Cette nouvelle guerre de Syrie qui se noie dans l’ombre de la guerre de Gaza<!-- --> | Atlantico.fr
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Gaza, le 25 février 2024.
Gaza, le 25 février 2024.
©SAID KHATIB / AFP

Conflit

La guerre en Syrie se poursuit et même avec une recrudescence dans son intensité ces dernières semaines.

Henry Laurens

Henry Laurens

Henry Laurens est historien et universitaire, spécialiste du monde arabe et professeur au Collège de France, où il occupe la chaire d'histoire contemporaine du monde arabe depuis 2003.

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Atlantico : La guerre en Syrie se poursuit et même avec une recrudescence dans son intensité ces dernières semaines. Quelles sont les forces en présence actuellement et quelle est cette réalité du conflit en Syrie dans l’ombre de la guerre à Gaza ?

Henry Laurens : Comme lors de la guerre civile libanaise, la guerre civile en Syrie se transforme en une guerre pour les autres. Il y a toutes les répercussions et toutes les contradictions du système politique régional et international sur le sol syrien. Si on tire les leçons de la guerre libanaise, au bout d'un certain nombre d'années de guerre, il y a eu des entités étatiques ou proto-étatiques qui se sont formées. Au Liban, il y avait l'émirat de la montagne druze, le réduit chrétien, le Hezbollah. En Syrie, il y a des formations similaires avec en plus une très forte pénétration étrangère. Il y a les zones contrôlées par le gouvernement illégal, même s'il ne contrôle pas énormément de choses finalement, dans la mesure où l'essentiel des forces du gouvernement de Bachar al-Assad sont plutôt un agrégat de milices qui sont affiliées au régime. Il y a l'ancienne opposition de la guerre civile où les éléments libéraux ont été pratiquement éliminés et qui sont passés sous contrôle turc et qui forment une espèce de zone. Il y a l'Etat islamique qui a eu, à un moment précis, une sorte d'hégémonie sur tout ce qu'on peut appeler la Badiya, le désert, la steppe syrienne. Il y a aussi un système politique kurde avec des libertaro-staliniens. Et il y a des zones d'insoumission par rapport au régime aujourd'hui, comme la montagne des Druzes, appelée la montagne des Arabes depuis l’indépendance, ou la région de Deraa. Dans certaines zones, qui sont contrôlées par les trafiquants de drogue qui produisent et exportent de la drogue, il y a du brigandage. Une récente intervention militaire jordanienne a été menée contre eux récemment.

Il y a donc une succession d'intervenants avec des alliances qui sont absolument contradictoires. L'intervention militaire occidentale, surtout américaine, avait été envoyée pour soutenir les Kurdes contre l'Etat islamique et pour la reprise de Raqqa.

Normalement, les forces iraniennes qui soutenaient le régime de Assad étaient plutôt contre l'Etat islamique. Mais aujourd'hui, les Iraniens attaquent les Américains et accessoirement les Kurdes. Mais les Kurdes sont eux-mêmes plutôt en non-agression avec le gouvernement central. Les forces russes soutiennent le régime mais elles sont en bisbille avec les Iraniens. Bachar essaie d’opposer ces différentes forces et entités. Les Russes jouent leur propre jeu mais ne veulent pas trop favoriser non plus les pro- Iraniens et les milices iraniennes, le Hezbollah, les milices afghanes et iraniennes qui sont sur le terrain.

Les Russes depuis le début du conflit n'ont pas donné de couverture anti-aérienne au régime de Damas. Deux ou trois fois par semaine, les Israéliens bombardent la région de Damas pour officiellement s'en prendre à des éléments pro-Iraniens, même s'ils tuent au passage des civils et des militaires syriens. Mais dans la mesure où la principale base russe est à Lattaquié, là, il y a une couverture anti-aérienne. Quand le président Bachar al-Assad essaye de quitter son Etat, il est obligé d'aller prendre l'avion à Lattaquié et nonpas à Damas.

Est-ce qu’une trêve à Gaza permettrait d'apaiser le conflit en Syrie ?

