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Ces multiples maux de la société française qui se cachent derrière la hausse des arrêts maladie
©MARC LE CHELARD / AFP

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Le coût des arrêts maladie a bondi ces dernières années en France. La durée moyenne d'un arrêt indemnisé est de 76 jours. L'augmentation du coût des arrêts maladie est-il un simple signe du vieillissement de la population active ?

Jacques Bichot

Jacques Bichot

Jacques Bichot est Professeur émérite d’économie de l’Université Jean Moulin (Lyon 3), et membre honoraire du Conseil économique et social.

Ses derniers ouvrages parus sont : Le Labyrinthe aux éditions des Belles Lettres en 2015, Retraites : le dictionnaire de la réforme. L’Harmattan, 2010, Les enjeux 2012 de A à Z. L’Harmattan, 2012, et La retraite en liberté, au Cherche-midi, en janvier 2017.

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Atlantico : En quatre ans, le coût des arrêts maladie a crû de plus de 13 %, et ce, notamment parce que l'essor du taux d'activité des plus de 60 ans se traduit par des arrêts maladie plus longs et mieux indemnisés. La durée moyenne d'un arrêt indemnisé est en effet de 76 jours. Faut-il voir dans l'augmentation du coût de ces arrêts un simple signe du vieillissement de la population active ?

Jacques Bichot : Bien entendu, l’âge joue un rôle physique dans la fréquence des arrêts maladie : d’une part il y a plus de chances d’avoir un cancer ou une autre maladie grave à 60 ans qu’à 30 ans ; d’autre part, la petite indisposition, rhume ou douleur articulaire ou simple fatigue, qui, à 30 ans, est comptée pour quantité négligeable, peut suffire à un sexagénaire pour demander à son médecin quelques jours d’arrêt. Et il est vraisemblable que nombre de toubibs soient un peu plus « coulants » avec des personnes relativement âgées. 
Ceci étant, on sait que les arrêts maladie sont souvent des signes de protestation. C’est rarement aussi caricatural que ce qui s’est passé une fois dans la police, où une baisse de certaines indemnités avait été très mal ressentie par les agents : ils avaient été très nombreux à se faire « porter pâles ». Mais, sous des formes moins crues, le mécontentement à l’égard d’un supérieur hiérarchique, d’une disposition nouvelle, d’un refus d’augmentation, tout cela peut créer un sentiment d’injustice, faire penser : puisque c’est comme ça, qu’ils ne comptent pas sur moi pour faire du zèle ; si j’ai une légère indisposition, cette fois j’irai demander un arrêt au médecin.

Cela pourrait-il provenir également de l'utilisation de ces arrêts comme un mode de gestion des rapports sociaux conflictuels dans un monde professionnel en crise ?

La réflexion précédente allait déjà dans le sens d’une réponse positive à cette question. En cas de situation tendue, conflictuel, l’arrêt maladie peut constituer une forme de grève déguisée.
Il est également possible que les salariés âgés, qui restent parce que les règles en matière de retraite les y obligent, alors qu’ils préféreraient se retirer, soient plus exigeants : on leur demande un effort, ils voudraient qu’on leur en ait de la reconnaissance, or ils sont traités sans égards particuliers, « alors zut, les arrêts maladie c’est pas pour les chiens, s’ils n’ont pas compris qu’on a du mérite à venir bosser, on va leur montrer qu’on peut ne pas venir ».
Par ailleurs, à tout âge, il existe une tentation de « tricher » sur l’arrêt maladie, parce qu’on n’est pas content du patron, du petit chef, de la paie, des conditions de travail, ou pour toute autre raison. Une enquête américaine a montré qu’aux Etats-Unis un tiers des salariés reconnaissent avoir triché au moins une fois dans l’année en inventant une maladie. Je n’ai pas de chiffre pour la France, mais il n’est pas impossible que chez nous aussi l’honnêteté ne soit pas la qualité la plus répandue.
Enfin il y a la question du comportement du médecin. Si celui-ci a le sentiment que la sécu le persécute, le surcharge de formalités et d’obligations, l’ennuie parce qu’il prescrit trop de médicaments princeps et pas assez de génériques, être coulant sur les arrêts maladie est une forme, sinon de vengeance, du moins de défoulement. 

Quelles solutions existent pour endiguer cette augmentation des arrêts maladie ? 

Il faut probablement chercher des solutions différentes selon les secteurs. On sait par exemple que les fonctionnaires s’absentent deux fois plus que les salariés du privé et que les contractuels de l’Etat, des collectivités territoriales et des hôpitaux. Pourquoi ? Probablement parce que le supérieur hiérarchique d’un fonctionnaire n’a aucune envie de se faire un ennemi d’un subordonné dont il voit bien qu’il tire au flan. Que peut-il faire ? un rapport pour l’échelon supérieur, de façon à être couvert au cas où sa réprimande donnerait lieu à des plaintes du subordonné ? Si une personne du service s’absente, le travail traîne un peu, mais les « clients » sont des administrés qui n’ont pas la possibilité d’aller voir ailleurs si le service ne serait pas de meilleure qualité
On sait d’ailleurs, c’est très caractéristique, que l’absentéisme pour raison de santé est deux fois moins important chez les contractuels de l’Etat que chez les titulaires. Alors, l’ordonnance du docteur est simple : messieurs les énarques, ouvrez beaucoup moins de postes au concours, embauchez plutôt sous statut ordinaire, c’est visiblement meilleur pour la santé !!!  
« La » Solution avec un grand « S » n’existe probablement pas. Il existe un grand nombre de facteurs sur lesquels on peut jouer, depuis l’ambiance sympathique au travail jusqu’à la poursuite des tricheurs. Mais il existe un facteur signalé comme important par un médecin, président du principal syndicat de médecins libéraux, cité par Les Echos : augmentation de la souffrance au travail, particulièrement chez les seniors – ceux qui ont le plus de congés maladie. Or les pays qui ont réussi à conserver au travail beaucoup de seniors, en particuliers les pays d’Europe du Nord, sont réputés pour adapter le travail aux personnes qui n’ont plus vingt ans, mais entre trois et quatre fois cet âge. Que nos chefs d’entreprise, DRH, chefs d’équipe ou de service, se renseignent sur ce que font leurs homologues scandinaves : ils y trouveront sans doute de bonnes idées et de bonnes pratiques à adapter dans nos bureaux, nos usines, nos commerces, nos administrations et ainsi de suite.   

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