Cette fraude délibérée qui a plombé deux décennies de recherche sur Alzheimer <!-- --> | Atlantico.fr
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Pourquoi la recherche contre la maladie d’Alzheimer piétine-t-elle ?
Pourquoi la recherche contre la maladie d’Alzheimer piétine-t-elle ?
©MIGUEL MEDINA / AFP

Immense gâchis

Les médicaments contre la maladie d'Alzheimer avaient jusqu’à présent un taux d'échec de 99% dans les essais sur l'homme. L’étude ayant établi le modèle du fondement de la recherche sur la maladie d'Alzheimer au cours des 16 dernières années pourrait non seulement être faux, mais être une fraude délibérée.

Christophe de Jaeger

Christophe de Jaeger

Le docteur Christophe de Jaeger est chargé d’enseignement à la faculté de médecine de Paris, directeur de l’Institut de médecine et physiologie de la longévité (Paris), directeur de la Chaire de la longévité (John Naisbitt University – Belgrade), et président de la Société Française de Médecine et Physiologie de la Longévité.

Il est l'auteur de plusieurs ouvrages, notamment de "Bien vieillir sans médicaments" aux éditions du Cherche Midi, "Nous ne sommes plus faits pour vieillir"  chez Grasset, et "Longue vie", aux éditions Telemaque

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Atlantico : Ce mois-ci la recherche contre la maladie d’Alzheimer est chamboulée. Le chercheur qui aurait trouvé l’une des causes les plus importantes du déclin cognitif de la maladie d’Alzheimer aurait falsifié son travail. Actuellement en train d’investiguer, la revue Nature appelle les chercheurs à la précaution s’ils doivent utiliser le travail publié en 2006. Comment auraient-ils procédé selon les allégations ?

Christophe de Jaeger : Les travaux ont été publiés dans l’une des plus grandes revues scientifiques, Nature. Il s’agit d’une recherche sur l’influence de la protéine amyloid-β dans le développement de la maladie d’Alzheimer. Avant chaque publication scientifique, on soumet son travail à des reviewers et à un comité d’experts, Les experts examinent les travaux proposés à la publication et posent un certain nombre de questions sur les données, les méthodes, les résultats afin d’éclairer le travail. Si les réponses sont satisfaisantes, alors la revue procède à la publication de l’article.

Une fois validé et publié, personne ne peut penser que les données publiées sont volontairement fausses.  Parfois, d’autres équipes de scientifiques vont chercher à reproduire les résultats publiés. Soit les résultats vont dans le même sens et cela renforce la crédibilité de la première étude. Soit, et cela arrive, les résultats divergents et à ce moment-là, les différentes équipes essaient de comprendre le pourquoi du comment. Dans le cas présent, il semblerait qu’il ne s’agisse pas d’une erreur ou d’une divergence d’interprétations, mais d’une authentique falsification avec la présentation de figures et d’images volontairement construites et falsifiées d’après les premiers éléments de l’enquête. S’il s’agit vraiment d’une fraude, celle-ci aura des conséquences considérables d’une part sur la crédibilité scientifique en général, mais également sur toutes les équipes qui, ensuite, ont basé leur travail (y compris sur des patients humains) sur ces recherches de 2006.

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À quel point cette fraude aurait-elle ralenti la recherche ? Les médicaments développés se focalisaient-ils tant sur cet oligomère ? 

 La publication d’une étude par une revue scientifique vaut reconnaissance. Ainsi, d’autres chercheurs se sont basés sur cette protéine Aβ*56 qui devait être à l’origine de la maladie d’Alzheimer pour lui chercher un traitement efficace. L’industrie pharmaceutique a emboîté le pas et a donc cherché à détruire cette protéine à travers un certain nombre de médicaments. Des essais cliniques ont étés organisés sans succès. Ces échecs peuvent mieux se comprendre aujourd’hui, si les travaux initiaux étaient falsifiés.

 Ces échecs au départ ne sont pas forcément surprenants, car il y a une grande différence entre un cerveau humain et un cerveau de souris, objets des recherches de 2006. Ce qui peut marcher chez la souris peut ne pas marcher chez l’être humain. Mais ici, le problème est bien différent, car il s’apparenterait plus à une fraude qu’à un problème de différence d’espèces. Ces dernières années, les différents laboratoires qui ont tenté de trouver des médicaments destinés à lutter contre cette maladie ont fait fausse route en se disant que leur échec venait d’une différence entre la souris et l’être humain. Ils ont donc persévéré pour trouver la bonne solution pour neutraliser cette protéine  Aβ*56.

 Mais si la falsification est avérée, il s’agit également d’un drame humain, car de nombreux patients ont été intégrés dans des protocoles de recherche, en vain. Le problème n’est donc pas seulement théorique, on parle de souffrance humaine, de temps et de ressources de recherches gâchées.

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 Pourquoi la recherche contre la maladie d’Alzheimer piétine-t-elle ? 

Je dirais qu’une des principales raisons est que l’on ignore toujours aujourd’hui la ou les causes de cette maladie. Les hypothèses sont multiples (sensibilité génétique, infection virale, toxicité, etc…) avec une probable intrication de ces différentes causes. Les travaux de Sylvain Lesné publiés en 2006 ont donc d’autant plus intéressé le monde scientifique, car il mettait en évidence une étiologie possible à la maladie. Cela a été un immense espoir et aujourd’hui on revient à la situation antérieure où l’on ne sait pas quelle est la cause de cette maladie. Y a-t-il une susceptibilité génétique, est-ce viral, hormonal ? 

 Pourquoi faire une telle fraude ? 

Il peut exister plusieurs explications, à condition que la fraude soit avérée, car pour l’instant, il n’existe qu’une enquête. Par exemple, dans certaines universités, les chercheurs sont obligés de publier un certain nombre d’articles pour qu’ils continuent à avoir leur budget. De ce budget peut dépendre le nombre d'étudiants, les crédits pour acheter du matériel, etc… Un travail négatif ne compte pas. En d’autres termes, aucune revue ne publiera un travail où l’on dit : « nous avons cherché l’implication de la protéine Aβ*56 dans la maladie d’Alzheimer chez la souris et nous n’avons pas trouvé de lien ». SI donc cette protéine n’était pas impliquée dans le déclin cognitif, le résultat est scientifique, mais il est négatif et aucune revue ne l’aurait publié. C’est la première explication qui peut venir à l’esprit, mais pour avoir le fin mot de l’histoire il faudrait interroger le principal auteur de l’article.

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