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Ces mots magiques qui permettent de convaincre du port du masque
©000_1WO5HA Apu Gomez AFP

CORONAVIRUS

Une vaste étude menée auprès de plus de 2000 résidents de l'Illinois (États-Unis) a établi le type de message plus ou moins susceptible de convaincre les sceptiques et les récalcitrants. Comment réussir à inciter les Français à porter le masque ? Le point avec Jeanne Bordeau.

Jeanne Bordeau

Jeanne Bordeau

Fondatrice et directrice de l'Institut de la Qualité de l'Expression, Jeanne Bordeau est enseignante à Paris V, à l'école Holden en Italie, l'école Alessandra Baricco, ainsi qu'au MBA ESG, Stratégie et Communication Digitale.

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Atlantico : Quel message notre gouvernement peut-il envoyer afin d’inciter à porter des masques ?

Jeanne Bordeau : Avant tout, il faut émettre un message clair et sensible qui parle immédiatement à chacun et personnellement.

Il faut que l’on comprenne instantanément le message du gouvernement et que l’on se sente visé.

Il faut laisser de côté toute langue neutre qui crée de la distance. Et mettre en scène une langue qui implique. La nuance et la force seraient aussi à associer.

Tout au long des rebonds qui ont jalonné la vie du virus, on a entendu le verbe « mobiliser » justement, cela prouve déjà que l’on sait qu’il faut toucher et motiver, mais avec doigté, avec finesse, avec “l’art et la manière”. Toucher mais ne pas effrayer. Ecrire avec force et sur la pointe des mots. 

Il faut aussi faire comprendre, que c’est ensemble que nous réussirons. 

Circulent actuellement des phrases nombreuses et des conseils divers. 

Certes, la pédagogie d’un message crée de la clarté, mais si elle n’est pas fondée sur la cohérence d’un émetteur unique qui semble convaincu du bien-fondé de ce qu’il conseille, le trouble flottera, là, toujours vénéneux dans des esprits en proie aux doutes. Des conseils pluriels et des annonces multiples, c’est contradictoire ! Choisir de porter un masque ou non, à ce sujet, une confusion s’est installée.

Par ailleurs, si les responsables ne parlaient qu’à des jeunes, à une seule cible identifiée, Ils pourraient choisir de faire court, de leur parler d’eux, et décider de parler une langue décrispée, irriguée d’une zeste de légèreté comme celle choisie pour le slogan actuellement diffusé actuellement dans l’Illinois : « It only works if you wear it ».

Parfois, on veut frapper pour être entendus. Comme la sécurité routière qui dit 

« A moto ou à scooter sans un équipement complet, vous risquez d’y laisser votre peau ». On est dans l’alerte ! 

Sans doute la sécurité routière a-t-elle testé son slogan, et sait-elle, que lorsque l’on s’adresse à des publics jeunes, il faut « frapper » pour réussir à retenir l’attention, surtout face à l’infobésite régnante et au trop d’information continue ! Mais ce message ne pourrait pas convenir à toutes les tranches d’âge.

A propos du slogan sur les masques, il faut donc songer à additionner et coaguler les émotions diverses de publics aux sensibilités différentes. Aînés et jeunes, régions et Paris, artisans, coursiers et financiers ou journalistes...

En effet c’est un défi de parler de façon personnalisée à tous. Les lexicologues contemporains nous le confirment seulement un tiers de ce que l’on dit est compris, l’autre tiers ne l’est pas, car on veut trop en dire, et cela vampirise l’information majeure. Et pour le dernier tiers, il reste incompris, parce que les sensibilités et références des publics auxquels on parle sont dissemblables.

Enfin, être clair et percutant, c’est se souvenir que la langue repose sur la raison et l’émotion. Etre motivant et incitatif ne doit pas se faire au détriment de la clarté du message principal. 

Atlantico : Alors qu’est ce qui serait efficace ? 

« Pour éviter le virus, le masque, votre allié »

« Sortez tranquille, sortez masqué »

« Fier d’être masqué »

Pour sauver la planète récemment, une marque automobile a su ne pas se mettre en avant et a frappé fort pourtant, en disant tout simplement, que sa voiture était « à brancher sur une prise de conscience collective ».

On le voit le message donnait tout son sens aux choix que devait faire le consommateur, mais on réussissait à lui parler de cet achat sans le culpabiliser, et la marque en s’effaçant quelque peu, gagnait. Car face à un tel comportement adulte, on s’interrogeait positivement. Quelle marque avait bien pu écrire de façon aussi responsable ? Et cet exemple pourrait nous laisser imaginer un slogan comme : « Moi aussi, je sauve des vies ».

Le public veut une relation attentionnée, personnalisée, qui porte des preuves et du résultat. Plus de phrases creuses. Et un sourire devrait être contenue dans la phrase de façon induite. Une réassurance, car les français veulent être rassurés ! Ils se sentent éprouvés.

Atlantico : Les erreurs à éviter ?

Il faut éviter d’être long, car la précision tue la clarté. 

Il faut s’empêcher d’être autoritaire. Donner un ordre, ce n’est plus d’époque ! 

Il faut donc dialoguer et quitter le ton des donneurs de leçons. Et se placer d’égal à égal.

On est entrés dans l’univers de l’échange digital, de la conversation en ligne ou le citoyen interpelle, vérifie, exige une démonstration. 

Il faut laisser de côté l’usage d’une langue factuelle et de mots conceptuels. C’est trop froid. Trop distancié, justement !

Ce sont les verbes et les mots concrets qui poussent à l’action, bien des publicités l’ont compris, comme le “just do it “ de Nike ou le si célèbre “bougez avec La Poste “. 

On pourrait aussi imaginer utiliser une analogie.

A propos des publicités et annonces, le datkalab de Frank Tapiro et l’Union des marques qui pratiquent des tests annuels sur la justesse des messages publicitaires confirment qu’il faut, une fois le message majeur posé, s’appuyer sur l’émotion pour inciter les publics concernés à “se mobiliser” et à se souvenir. 

Faire rire quand la peur ou la douleur sont présentes est déconseillé. Les publics touchés par des décès le vivraient mal. Et avec raison.

Rire à tout prix, n’est pas toujours à recommander. Existent bien d’autres temps d’émotions que le rire. On peut dire par exemple, sans en faire trop : « être responsable, c’est sortir masqué ! ». Le message est là, mais il n’irradie que peu d’incitation et de sensible. On le constate, dans un texte court, l’émotion n’est pas si facile à transfuser.  

Ainsi, pour une campagne sur les incivilités à propos de l’insalubrité et des déjections des animaux dans les villes, on avait pu lire ce slogan : « Parfois une crotte peut être de l’art, mais pas celle de votre chien ».

Jusqu’où peut-on aller et ne pas aller ? 

Pour parler des femmes et des hommes et plus encore de leurs angoisses au travers de cette pandémie, toute phrase est à utiliser avec doigté. L’enjeu est la sécurité sanitaire, il est même parfois question de vie ou de mort. La délicatesse est à convoquer. 

Enfin, vouloir tout dire, serait une autre maladresse. Des précisions sur l’hygiène, ce n’est pas le lieu. 

Souvenons-nous de cette phrase « si j’avais le temps, je vous aurais écrit un texte bref ». Oui, alors faire circuler la juste phrase sur le port des masques pour atteindre tous les cerveaux et tous les cœurs, cela nécessite réflexion, méthode, professionnalisme, sensibilité et consultation des publics. C’est là, un acte de « communication soignée » ! 

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