Ces trois murs de Matignon contre lesquels Jordan Bardella comme Jean-Luc Mélenchon risqueraient bien de se fracasser<!-- --> | Atlantico.fr
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Jordan Bardella pourrait être nommé à Matignon en cas de majorité absolue pour le RN lors du second tour des législatives.
Jordan Bardella pourrait être nommé à Matignon en cas de majorité absolue pour le RN lors du second tour des législatives.
©LUDOVIC MARIN / AFP

Cohabitation

Les législatives conduiront à une cohabitation en cas du succès du RN ou du NFP. Le Président de la République et de nombreux contrepouvoirs mettront plus de bâtons dans les roues de la nouvelle cohabitation que Chirac et Balladur n’en auront jamais eus.

Pierre Bouchardon

Pierre Bouchardon

Pierre Bouchardon, du nom d’un haut-magistrat intègre sous l’Occupation, est un haut-magistrat tenu au devoir d'anonymat.

Pierre Bouchardon, la figure historique, a présidé la commission d'instruction près de la Haute Cour Justice après la guerre. Il a instruit, dès le 30 avril 45, le procès du Maréchal Petain, celui de Pierre Laval ainsi que celui de Robert Brasillach. Le général de Gaulle lui a proposé de présider la Cour de Cassation, ce qu'il a choisi de refuser car son fils, résistant déporté, était encore aux mains des Allemands et il a choisi de rester dans l'ombre pour mieux le protéger.

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Les législatives soudaines de 2024, provoquées par une dissolution irrationnelle d’un chef d’Etat « à la Caligula », conduisent, en cas de succès du RN ou du « nouveaux » Front Populaire, à une inévitable cohabitation dont le suspens ne va plus tarder.

Cette cohabitation a les « faux précédents » de 1986 et de 1993, puisqu'elle ne laisse, pareillement, que deux ans théoriques d’action gouvernementale de rupture et, comme pour la cohabitation Balladur, interviendra dans cette séquence une élection nationale intermédiaire ( ici les municipales en 2025).

Deux ans pour mener et poursuivre la politique d'une majorité bien installée au pouvoir, c'est déjà un délai court pour toute législature, afin de boucler son programme présidentiel. Mais deux ans pour une majorité de rupture, c'est la quadrature du cercle pour prouver un changement, par des résultats tangibles, alors que le Président de la République (dont rien ne l’obligera à la démission), et de nombreux contrepouvoirs, mettront plus de bâtons dans les roues de la nouvelle cohabitation que Chirac et Balladur n’en auront jamais eus.

On sait comment cela a fini, en 1988 et 1995, pour les hôtes de Matignon, et leur majorité législative…

Aux ressemblances, s’ajoutent des différences aggravantes.

Trois Murs face à Matignon

Le quinquennat Macron I et la première partie du quinquennat suivant laissent à toute majorité qui succèderait un premier mur, le « Mur de la dette » et la drastique question du budget de l’Etat, sous surveillance de la Commission européenne (qui aura l’hostilité qu’elle avait envers la Pologne et la Hongrie) et des marchés financiers, à un niveau sans précédent, et contraint à un calendrier constitutionnel qui suppose des arbitrages effectués avant l’été.

D’aucun pense d’ailleurs que la dissolution surprise d’Emmanuel Macron est peut-être d’avoir cherché àse débarrasser d’un bourbier budgétaire, en piégeant les futurs détenteurs du pouvoir.

Les contrepouvoirs hostiles se sont aussi aiguisés comme jamais depuis 1993.Comme pour les cohabitations de 86 et 93, le nouveau locataire de Matignon saura compter sur l’hostilité du président du Conseil constitutionnel (Badinter alors, Laurent Fabius aujourd’hui, en place jusqu’en février 2025). Sauf que ce « Mur du droit », deuxième mur, s’est considérablement accru depuis les années 90. Les normes ayant doublé en vingt ans, la QPC [i] devenant l’arme des opposants drapés dans l’Etat de droit, le parcours d’une loi ou d’un décret d’application est de 18 mois en moyenne ! Défaire ou même réformer une telle « toile d’araignée » est devenu infernal pour tout pouvoir, qui plus est de « changement », dans un sens qui ne serait pas la pente naturelle la plus facile.

A ces handicaps institutionnels, aggravés à la puissance dix, s’ajoute une fracturation civique extrêmement préoccupante, nouvelle par rapport aux deux précédentes cohabitations, et sur lesquelles tous font l’autruche. A cause de cette fracturation civique, la cohabitation qui s'annonce ne devra être ni arrogante, ni faire croire à des « châteaux en Espagne ».

