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Ces "psycho-matériaux" qui nous font du bien
©Flickr

Comme s'habiller pour aller mieux

Nous savons que des œuvres d’art provoquent en nous certaines émotions. On admire La Joconde, de Léonard de Vinci, parce que son sourire a un effet reposant, tandis que Le cri, d’Eduard Munch, déclenche l’anxiété. Certaines couleurs et formes influencent aussi nos émotions.

Si la plupart d’entre nous ressentent une douleur quand ils ont été piqués par une aiguille ou quand ils éprouvent une sensation d’amertume en suçant un citron, les scientifiques comprennent moins comment nous sommes affectés par ce que nous voyons. Car la vision constitue une activité bien plus complexe. Elle implique la forme, la dimension et la couleur dans un contexte à trois dimensions avec de multiples associations d’objets qui changent au fil du temps.

Nous savons que des œuvres d’art provoquent en nous certaines émotions. On admire La Joconde, de Léonard de Vinci, parce que son sourire a un effet reposant, tandis que Le cri, d’Eduard Munch, déclenche l’anxiété.

Nous savons aussi que des couleurs et des formes influencent nos émotions. Dès à présent, on utilise ces connaissances dans le design et la publicité commerciale. La couleur rouge, par exemple, nous fait réagir en attirant notre attention sur l’objet en question. C’est pourquoi les canettes de Coca-Cola sont rouges, tout comme de nombreux rouges à lèvres – sans parler des panneaux signalant un danger.

Keep cool.Syda Productions

Nous expérimentons quelque chose de similaire avec des angles aigus, c’est pourquoi on utilise les chevrons pour la signalisation routière. Par contraste, des angles plus arrondis et la couleur verte produisent un effet calmant.

Mais d’autres caractéristiques visuelles provoquent-elles des émotions semblables au sein de la majorité de la population ? Et si c’est le cas, pouvons-nous les manœuvrer pour modifier notre état d’esprit ? Pour l’essentiel, notre connaissance des couleurs et des formes nous vient des travaux de neuroscientifiques qui cherchent comment traiter des personnes souffrant de problèmes psychiatriques comme la dépression ou la schizophrénie. Cela tend à être limité et pas du tout pratique à utiliser dans la vie de tous les jours, ce qui est notre préoccupation.

Repérer les motifs

L’expérimentation effectuée par moi-même et Meixuan Chen, comprenait deux étapes. Dans la première, nous avons soumis 10 paires de dessins à 20 participants. Cela n’a pas l’air d’un groupe important, mais nous avons consacré à chacun d’entre eux un bon nombre d’heures. Les résultats ont été en corrélation pour plus de 80 % d’entre eux. Cette grande majorité suffit dans ce genre de recherche pour qu’on en tire des conclusions concernant l’ensemble de la population.

L’expérience en cours.George Stylios

Comme vous pouvez le constater grâce au dessin ci-dessus, chaque participant a vu les images sur l’écran d’un ordinateur. Nous avons examiné leurs réponses émotionnelles en mesurant l’activité de leur cerveau et de leur cœur à l’aide respectivement, de moniteurs EEG et ECG. Nous leur avons également demandé ce qu’ils ressentaient devant chaque dessin.

À ce stade, nous ne leur avons pas encore montré différentes catégories de motifs mais plutôt une large sélection, filmée volontairement en noir et blanc, puisque l’utilisation des couleurs aurait pollué le résultat. Voici les motifs :

George Stylios

À l’analyse des résultats, nous avons discerné deux tendances. Nos sujets ont pris davantage de plaisir aux motifs répétitifs qu’à l’inverse et ils étaient plus attirés par ceux qui comportaient le plus d’intensité que par ceux qui en avaient le moins. Face aux dessins répétitifs, par exemple, les participants enregistraient une augmentation des ondes thêta du cerveau dans une ligne médiane du lobe frontal. Ce qui, dans la littérature scientifique est associé à une émotion plaisante. Dans le même temps, nos participants ont trouvé les motifs non-répétitifs moins agréables et les motifs plus effacés davantage reposants.

Il est important de savoir que le plaisir et l’excitation, ce n’est pas la même chose du point de vue des neurosciences. Les éléments attirants nous surprennent, nous font dresser de notre siège et aiguiser notre attention. Cependant, ils ne sont pas nécessairement plaisants. Les choses peuvent être passionnantes et désagréables, comme être agréables sans pour autant retenir notre attention.

‘Ça a une bonne tête, non ?Wikimedia

Le défi pour les designers consiste à créer des objets plaisants et excitants à la fois. Exemple classique : les ordinateurs Mac que le groupe Apple avait créés dans les années 1990. Ils différaient tellement de ceux alors disponibles que le marché qu’ils ont surpris les consommateurs tout en étant extrêmement plaisants d’un point de vue visuel.

Lainages intelligents

Pour la deuxième étape de notre étude, nous avons conçu et tissé sur le campus quatre étoffes intelligentes à partir d’un fil composite électrochromique fabriqué pour l’occasion. Chacun de ces tissus, que nous avons baptisés psychotextiles, pouvait être articulé sur une échelle graduée, entre deux sortes de dessins. Deux de nos étoffes ont été traitées différemment, l’une comportant un motif répétitif, la seconde un non-répétitif, tandis que deux autres portaient pour l’une des motifs vifs et pour l’autre des motifs plus atténués.

Nous les avons testées sur 20 sujets de la même façon que lors de la première étape. Cela a confirmé nos découvertes précédentes mais pas seulement. Nous avons démontré qu’en changeant de motifs, nous pouvions faire basculer la personne d’une émotion à une autre, et recommencer dans l’autre sens. Comme le montre la vidéo, différents motifs ont généré de l’activité dans différentes parties du cerveau des participants qui sont liées à certaines réponses émotionnelles.

Ces résultats offrent de fascinantes opportunités. Utiliser une étoffe intelligente, cela signifie que quelqu’un pourrait choisir un motif lui permettant de ressentir une émotion particulière : des vêtements qui vous mettent de bonne humeur ou nous apaisent, par exemple. De même pour un papier peint qui serait traité afin de créer une atmosphère festive. Il pourrait être conçu afin de se trouver en harmonie avec le temps qu’il fait, ou avec l’heure de la journée, ou avec l’année, ou avec quoi que ce soit d’autre.

Cela pourrait devenir une sorte de « médecine visuelle » capable de constituer une alternative aux médicaments du type antidépresseurs. Il pourrait également transformer la fabrication industrielle du produit, son ingénierie, ainsi que l’enseignement de l’art et du design. Dans le futur, nous pourrions utiliser les termes de psycho-art, de psycho-intérieurs, de psycho-matériaux et de psycho-architecture, pour ne nommer que quelques possibilités.

Mais d’abord, il faut accomplir un important effort de recherche concernant l’interaction entre le cerveau humain et l’environnement. Les scientifiques devraient rechercher des motifs plus aléatoires, d’autres à base de lettres, des mélanges d’angles et de courbes, des dessins à effet tridimensionnel et ainsi de suite.

La prochaine étape serait d’associer les dessins à différentes couleurs et différentes formes. Après quoi, nous pourrions nous occuper de plus près des odeurs et des sons et commencer à les mélanger aux éléments visuels. Si nous arrivons à tirer le maximum des réactions que nous partageons tous, le futur commencera ici.

The Conversation

George Stylios, Senior Research Professor, Heriot-Watt University

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.

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