Cette explosive prime à la violence politique que sécrètent discours politiques gestionnaires et algorithmes des réseaux sociaux <!-- --> | Atlantico.fr
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Des manifestants se battent avec la police lors d'une manifestation dans la ville de Nantes, le 21 juin 2021
Des manifestants se battent avec la police lors d'une manifestation dans la ville de Nantes, le 21 juin 2021
©LOIC VENANCE / AFP

Démocraties en danger ?

Dans nos démocraties occidentales, le nombre de citoyens qui disent comprendre le recours à la violence contre le pouvoir politique augmente sensiblement.

Benjamin Morel

Benjamin Morel

Benjamin Morel est maître de conférences en Droit public à l'Université Paris II Panthéon-Assas.

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Atlantico : En France comme aux États-Unis, la proportion de citoyens qui disent comprendre le recours à la violence contre le gouvernement atteint des niveaux inquiétants, jusqu’à 1/3 des citoyens consultés dans les études d’opinion. S’agit-il selon vous de « simples » mais brutaux moments d’exaspération sporadiques » qui se traduisent par des heurts lors de manifestations ou peut-on redouter le recours à une violence plus organisée, plus insurrectionnelle ?  

Benjamin Morel : Tout d’abord, vous avez eu le bon réflexe en ne centrant pas le sujet uniquement sur la France. Souvent, il est de coutume de dire qu’il existe une spécificité française en la matière. C’est très commode, car, une fois posé ce postulat, chacun peut vendre sa poudre de perlimpinpin pour tenter de régler le problème en prescrivant ce qui lui semble enviable à l’étranger. On retrouve alors les éternelles antiennes. Pour certains c’est la verticalité présidentielle, pour d’autres les impôts, la centralisation, la pizza à l’ananas ; et le plus souvent c’est juste Emmanuel Macron (ou François Hollande ou Nicolas Sarkozy). Or le phénomène n’a rien de franco-français. Il y a un an, un homme avec une peau de buffle sur le dos s’asseyait au perchoir de la chambre des représentants, et la prise du Capitole faisait cinq morts. Nous avons certes des permanences parlementaires brûlées, mais en Grande-Bretagne deux députés ont été assassinés : Jo Cox en 2016 et David Amess en 2021. En Italie, les législatives de 2018 ont été marquées par une fusillade à Macerata ; en août dernier, Massimo Adriatici, un adjoint municipal de Voghera, a tué d’une balle un citoyen marocain. Vos confrères ont également fait un bon papier sur la montée de la violence politique en Allemagne[1]. Dans la dernière enquête pour la Fondapol, 26 % de nos compatriotes sont favorables à la possession d’une arme pour se défendre, contre 22 % des Britanniques, 27 % des Allemands, 40 % des Italiens. Il convient de savoir que nos voisins suisses sont plus violents que nous, avec 31 % qui se rêvent Clint Eastwood. Bref, si l’on veut vraiment traiter ce problème, il faut cesser de l’instrumentaliser pour réchauffer ses marottes. 

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Il faut par ailleurs décontextualiser notre regard et prendre acte que la violence est cyclique à travers l’histoire. On la connaît fortement durant la Révolution où elle est centrale pour comprendre pourquoi les différentes majorités mettront la Terreur à l’ordre du jour. « Soyons terribles pour empêcher le Peuple de l’être », dit Danton. La violence doit être ramenée dans les mains de l’État pour être, si ce n’est civilisée, au moins maîtrisée. On la retrouve ensuite dans les années 1890, 1930 puis 1960. La France a vu des bombes exploser au cœur de l’Assemblée nationale, l’Amérique a vu des présidents tomber sous les balles.  

On reviendra sans doute sur les effets et les causes de cette violence, mais pour répondre à votre question, en France je ne vois pas celle-ci se muer en mouvement insurrectionnel. Ce n’est pas un mouvement d’exaspération sporadique. Il est profond et enraciné dans l’ensemble du monde occidental. Mais pour que des actes de violence deviennent insurrectionnels, il faut au moins une condition : l’existence d’une force ré&volutionnaire suffisamment puissante et organisée pour s’emparer du pouvoir. On peut être en désaccord avec les antipasses, ils ne ressemblent pas vraiment aux chemises noires ou au Parti bolchévique. Les gilets jaunes auraient pu représenter une telle organisation, mais ils ont été incapables de structure. Il faut ensuite soit un pouvoir central extrêmement affaibli (cas de la Russie impériale en 1917) soit un fort soutien au mouvement insurrectionnel dans les élites économiques et étatiques (cas de la marche sur Rome). On n’en est pas là pour l’instant. Aux États-Unis, en revanche, ces facteurs peuvent être réunis. 

Cette montée de la tentation de la violence — ou a minima de la compréhension envers ceux qui utilisent la violence comme mode de protestation politique — est-elle à mettre en perspective avec le fait que les Français s’intéressent moins à la campagne présidentielle en 2022 qu’en 2017 ? [5 points en moins selon les enquêtes de la fondation Jean Jaurès] ? Et quelle part de responsabilité respective portent les politiques, les médias, les réseaux sociaux ou les citoyens eux-mêmes ?  

