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Cette grande pauvreté qui frappe de plus en plus les femmes
©PHILIPPE DESMAZES / AFP

Bonnes feuilles

Claire Lajeunie publie "Pauvres de nous" aux éditions Michalon. En France, 9 millions de personnes vivent sous le seuil de pauvreté. Derrière ces chiffres, il y a des visages. Lorsqu'elle se lance dans le tournage du documentaire éponyme, Claire Lajeunie ne se doute pas qu'elle va prendre de plein fouet une réalité sociale insidieuse. Extrait 1/2.

Claire Lajeunie

Claire Lajeunie

Claire Lajeunie est réalisatrice et productrice. Elle a signé plusieurs documentaires autour de la question des marginaux et des laissés pour compte, parmi lesquels "Pauvres de nous", pour France 5. Son livre "Sur la route des invisibles" (Michalon, 2015) a été adapté au cinéma en 2019 par Louis-Julien Petit.

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Sa vie professionnelle, Isabelle l’a commencée à l’usine où elle était facturière. Mais l’usine a fermé et elle a perdu son emploi. Ensuite, elle s’est mise à faire des ménages, à garder des enfants. Puis elle est partie en Allemagne huit ans travailler dans une fabrique de chocolats. L’usine s’est installée à Zurich, mais Isabelle n’a pas pu déménager ou suivre puisqu’elle ne pouvait pas se permettre de faire tous les jours les trajets pour aller travailler, d’autant qu’ils ne prenaient pas en charge les frais supplémentaires dont les transports. Pour elle, c’était trop loin. Finalement, chaque fois, il y a eu, malgré elle, une fermeture ou une mutation. Ses employeurs sont partis ou ont été délocalisés. 

– Quand j’y pense, j’ai l’impression d’avoir eu trente-six mille vies ! 

Isabelle m’explique qu’une fois passés 43, 45 ans, c’est beaucoup plus compliqué de reprendre une activité sachant qu’une femme doit s’arrêter à cause des grossesses et ensuite élever ses enfants. C’est très difficile aussi de reprendre son poste, parce que ni l’usine ni le travail ne l’ont attendue. 

Isabelle a constaté que celles qui, comme elle, n’ont pas de grosses qualifications, ont un salaire si maigre que les frais de garde et les frais de cantine sont plus élevés que ce qu’elles touchent à la fin du mois. Elles n’ont même pas le choix de dire : « On garde une partie professionnelle, une partie vie de famille », me précise-t-elle. Elles ne peuvent pas parce que ça coûte trop cher.

C’est tellement paradoxal. À son époque, il y a quelques dizaines d’années, les « filles mères », comme on les appelait, subissaient aussi des discriminations qui aujourd’hui n’ont pas totalement disparu mais me semblent moins vives. Il reste que les salaires ne sont toujours pas égaux, que les inégalités perdurent et que la société ne s’est pas encore adaptée à la monoparentalité. Ces familles demeurent les plus pauvres de France. 

Quand je lui demande comment elle s’y prend pour vivre, elle me répond qu’elle a appris à « se restreindre de tout ». C’est très violent comme phrase, je la prends en pleine figure et remarque qu’il s’agit de la même privation depuis le début du tournage du film : nourriture, vêtements, loisirs, bien-être, plaisir… Il ne reste que la survie. 

Pour elle, 460 euros par mois aujourd’hui dans cette France, « c’est la misère la plus totale ». Quand elle a fait le compte, Isabelle a constaté que cela revenait à vivre avec 17 euros par jour. Dans ces 17 euros, il faut se loger, se nourrir, se laver, s’habiller et payer les factures et les taxes. 

Isabelle tourne ses cahiers de comptes dans tous les sens, elle additionne, soustrait, corrige avec son stylo. Mais elle sait qu’elle devra surtout se priver de tout. Et remettre constamment en cause le moindre de ses achats en se posant un certain nombre de questions telles que : est-ce qu’elle a vraiment besoin de ce pot de confiture, de cette plaquette de beurre, de ce savon ? Elle n’achète que le strict nécessaire, le minimum vital, comme Sébastien et Christine, à la différence près qu’Isabelle aime les produits frais. Elle cuisine de bons petits repas elle-même pour éviter d’avoir à acheter des plats préparés hors de prix. 

Évidemment, pour Isabelle, toutes ces privations, c’est épuisant et même usant. Elle s’est d’ailleurs rendu compte que les toilettes publiques étaient devenues payantes. Il faut donc avoir une pièce dans le sac parce qu’il n’y a presque plus de toilettes gratuites. Une pièce qu’elle n’a même pas. Effectivement, je me dis que ce sont des détails auxquels je ne réfléchis pas forcément, mais qui pour elle comptent énormément parce qu’ils la ramènent sans cesse à son statut et à sa situation, à sa pauvreté.

Isabelle me confie que ce qu’elle voudrait, c’est être « comme tout le monde », mais une fois au RSA, elle comprend que cela n’est plus possible. Elle n’a plus les moyens de rien, elle doit se restreindre constamment.

Extrait du livre de Claire Lajeunie, "Pauvres de nous", publié aux éditions Michalon.

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