Pas vraiment car actuellement la Syrie est en proie à une guerre pour les autres qui est aussi une guerre de tous contre tous. S'il y avait une trêve à Gaza, les pro-Iraniens n'attaqueraient pas les positions occidentales dans le pays. Mais cela n'empêcherait absolument pas les Turcs de frapper les Kurdes.

Il y a énormément de violations des droits de l'homme par les différents acteurs au sein de la guerre en Syrie. Que pourrait faire la communauté internationale pour agir juridiquement, mais surtout peut-être pour apporter une aide humanitaire face à la détresse des populations en Syrie ?

L'aide humanitaire a pu être apportée par le biais du régime de Damas puisque c’est le seul légal du point de vue de l'ONU. Mais tout le monde sait qu'elle est largement ponctionnée par le régime. Il y a un peu d'aide qui passe par la Turquie.

Exceptionnellement, à cause du tremblement de terre, cette aide vient d'être renouvelée. Mais les fonds de financements humanitaires pour la Syrie sont épuisés. Plus personne n’est prêt à payer. Il y a des situations en parallèle qui exigent aussi un fort besoin d’aide humanitaire au Soudan, à Gaza, au Yémen. Les fonds sont épuisés pour l’aide humanitaire. De ce point de vue, la situation ne fait que s'aggraver. Un récent article dans un journal arabe précisait que la Russie offrait des passeports russes, des cartes d'identité, par le biais de la République de Yakoutie, à des Syriens pour qu’ils deviennent des mercenaires en Ukraine.

La situation en Syrie est un désordre absolu. L'attitude russe est très ambiguë. L'argument qu'ils avancent de la défense des chrétiens d'Orient est surprenant au regard de la manière dont ils ont abandonné les Arméniens du Karabagh. Les Russes sont sur la partie littorale de la Syrie. Ils ne sont pas vraiment à Damas. Les Iraniens sont à Damas. A Sayyida Zeinab, dans la banlieue de Damas, il y a un grand sanctuaire chiite. Le quartier est devenu complètement chiite et iranien.
L'espoir d'un cessez-le-feu en Syrie est-il illusoire à l'échelle nationale ?

Il est effectivement illusoire. Tout a déjà été essayé. Le régime de Bachar al-Assad a été complètement isolé. François Hollande n'avait pas tort en disant qu'il fallait intervenir en 2013. Mais Obama n'a rien fait car l'opinion publique américaine était contre. Le dirigeant américain avait déclaré que les révolutionnaires syriens n'étaient pas des gens sérieux, que c’étaient des dentistes et autres. Résultat, il y a eu plus de dix ans de guerre civile.

Finalement, une intervention a été nécessaire, non pas contre le régime de Bachar al-Assad, mais contre l'État islamique. Il y a des négociations qui sont vides de sens sous les auspices de l'ONU.

On discute sur la révision de la Constitution syrienne, comme si personne n’avait les moyens d'appliquer une vraie Constitution dans ce pays en ruines dominé par la loi du plus fort. La population est dans une misère atroce. Elle ne rêve qu'une seule chose, c'est de quitter le pays. Cela inquiète toutes les puissances de la région car personne ne veut avoir des millions de réfugiés syriens supplémentaires. La situation est absolument désespérante. Le régime ne contrôle plus grand-chose en réalité. Il contrôle le couloir central (Damas, Homs, Hama, Alep) et les régions littorales et la montagne. Il ne contrôle pas la Badiya. Et il contrôle très mal la situation à Deraa. Il y a des soulèvements réguliers. C'était le point de départ de l'insurrection en 2011. Il y a aussi tout le trafic de drogue qui est devenu la principale ressource du pays, avec certainement la complicité du régime.

Les États arabes avaient voulu amorcer une espèce de réintégration de la Syrie dans le jeu arabe. Il était sous-entendu que si cette réintégration était actée, il y aurait moins de trafic car le Captagon et ces trafics sont la hantise des Saoudiens. Mais cela n'a rien donné. L'armée jordanienne est intervenue ces dernières semaines de l'autre côté de la frontière, en territoire syrien, pour combattre les trafiquants de drogue.

Donc c'est véritablement la guerre de tous contre tous. Un imbroglio complet puisque les Occidentaux soutiennent les Kurdes qui sont les ennemis des Turcs qui sont nos alliés dans l'OTAN.

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