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Ces PDG du CAC40 qui au 10 janvier ont déjà gagné autant que ce que gagneront les Français les moins qualifiés en 2017 : qui sont ceux qui le méritent vraiment ?
©Reuters

Money money money

Alors qu'en 2015, la rémunération moyenne des patrons des 120 plus grandes entreprises française a atteint 1.8 millions d'euros, il n'aura fallu que quatre journées en 2017 pour ces patrons pour percevoir plus que l'équivalent d'un SMIC annuel brut. Est-ce que les compétences suffisent à expliquer ces gains qui semblent extravagants à beaucoup ?

Nicolas Goetzmann

Nicolas Goetzmann

 

Nicolas Goetzmann est journaliste économique senior chez Atlantico.

Il est l'auteur chez Atlantico Editions de l'ouvrage :

 

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Jean-Charles Simon

Jean-Charles Simon

Jean-Charles Simon est économiste et entrepreneur. Chef économiste et directeur des affaires publiques et de la communication de Scor de 2010 à 2013, il a auparavent été successivement trader de produits dérivés, directeur des études du RPR, directeur de l'Afep et directeur général délégué du Medef. Actuellement, il est candidat à la présidence du Medef. 

Il a fondé et dirige depuis 2013 la société de statistiques et d'études économiques Stacian, dont le site de données en ligne stacian.com.

Il tient un blog : simonjeancharles.com et est présent sur Twitter : @smnjc

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Atlantico : Alors qu'en 2015, la rémunération moyenne des patrons des 120 plus grandes entreprises française a atteint 1.8 millions d'euros, il n'aura fallu que quatre journées en 2017 pour ces patrons pour percevoir l'équivalent d'un SMIC annuel brut. Au regard de cette distribution inégalitaire des revenus, comment expliquer de façon rationnelle de tels niveaux de rémunérations ? Faut il y voir un effet direct de la mondialisation et du capitalisme financier ?

Jean-Charles Simon : Encore le chiffre que vous rappelez ne comprend que la partie des rémunérations versée en « cash », et pas celle, plus importante, des rémunérations en actions…

L’erreur de base sur ce sujet consiste à vouloir le traiter sous un angle moral. A chercher à définir ce qui serait « acceptable » ou pas, comme s’il s’agissait d’argent public. Alors que c’est un pur sujet de marché, d’offre et de demande. Entre les propriétaires d’une entreprise, représentés par leur conseil d’administration, et les dirigeants qu’ils choisissent. C’est aussi un marché du travail, mais un micro-marché très particulier. Où il va s’agir d’acheter un pedigree, une réputation, un profil, une expérience et des compétences susceptibles d’être les mieux perçus par les différentes contreparties – actionnaires, marchés, clients, collaborateurs… Avec bien sûr l’espoir que ce dirigeant crée le plus de valeur possible pour ces propriétaires de l’entreprise.
Ces rémunérations sont donc tout à fait rationnelles. Sinon, ceux qui possèdent l’entreprise feraient tout pour les réduire. Or leur présélection des candidats éligibles, selon les critères évoqués précédemment, les conduit à approcher des personnes déjà très bien rémunérées, et qui ont des alternatives également très rémunératrices, y compris en dehors de l’univers des entreprises cotées, les seules pour lesquelles les rémunérations sont transparentes. La plus forte rémunération du CAC 40 en 2015 a été celle du patron de Sanofi, tout juste recruté, en raison d’une importante prime d’arrivée qu’il a fallu lui verser pour qu’il accepte de quitter le grand groupe international dans lequel il travaillait auparavant.
On évoque parfois la consanguinité des conseils, dont les membres se protégeraient entre eux et s’attribueraient de manière croisée de très hautes rémunérations. Outre que cette situation n’a plus vraiment cours aujourd’hui en France, il faut observer que les rémunérations sont au moins aussi élevées dans beaucoup de pays étrangers où la composition des conseils est irréprochable de longue date, et les standards de gouvernement d’entreprise très élevés. On peut aussi observer que les actionnaires approuvent très massivement ces niveaux de rémunération à la lumière des votes de « say on pay » en assemblée générale, qui sont presque toujours largement favorables en France où dans les autres pays qui les prévoient. Enfin et surtout, un certain nombre de ces grands groupes cotés sont contrôlés par un actionnaire unique. Et dans ces groupes, les dirigeants sont également très bien payés, donc sur décision du propriétaire qui accepte ainsi ce coût qu’il supporte directement car il n’y voit pas d’alternative viable.
Si elles sont tout à fait rationnelles, ces rémunérations ont en effet certainement progressé sous l’effet de la mondialisation. Il y a davantage de comparaisons internationales dans l’échelle de ces rémunérations, et ont augmenté dans des pays où elles étaient traditionnellement plus faibles à raison du rapprochement qui était fait entre les dirigeants de groupes de même taille dans d’autres pays. Quant à la dimension financière, il est clair que rémunérer en grande partie en actions est vertueux à beaucoup de titres – ce sont les actionnaires qui « paient » et leurs intérêts sont directement alignés avec ceux des dirigeants –, mais aussi un effet très inflationniste dans des périodes où les marchés actions augmentaient fortement, en tout cas plus vite que les salaires.

