Pourquoi la France est bonne en innovation mais peine à transformer l'essai<!-- --> | Atlantico.fr
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"La faiblesse de la France réside dans la capacité de faire passer une technologie au marché."
"La faiblesse de la France réside dans la capacité de faire passer une technologie au marché."
©Reuters

Peut mieux faire

Dans le classement 2013 des 100 organisations les plus innovantes réalisé par l'agence Reuters, la France occupe la 3ème place, derrière les Etats-Unis et le Japon, ce qui en fait la championne d'Europe de l'innovation.

Yann Ménière

Yann Ménière

Yann Ménière est professeur assistant d'économie à MINES ParisTech et titulaire de la Chaire Mines-Télécom sur "IP et marchés de la technologie". Outre ses publications dans des revues universitaires, il écrit avec F. Lévêque un manuel sur «l'économie des brevets et droits d'auteur» (Berkeley électronique Press, 2004)

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Atlantico : En France sont déposés chaque année un nombre important de brevets auprès de l’INPI (Institut national de la propriété industrielle) et notre pays reste un territoire attractif pour l'installation de centres de recherche de grandes entreprises internationales. Pourtant il ne parvient pas à être un grand pays d’innovation et malgré leurs records d’inventivité, beaucoup d’entreprises voient leurs ventes baisser. Comment l'expliquer ?

Yann Ménière : La France est un grand pays de recherche mais elle a du mal à transformer les résultats de la recherche en innovation au niveau des entreprises. En dehors de quelques exceptions comme le CEA (Commissariat à l’énergie atomique), on n’a pas de culture ni de pratiques bien en place pour faire percoler les résultats de la recherche vers leur implémentation concrète dans les entreprises.

La France a-t-elle des difficultés à protéger ses innovations ? Pourquoi ?

Je ne pense pas que la France ait des difficultés à protéger ses innovations, à part peut-être dans les PME où il y a un manque de culture du brevet et de moyens pour les valoriser, mais la faiblesse est moins dans la protection que dans la valorisation et la capacité de faire passer une technologie au marché.

Nos concurrents étrangers parviennent-ils davantage à créer de la richesse à partir de l’innovation ? Y a-t-il une difficulté à financer le développement des entreprises innovantes et/ou une défiance à l’égard des entrepreneurs ?

Je ne pense pas que ce phénomène soit plus marqué en France qu’ailleurs, la difficulté dans notre pays est de mettre en place des mécanismes de valorisation qui font que les innovations sont exploitées avec un profit pour l’économie française. C’est la différence, par exemple, pour une université entre vendre un brevet et laisser partir la technologie à l’acheteur ou alors mettre en place un système de licence où elle continue d’avoir le contrôle de l’évolution de la technologie.

C’est assez variable mais le lien entre universités, centres de recherche et entreprises est mieux mis en place aux Etats-Unis, en Allemagne ou encore au Royaume-Uni. Il y a un découplage historique entre le monde de l’université et les grands organismes de recherche comme le CNRS, avec une certaine hostilité ou une méfiance des deux côtés. Ce phénomène s’observe moins en Allemagne par exemple. On a un problème d’interface entre ces deux univers en France à quelques exceptions près et on a besoin d’institutions pour fluidifier ces relations. Cela ne veut pas dire qu’il faut déposer des brevets sur tous les résultats de la recherche universitaire et demander des royalties à chaque fois. C’est une vision naïve de vouloir déposer des brevets et les vendre à des entreprises. Ce qui marche bien, ce sont les partenariats de long terme. Une licence en ordre de grandeur ce n’est pas très important par rapport à tous les contrats de recherche des partenariats de long terme pour développer une technologie. On a mis en place dans les universités françaises des cellules de valorisation dont la mission est de faire de l’argent avec des brevets et souvent, elles coûtent plus qu’elles ne rapportent. C’est une vision étroite du transfert de technologie. A partir du moment où les centres de recherche sont financées par de l’argent public, il y a un paradoxe car ils demanderont davantage d’être rémunérés par le privé pour des technologies développées avec de l’argent public. Il ne s’agit pas de demander un prix maximal mais d’utiliser les compétences de leurs études pour organiser au mieux la diffusion de cette nouvelle technologie vers le monde industriel.

Quels autres facteurs peuvent expliquer les difficultés françaises ?

La France est assez bonne sur les formations scientifiques. Il y a un découpage entre l’excellence de la recherche des grands organismes et le monde universitaire. On a des universités qui forment mais qui ne sont pas toujours bien placées dans la recherche sans véritable culture de coopération avec les entreprises et on a des grandes écoles qui ont des étudiants proches des entreprises mais qui ne font pas beaucoup de recherche. On a un système historiquement calé sur le secteur public et un problème de spécialisation. La France est bonne dans des technologies traditionnelles mais pas forcément dans des domaines très spécifiques et n’a pas de culture de la start up. Il ne faut pas regarder la valorisation des résultats de la recherche en se focalisant uniquement sur les brevets et en cherchant à les vendre à tout prix. Si on veut organiser de façon efficace la valorisation de la recherche sur les résultats de l’entreprise, cela doit s’appréhender en amont avec des partenariats de long terme.


Propos recueillis par Karen Holcman

Article déjà publié sur Atlantico le 03/09/2013

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