Oui, il me semble y avoir un lien. Il est de plusieurs ordres. D’abord, nous vivons une crise de la représentation. Qu’est-ce que cela signifie ? D’abord, une crise de la représentativité. Elle se décline en plusieurs facteurs : fragilités des partis, mode de scrutin… Toutefois, cela n’explique pas tout. Dans la représentation, il n’y a pas que la représentativité, ce à quoi souvent l’on s’arrête. Représenter, c’est également « agir au nom de ». La crise des gilets jaunes est intéressante à cet escient. Le RIC n’arrive pas dans les demandes avant le mois de janvier. Avant les revendications sont économiques et sociales, mais l’État répond non. Or le non, pour quelqu’un qui attend que l’État, qui n’est que l’instrument collectif de la souveraineté du corps politique, agisse sur ce qui lui semble le plus légitime (manger), n’est pas tolérable. L’État dit, je ne peux pas. Mais cette impotence est vue comme insupportable. Alors il faut reprendre le contrôle de l’État. Le pousser à agir. Deux solutions. La première est pacifique, c’est le RIC. La seconde est violence, car il s’avère que quand on saccage l’Arc de Triomphe, ce qui était impossible semble ne plus l’être le lendemain. Ainsi voit-on au mois de janvier le taux d’approbation des violences monter jusqu’à 30 % dans certaines enquêtes. L’épuisement du politique dans un discours gestionnaire qui ne donne pas le sentiment d’une alternative possible est donc facteur de violence. La politique n’est jugée comme efficace comme instrument de régulation pacifique des conflits que si elle est réputée à même de porter une alternative. C’est pour ça que la violence est généralement le fait de groupuscules minoritaires (extrême droite, extrême gauche, anarchistes…), car ils savent qu’ils ne peuvent obtenir gain de cause pacifiquement. 

L’autre facteur a en effet trait à l’état du débat public et les réseaux sociaux en portent une lourde responsabilité. Pas tant parce que les politiques y disent des grossièretés, ou y font des doigts d’honneur… Le principal effet des réseaux est d’accoutumer le Peuple à la violence, d’autant que très rapidement ce qui y est produit fait le tour des chaînes d’information en continu. L’exposition de la population à la violence de rue en Allemagne durant les années 20 a beaucoup fait pour désensibiliser le peuple allemand dans les décennies qui suivront. À force de la voir la violence, on ne la regarde plus, on ne s’en émeut plus. On s’habitue. Or à travers les réseaux, le moindre acte est vu de tous, et plusieurs fois. En 1961, on crache sur le Général de Gaulle à Quimper. Il n’y a pas grand-chose à en dire dans un journal. Cela fait quelques lignes. Lorsqu’Emmanuel Macron est giflé, cela est filmé par ceux mêmes qui veulent en faire un geste politique. La gifle passe de tweet en chaîne d’infos. L’auteur est certes condamné, mais il a fait la une. L’ensemble des Français a été exposé à la violence, ils finissent par s’y accoutumer. Quant à ceux qui partagent les opinions du siffleur, ils se disent que leur répertoire d’action est simple : soit ils écrivent un livre de 500 pages, qui ne trouvera pas d’éditeur, et dont personne ne parlera, pour démonter le bilan du Président ; soit ils agissent avec violence et ils auront leur moment de gloire. En beaucoup plus dramatique et sanglant, le terrorisme repose sur la même logique de communication. L’important n’est pas les effets de l’attentat, mais le fait que son écho rend audibles ses revendications et accoutume la société à la violence pour mieux la renverser. Avec les réseaux sociaux, cette stratégie est à la portée des amateurs et créée des effets mimétiques et moutonniers. 

Cette montée des pulsions de violence traduit-elle un blocage conjoncturel des démocraties occidentales face à la pandémie ou la mondialisation ? Ou pire, une sorte de fatigue de la démocratie libérale ? 

Comme je le disais, elle traduit une fragilité de notre système de représentation. Même si la question institutionnelle joue, elle n’est pas première. C’est la possibilité de faire valoir des récits politiques alternatifs et de leur donner une chance de se concrétiser qui caractérise notre époque et fragilise la politique comme instrument de sélection des possibles. 

Là-dessus, la politique sanitaire représente un cas paroxystique puisqu’elle impose des choix drastiques qui sont parfois difficiles à comprendre. Elle joue par ailleurs sur une défiance vis-à-vis de la construction sociale de la connaissance, sur laquelle jouent également les réseaux sociaux. Je me suis informé sur internet et je découvre un article expliquant que la Covid a été inventée par les illuminatis pour me contrôler grâce à la 5 G. Les réseaux sociaux peuvent me conduire à m’en convaincre. En effet, si je commence à regarder des vidéos sur la terre plate, les algorithmes, qui ne pensent pas à mal, juste à me faire rester le plus longtemps possible sur la plateforme, vont m’en proposer d’autres. Après 30 vidéos, je vais rentrer dans une communauté platiste en ligne pour discuter de mes nouvelles découvertes, où mes convictions ne vont pas, comme dans la vie réelle, se confronter à des arguments contradictoires. Il va donc m’apparaître évident que la thèse que je défends est juste. Et un jour, j’allumerai France 2 ou BFM télé. Là des gens vont sembler totalement ignorer que nous sommes en train de mourir de la 5 G illuminati-reptiliano-vaccinale. Que faire ? Les convaincre ? Ça ne va pas aller loin. Ma cause est juste. Il y va de l’avenir de nos enfants. Personne ne m’écoute. Seule la violence est alors perçue comme efficace et donc au vu de l’enjeu, légitime. Je n’assimilerai donc pas totalement la violence antivax à la violence politique. Elle est encore plus profonde, elle est l’aboutissement d’un épuisement de la confiance dans l’acquisition sociale du savoir. 

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