, l’hiver dernier.

Reste que la Chine dispose actuellement d’une capacité de production de 1870 GWe, dont 1 390 THF, 420 Hydrauliques et 57 Nucléaires. La marge d’exploitation de son système électrique, par rapport à la pointe de référence, est de 40 %, quand la nôtre, négative, est inférieure - 30 %, mettant le pays à la merci d’une importation elle aussi précarisée. Ce pays dispose au mieux d’une puissance installée de 144 GWe, en comptant la ruineuse puissance « éolo-solaire » de 25 GWe ne parvenant pas à couvrir plus de 12 % de la consommation nationale. 

Courir après le syndrome argentin pour l’exemple climatique

Affirmer que l’énergie c’est la vie individuelle et collective et que cette main de l’ordre des choses en permet seul l’entretien n’est pas une métaphore. C’est même évoquer la plus fondamentale des réalités physique et biologique selon laquelle tout ce qui s’observe ici bas n’est que manifestation de l’énergie ou le produit inerte de sa transformation. Partant, comment contester que la carence énergétique soit le plus sûr et le plus rapide moyen d’attenter à la vie individuelle ou collective, en commençant par ruiner l’économie quand il s’agit des communautés humaines ?

Il ne peut donc y avoir de commune mesure entre la latence et l’intensité d’un tel péril et ceux d’un péril climatique allégué dont, de surcroît, toute prévention ne peut qu’être énergivore. L’excès de CO2 atmosphérique ferait-il courir aux hommes ce dernier péril ? Si oui, ce n’est sûrement pas en rognant à prix d’or sur les 0,9 % de la production mondiale de ce gaz attribuables à la France que l’on compensera les préjudices réputés causés par les 25 % chinois ou les 43 % américains !

Mais peut-être ne se préoccupe-t-on que de prévention sanitaire et/ou de lutte contre la pollution. Qu’à cela ne tienne : d’une part, nous avons vu que les centrales à charbon peuvent être équipées de dispositifs de désulfuration, de dénitrification, de lavage des fumées et autre séquestration des particules fines et, d’autre part, savoir que les plus modernes de ces centrales, de technologies supercritique et/ou à lits fluidisés, émettent infiniment moins de polluants et de CO2 que leurs devancières tout en affichant un bien meilleur rendement.

Pour conclure, observer que, si la lucidité sur les intérêts bien compris de notre pays était au pouvoir, la transition énergétique française aurait un tout autre visage : pour l’essentiel, elle consisterait à recourir à un charbon propre sécurisant à moindre frais notre approvisionnement électroénergétique, le temps de réaliser à marche forcée un nouveau plan Messmer.

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