Cette dette (massive) cachée qui commence à remonter à la surface en Chine<!-- --> | Atlantico.fr
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La dette cachée est estimée en 2022 à 57 000 milliards de yuan (8 300 milliards de dollars) par le Fond Monétaire International (FMI), soit près de 48% du PIB.
La dette cachée est estimée en 2022 à 57 000 milliards de yuan (8 300 milliards de dollars) par le Fond Monétaire International (FMI), soit près de 48% du PIB.
©GREG BAKER / AFP

Economie chinoise

Un article de Caixin évoque l’existence de différentes formes et canaux de dette cachée des collectivités locales en Chine.

Anthony Morlet-Lavidalie

Anthony Morlet-Lavidalie

Anthony Morlet-Lavidalie est économiste chez Rexecode et BSI Economics. Au sein du pôle Conjoncture de Rexecode, il assure le suivi conjoncturel et les prévisions pour les pays émergents.

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Atlantico : Un article de Caixin évoque l’existence de différentes formes et canaux de dette cachée des collectivités locales en Chine. Comment cela se matérialise-t-il ?

Anthony Morlet-Lavidalie : Tout d’abord, commençons par définir ce qu’est cette « dette cachée ». Ce terme renvoie aux titres de dettes émis par des véhicules de financement créés de manière ad hoc par les collectivités locales (appelés LGFV). Cette manière d’opérer permet aux collectivités locales de générer de la dette hors bilan. Cette dernière n’apparaît nullement dans les comptes publics publiés par le Bureau National de Statistiques (NBS). Mais cette dette cachée est en réalité l’éléphant dans la pièce puisqu’elle est estimée en 2022 à 57 000 milliards de yuan (8 300 milliards de dollars) par le Fond Monétaire International (FMI), soit près de 48% du PIB. Autrement dit, la dette « consolidée » des collectivités locales (c’est-à-dire en incluant ces véhicules de financement) serait le double de celle officiellement mesurée.

Initialement, ces véhicules de financement investissaient les montants levés en grande partie dans des projets d’infrastructures et des constructions immobilières, mais désormais plus de la moitié des fonds sont mobilisés pour d’autres dépenses que celles en capital.

Avec cette dette, les décideurs politiques reconnaissent-ils que l'augmentation incessante de la dette chinoise est le résultat inévitable d'objectifs de croissance du PIB qui dépassent la capacité sous-jacente de l'économie ?

Il ne fait nul doute que le recours à ces véhicules est lié aux objectifs ambitieux en termes de croissance du PIB qu’impose l’Etat central aux collectivités locales. Mais cela tient également à l’encadrement du financement des collectivités locales dont les quotas annuels d’émissions obligataires sont définis par le gouvernement central. Prises en étau entre des cibles de croissance très élevées et un corsetage de leur capacité à se financer, les collectivités locales n’ont d’autres choix que de recourir à ces véhicules de financement pour tenir leurs objectifs.

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Pourtant, il serait souhaitable que les autorités se rangent derrière l’idée que la croissance potentielle s’affaisse sous le poids d’un vieillissement démographique prononcé et d’un ralentissement sensible des gains de productivité. Dans nos perspectives de l’économie mondiale parues au mois de mars dernier, nous estimions la croissance potentielle de la Chine à environ 4% à horizon 2027, et cette dernière devrait continuer d’infléchir à plus long terme.

À quel point la dette des collectivités locales est un boulet au pied de la Chine ?

Qui dit dette cachée, ne veut pas dire dette inoffensive. Le paiement annuel des coupons et le remboursement du capital qu’effectuent les véhicules de financement une fois que les obligations arrivent à maturité se financent grâce au retour sur investissement des projets initialement financés. Or, la rentabilité de ces projets s’est considérablement érodée à mesure que le déficit d’infrastructures dont souffrait la Chine s’est comblé. Gavekal Research estime qu’au début d’année 2022, le rendement moyen des actifs adossés aux obligations LGFV n’était que de 0,4% par an.

Il en résulte un bilan financier très dégradé de ces véhicules de financement. Comme l’analyse le Global Financial Stability Report du FMI d’octobre 2021, de nombreux véhicules de financement sont en incapacité de générer des bénéfices suffisants pour couvrir la charge d’intérêt qui leur incombe à un horizon de 3 ans. De par leur poids et leur enchevêtrement aux différents acteurs économiques, les LGFV représentent un risque majeur pour la stabilité financière. À titre d’exemple, le FMI mentionne qu’une légère hausse des défaillances de ces véhicules suffirait à entraîner une forte dégradation des bilans bancaires, notamment celui des banques publiques qui détiennent massivement des obligations émises par les LGFV et étant parmi les principaux créanciers de ces véhicules.

Comment la Chine peut-elle significativement réduire sa dette ? Si elle ne maîtrise pas la trajectoire de la dette publique dans les années à venir, cela pourrait-il avoir des conséquences importantes sur l’économie chinoise ?

La première chose à avoir en tête sur les finances publiques chinoises, c’est que la crise financière de 2015 a été un véritablement tournant dans la manière de conduire la politique budgétaire. Malgré le retour de la croissance à partir de 2017 n’y a rien fait, les autorités ont continué de stimuler l’activité et le solde budgétaire n’a cessé de se dégrader depuis lors. Alors que sur la période 2005-2014, le déficit public ne s’élevait en moyenne qu’à 0,7% du PIB, il est tombé à 6,7% entre 2018 et 2022. La conséquence directe d’une telle politique est le doublement de la dette publique (hors LGFV) en l’espace de dix ans : le ratio de la dette publique rapportée au PIB est passé de 34,4% en 2012, à 77,7% en 2022.

Si restauration des comptes publics il doit y avoir, elle passera certainement par les deux leviers des finances publiques que sont les dépenses et les recettes. En particulier, la Chine devra améliorer sa capacité à lever l’impôt. Le système fiscal chinois demeure trop parcellaire avec une absence de taxe foncière, d’impôt sur les successions, d’impôt sur les plus-values financières.

Sans aucun effort sur le plan budgétaire, la soutenabilité de la dette publique chinoise pourrait être menacée à terme. Si pour l’heure, la dette publique est financée par la montagne d’épargne intérieure, permise par un taux d’épargne national extrêmement élevé (à plus de 45% du revenu national) couplé à un contrôle des capitaux, la Chine pourrait voir sa dette extérieure augmenter si les financements domestiques devenaient insuffisants.

Une chose est sûre, la Chine ne pourra maîtriser sa dette publique qu’à la condition où les autorités accepteront des taux de croissance plus faibles à l’avenir.

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