C’est LA seconde raison s’ajoutant à la première de nature plus institutionnelle :

Tous les partis en lice devraient en effet faire preuve de la plus grande humilité démocratique qui soit. Ce qu’on appelle les suffrages exprimés (ne tenant compte ni des absentions, ni blancs et nuls) sont une photo déformante. Le mérite des élections européennes (proportionnelle nationale) est d’être plus qu’un sondage, c’est la « photo notariée » des rapports de forces politiques à l’instant T, 100 % fidèle, contrairement au mode de scrutin déformant des législatives (majoritaire à deux tours, aux triangulaires possibles).

Mais c’est à la condition de prendre ses résultats en nombre d’inscrits. La France telle qu’elle est et non telle que chaque parti s’illusionne qu’elle serait en « piaffant » sur un plateau de télévision.

La vérité est que RN ne fait que 15,7% des électeurs inscrits. Admettons qu'il réussisse à s'entendre avec 100% de Reconquête (2,7 %) (alors que ce courant a déjà explosé entre la ligne E.ic Zemmour et la ligne Marion Maréchal Le Pen), et admettons que la ligne Eric Ciotti représente la moitié des électeurs de François-Xavier Bellamy (3,7 %), Jordan Bardellane pèse au mieux que 20% des Français ! Où est le raz-de-marée « à droite » ?

Il faut enfoncer le clou : on ne gouverne pas la France avec 20 à 21 % des Français, et alors que 80% des Français restant seront soit des opposants farouches qui se sont exprimés (des macronistes aux insoumis…), soit des Français (un sur deux) ayant préféré l'abstention des urnes, mais pouvant devenir de rudes opposants dans la rue…Qui a dit que les Gilets jaunes étaient des habitués modèles des urnes ? Ils ont pourtant fait trembler la Macronie. En 86 et 88, les majorités de Chirac (33,5 % des inscrits) et Balladur (30,3 %) avaient de bien meilleurs ancrages dans l’opinion, même versatile par rapport à 81 et 88, pour réussir leur pari…échoué.

Si on raisonne en cohabitation « nouveau » Front populaire, l’addition de leur représentativité réelle est pire : au mieux 15% (listes du PS, de LFI, d’EELV et du PC). Cela ne les prive pas de l’arrogance au centuple de prétendre représenter, avec 15% des voix, la voix du « Peuple » entier !

TOUS devraient faire preuve de davantage d’humilité démocratique, et redescendre sur terre.

C’est le troisième mur, devant lesquels les futurs cohabitants seront confrontés, avec l’effritement démocratique continue en France depuis 1958 : le « Mur de la sous représentativité » des pouvoirs législatifs.

Toute réforme sensible se heurtera donc à ce triple Mur : le Mur de la dette, le Mur du Droit et le Mur de la sous-représentativité.

Tout Pouvoir qui oublierait ces handicaps apprendra vite à ses dépens le principe de réalité. Ce principe de réalité, sans parler des marchés financiers et de la notation de la France (qui sera abaissée encore), se rappellera très vite, d’une parten termes d’ordre public, avec, dans l’hypothèse Bardella, l’annonce insurrectionnelle non voilée de LFI, instrumentalisant au passage les caïds des banlieues pour « se soulever » contre le supposé racisme du RN, l’insurrection ayant déjà commencé en Nouvelle-Calédonie à un niveau supérieur à 1988 (mortalité en moins, à date).

D’autre part, en termes politiques, et ce dès 2025, avec l’échec à craindre de la nouvelle majorité aux municipales (où le RN jouit traditionnellement d’un mauvais ancrage),et, sans pause, l’année suivante, avec la revanche pour beaucoup d’adversaires, aux présidentielles de 2027 (en se plaçant dans cette hypothèse d’agenda constitutionnel).

Ces données du « cru 2024 » d’une quatrième cohabitation de la Ve, les trois Murs ci-dessous, obligeront un nouveau Premier ministre responsable à savoir mettre de « l'eau dans son vin » et à naviguer par temps de tempête, en jouissant de deux atouts personnels incontournables, sauf échec programmé et que nous parions dès à présent.

Car le choix de celui ou celle -qui ne peut faire autrement que d'accepter de diriger un gouvernement puisqu’une « majorité » des électeurs en a donné mandat- n’est pas une affaire de tréteaux de meetings ni de plateaux de médias.Que la future majorité soit relative (vraisemblablement, voire vivement souhaitable, afin de prévenir tout abus constitutionnel) ou absolue, le principe de continuité de l’Etat obligera à ce qu’un camp de la majorité législative pousse comme candidat ou candidate à Matignon un choix qui soit d’abord « sérieux ».

Mais un candidat au poste de Premier ministre n’est ni un superman ni un kamikaze ni un idiot utile. En politique, il ne faut prendre ses désirs pour des réalités. Tel candidat poussé initialement, pressenti par un lobby ou un média partisans (mais sans que ces derniers ne mesurent les réalités globales),peut s’avérer un futur échec garanti, face aux motions de censure qui tomberont « comme à Gravelotte ».