Nicolas Goetzmann : L'effet mondialisation est le plus simple et le plus cohérent. D'une base nationale, les entreprises se sont ouvertes au marché mondial, avec un effet multiplicateur sur leurs clients et donc sur leurs chiffres d'affaires. Dans le même temps, la mondialisation a permis à ces mêmes entreprises de délocaliser leurs unités de production vers les zones ayant les coûts salariaux les plus élevés. Hausse du chiffre d'affaires et hausses des marges ont provoqué la hausse des profits. De plus, les dirigeants capables et diriger ce type d'entreprises mondialisées deviennent fortement plébiscités, ce qui entraine, par le jeu de l'offre et de la demande, une accélération de leurs rémunérations. Le phénomène est donc actuellement inégalitaire avec une compétition maximale sur les bas salaires avec l'entrée des pays émergents dans le système, et une progression des revenus des dirigeants qui se met en place au même moment. On peut aussi retenir le cas des entreprises technologiques, qui sont capables de s'ouvrir au monde entier avec un très faible nombre de salariés. Le cas la vente de WhatsApp est ici un bon exemple. Le fondateur de l'entreprise, Jan Koum, vend son entreprise à Facebook pour 19 milliards de dollars en 2014 alors que celle-ci ne compte que 55 salariés. Il se retrouve à la tête de près de 7 milliards de dollars. On assiste donc à double phénomène, entre concentration de richesses entre quelques mains d'une part, et une stagnation des revenus en bas de l'échelle d'autre part. Plus globalement, de tels effets ont aussi été rendus possibles par des économies qui ont eu une tendance désinflationniste au cours des 30 dernières années, ce qui a entrainé une dévalorisation de la rémunération du travail, et une survalorisation des gains du capital.

Ces rémunérations sont elles effectivement liées à la performance des dirigeants ? Quelles sont les autres facteurs qui peuvent entrer en ligne de compte ? 

Jean-Charles Simon : La rémunération va être décidée d’abord à l’arrivée en poste du dirigeant. Et elle va clairement intégrer ses performances passées : quelqu’un qui reste sur un échec qui lui est directement attribué aura bien du mal à être choisi pour un tel poste. A contrario, plus il a une réputation de « star », plus il sera en position de force pour négocier un package très avantageux.

Les performances seront également intégrées à toutes les composantes variables des rémunérations des dirigeants en poste. Mais il faut être clair, elles ne sont pas toujours discriminantes. En fait, si un dirigeant n’est pas bon, le problème n’est pas de moins le payer, mais de s’en débarrasser – ce qui représente un coût, direct et surtout indirect (effet sur les équipes, les marchés, les clients…), important. Si en revanche les performances restent acceptables, alors en effet elles seront probablement un élément de second ordre pour expliquer les niveaux des rémunérations.
Comme l’ont montré beaucoup d’études, le facteur essentiel du niveau de ces rémunérations et de leur hausse rapide ces dernières décennies est la taille gigantesque des groupes concernés. Ce qui se comprend aisément. Dans un groupe de plusieurs centaines de milliers de salariés, un N-4 du PDG sera peut-être lui-même en charge d’une unité de plusieurs milliers de collaborateurs. Donc un cadre dirigeant très qualifié, de très haut niveau et potentiel, à qui on va faire souvent des propositions alléchantes à l’extérieur (y compris dans des entreprises non cotées, donc non transparentes…). Il aura donc déjà une rémunération très élevée, en centaines de milliers d’euros ou davantage. D’où les niveaux atteints quatre échelons plus haut.
Idem pour l’enjeu financier : rémunérer quelques millions d’euros une personne, ça ne représente aucune charge perceptible sur la rentabilité d’un groupe qui réalise des milliards de résultat net. Surtout quand une bonne partie de cette rémunération repose sur des actions.
Enfin, plus les secteurs sont internationalisés – donc les groupes en compétition avec des concurrents dont les dirigeants sont encore mieux rémunérés – et financiers – donc en compétition avec l’univers des banques d’affaires non cotées qui offrent des rémunérations énormes -, plus les rémunérations ont de chance d’être élevées.

Nicolas Goetzmann : Plusieurs études réalisées au cours des dernières années concluent à une absence de lien entre rémunération et performance des dirigeants. La dernière en date, réalisée au Royaume Uni, indique que les dirigeants des 350 plus grandes entreprises du pays ont perçu une rémunération de 1.9 millions de £ en 2014, soit une progression de 82% sur 13 ans. Or, le retour sur le capital investi au cours de ces années a été inférieur à 1%. En réalité, ce sont effectivement d'autres éléments qui peuvent expliquer le niveau de rémunération lors d'une année X. En décembre 2015, les économistes Kelly Shue et Richard Townsend sont ainsi parvenus à mettre en évidence l'élément causal de la rémunération exceptionnelle des dirigeants, qui forme elle-même la part principale de la rémunération totale. Selon les auteurs, c'est "l'effet de routine" qui est décisif. C’est-à-dire que les stocks options attribuées au cours d'une année ne vont pas dépendre de la performance de l'entreprise mais du nombre de stock-options qui ont été distribuées l'année passée. Concernant les rémunérations fixes, c'est le même effet qui est à l'œuvre. Selon les auteurs, il s'agit simplement d'une conséquence de la faible sophistication du mode de fixation de la rémunération qui est en jeu. Mais c'est ainsi que les dirigeants continuent de surfer sur une tendance déconnectée de la réalité économique. Voilà pourquoi, dans l'ensemble de ces études, la solution proposée est de de donner plus de pouvoir aux actionnaires, pour que ceux-ci puissent contrôler au mieux ces rémunérations. 

Du point de vue de la société, et alors que les populations semblent "fatiguées" de tels chiffres, en quoi ces situations menacent elles la cohésion sociale ?

Jean-Charles Simon : On a excité les populations avec ces rémunérations, comme s’il s’agissait d’un sujet de société, d’un sujet d’éthique ou d’un sujet politique. Alors que la transparence qui, je le répète, ne concerne que des groupes qui font appel public à l’épargne, a pour vocation première d’informer la collectivité des actionnaires. Pas d’entraîner des débats de politiques ou de journalistes.