Soit Premier ministre rassembleur et expérimenté, soit le chaos !

Le nouveau Premier ministre ne peut qu'être un homme ou une femme, rassembleur et un expérimenté, ou alors le chaos, déjà à nos portes, entrera à coup sûr dans la « maison France ».

Cette problématique est symétrique au RN comme au « nouveau » Front populaire !

-Un homme ou une femme rassembleur, d’abord, qui comme dans toutes les démocraties occidentales parlementaires, adultes et responsables (Allemagne, Italie, Autriche, Benelux…), prendra son bâton de pèlerin pour rechercher (au besoin sur plusieurs semaines estivales) un « contrat de gouvernement », avec d'autres forces politiques issues du 7 juillet, pour solidifier un pacte de majorité législative stable, sur la base d'un « programme minimum », dans lequel chacun devracéder de ses outrances et de ses revendications de tréteaux pour le Bien commun.

-Un homme ou une femme expérimenté ensuite, car aucun « amateur en politique » de la Ve République ne saura résister à ce challenge de 2024, presque impossible, face aux trois Murs précités, dans un contexte d’ordre public pré-insurrectionnel, avec déjà l’insurrection à Nouméa et, en plus, une capitale hostile (dans l’hypothèse Bardella).

La nécessaire expérience, tant de la vie politique, des institutions et de la gouvernance, élimine sérieusement un Premier ministre, issu du FN, comme J. Bardella, ou issu du « nouveau » Front populaire, comme le « trop plein » s’en est déjà autoproclamé capable d’y prétendre. Il faut y ranger Raphaël Glucksmann parmi ces « amateurs »,étant inexpérimenté pour un contexte explosif comme celui de 2024, y compris pour « contenir » au millimètre un J.L Mélenchon.

S’entêter dans un choix irrationnel, que dicterait au Président de la République tel parti bruyant au sein du Palais Bourbon, pour des raisons de pure logique partisane, serait un suicide politique,un non-sens de l’intérêt général et un échec à court terme dans ce qui s’annonce déjà un court terme.

Qui a l’étoffe de relever ce défi, côté « RN+ » (c’est-à-dire une supposée coalition allant de l’ancien FN aux ralliés du LR), comme côté « nouveau » Front Populaire ?

C’est évidemment complexe à parier pour identifier celui ou celle réunissant les deux qualités précédentes.

Côté RN+, seul dans ce futur groupe parlementaire, s’il était majoritaire le 7 juillet, pourrait, à notre sens, correspondre : Thierry Mariani.

Il n’est pas un FN historique (ce qui est un bonus) ; il jouit d’une longue carrière d’élu de terrain et de députation et, seul, se trouve à avoir exercé des fonctions ministérielles d’importance (ancien ministre des Transports de Nicolas Sarkozy). Ces atouts incontournables lui confèrent les qualités de rassembleur, par sa capacité de trait d’union entre des droites qu’il tutoie, son expérience de l’Etat et de ses rouages (rapports avec les Administrations et le Conseil d’Etat)…

Quant à Jordan Bardella, il aura beaucoup à apprendre en intégrant un gouvernement,éventuellement en y exerçant un ministère régalien, en y découvrant les devoirs de la solidarité gouvernementale, expérience qui freine les surenchères et ramène les pied sur terre. Ce sera au mieux pour lui un « contrat d’apprentissage », pour l’avenir, tant il ne faut pas confondre bateleur d’estrade de bon niveau et gouvernance.

Côté « nouveau » Front populaire, les outrances d’un Jean-Luc Mélenchon, comme celles de ses troupes, illustrées à l’Assemblée nationale sortante, élimine toute candidature issue de LFI , clivante même au sein de cette coalition qui n’a comme seul front commun que « s’opposer » au RN.

Seul, dans ce conglomérat parlementaire s’il était majoritaire le 7 juillet, pourrait,à notre sens, correspondre « naturellement » : François Hollande.

Cela pourrait ressembler une blague, à laquelle celui qui les affectionne ne s’y attendaitcertainement pas. Mais le probable nouveau député de Corrèze s’attendait-il à ce retournement de situation ?

Il pourrait être ubuesque d’avoir à Matignon l’ancien hôte de l’Elysée, et à l’Elysée l’ancien secrétaire général du nouveau Premier ministre, mais dans l’ubuesque dérive en IV e de notre Ve République, cet attelage n’est pas incongru. Cela pourrait fonctionner, en outre, vu du prisme du « nouveau » Front Populaire, avec un Premier ministre ancien expert des motions du PS.

Quoiqu’il en soit de toutes ces plans tirés sur la comète, la France va très mal.


[i] Question prioritaire de constitutionnalité

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