On oppose ainsi la rémunération des dirigeants et celles des salariés des groupes. Mais ça n’a pas de rapport, et il n’y a pas d’arbitrage entre les deux. Si les premiers sont moins payés, les seconds ne le seront pas mieux pour autant. Tout comme il n’y aura pas plus ou moins de licenciements dans un groupe de cette taille à raison de la rémunération du dirigeant ! Il s’agit d’abord d’un rapport de force entre dirigeants et actionnaires pour la rémunération des premiers, que les seconds vont payer directement ou indirectement, via la dilution de leurs actions.
De même, si un patron gagne 200 fois le Smic, personne ne sous-entend par là qu’il « vaut » humainement 200 fois plus, ou qu’il est comme individu 200 fois plus important, y compris au titre de la contribution dans l’entreprise. C’est aussi absurde que de faire ce rapport entre une star du foot et un très bon joueur de ligue inférieure, ou même d’un super champion d’un sport plus confidentiel : personne ne dira que le premier est 500 fois plus considéré que les autres si c’est le rapport de leur rémunération, mais bien qu’il ne s’agit pas du tout des mêmes marchés. Que les « prix » n’y sont pas du tout les mêmes.
Il faudrait aussi rappeler que d’autres individus gagnent des sommes au moins aussi considérables, pas seulement dans le sport ou le show-business, mais également dans des métiers beaucoup plus discrets. Par exemple des consultants, des avocats d’affaires, des banquiers d’affaires… – Emmanuel Macron, si critique avec la rémunération de Carlos Ghosn, en sait quelque chose, lui qui quasiment sans expérience a gagné un salaire de grand dirigeant d’entreprise cotée en très peu de temps dans une de ces banques… Et que dire des entrepreneurs ! En quoi est-il plus moral, juste ou socialement efficient qu’un fondateur de start-up puisse empocher des fortunes pour une entreprise qui aura peut-être disparu seulement quelques années après la revente de ses parts ?
Il ne faut donc pas se placer dans d’autres termes que ceux du marché : offre, demande, prix, à un moment donné. En s’intéressant le cas échéant à ce qui peut faire dysfonctionner ces marchés dans le sens d’entreprises toujours plus grandes / de rémunérations plus élevées. Par exemple, il y aurait beaucoup à dire sur les fusions-acquisitions d’entreprises, que toutes les parties prenantes, décisionnaires et intermédiaires compris, ont à court terme un intérêt à favoriser, sans trop se préoccuper du long terme. Avec pourtant beaucoup de déchets à l’arrivée. Ou encore à des positions de monopoles ou d’oligopoles qui me semblent de plus en plus préoccupantes, et que les règles de la concurrence bien appliquées, décisives pour l’efficacité de l’économie de marché, suggèreraient de casser.
Enfin, plutôt que d’exciter les citoyens sur des cas de grands patrons désignés à la vindicte, qui n’ont aucun rapport avec leur situation personnelle, il faudrait mieux les inciter à deux choses : comme actifs, à travailler au mieux leurs spécificités, leurs compétences, leurs parcours, pour être eux aussi dans le rapport de force le plus favorable sur le marché du travail, qu’ils choisissent le salariat ou l’indépendance ; comme électeurs, à soutenir les choix qui réduiront le plus possible le chômage, car les situations de quasi plein emploi sont évidemment les plus favorables à ceux qui ont à proposer du travail et des compétences.

Nicolas Goetzmann : En 2015, l'IFOP publiait un sondage relatif aux inégalités. 80% des français avaient le sentiment que celles-ci s'étaient développées au cours des 10 dernières années et 57% d'entre eux jugeaient que les inégalités les plus "injustes" étaient les inégalités salariales. Le thème des inégalités est central, cela est une évidence, d'autant plus lors d'une période ou le revenu médian stagne ou régresse, ce qui est le cas aujourd'hui. Ainsi, il a été démontré que le vote en faveur de Donald Trump est corrélé aux inégalités aux États-Unis, tout comme le vote en faveur du Brexit pour le Royaume Uni. On peut continuer à se réfugier derrière des arguments du type "c'est la loi du marché", mais il est évident que l'accroissement continu des inégalités est en train de déstabiliser les démocraties libérales, tout comme cela est également le cas dans les pays en développement depuis la survenance de la crise en 2008. La lutte contre les inégalités n'est pas de gauche ou de droite, c'est un thème majeur pour tous les français, c'est ce que démontrent les études d'opinion. 

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