Ces laboratoires de recherche biologique mal sécurisés qui exposent le monde à d’autres pandémies venues de Chine<!-- --> | Atlantico.fr
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Le scénario d'une fuite de laboratoire est considéré comme une hypothèse valable par l'OMS depuis 2020
Le scénario d'une fuite de laboratoire est considéré comme une hypothèse valable par l'OMS depuis 2020
©JOHANNES EISELE/AFP

Risque mondial

La question est d'autant plus brûlante que l'hypothèse d'un accident de laboratoire ayant provoqué la pandémie de Covid était au coeur des discussions à l'Académie de médecine française la semaine passée

Antoine Flahault

Antoine Flahault

 Antoine Flahault, est médecin, épidémiologiste, professeur de santé publique, directeur de l’Institut de Santé Globale, à la Faculté de Médecine de l’Université de Genève. Il a fondé et dirigé l’Ecole des Hautes Etudes en Santé Publique (Rennes, France), a été co-directeur du Centre Virchow-Villermé à la Faculté de Médecine de l’Université de Paris, à l’Hôtel-Dieu. Il est membre correspondant de l’Académie Nationale de Médecine. 

 

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Gregory Koblentz

Gregory Koblentz

Gregory Koblentz est professeur associé et directeur du Biodefense Graduate Program à la Schar School of Policy and Government de l'université George Mason.

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Atlantico : L’Académie de médecine française a organisé une conférence dans laquelle l’hypothèse selon laquelle la pandémie de Covid-19 a été provoquée par un accident de laboratoire. À quel point cette théorie du complot devient finalement une hypothèse ?

Antoine Flahault : C’est un sujet très sensible mais je n’ai pas d’idéologie sur le sujet, l’accident de laboratoire est pour moi l’une des hypothèses sur la table depuis le début de la pandémie. Il n’y a aucune raison de la rejeter, ni de traiter de conspirationnistes les tenants de cette hypothèse mais il y a d’autres hypothèses tout aussi crédibles et plausibles. Il faut toutes les considérer car il faut tenter de toutes les prévenir pour réduire le risque d’une nouvelle pandémie. Par ailleurs, je suis surpris que personne ne se pose la question pourquoi on n’a pas davantage d’explications de l’émergence pour aucun des 1000+ sous-variants d’Omicron et pour les variants qui ont précédé. La réalité c’est qu’il est très difficile de remonter aux causes initiales de n’importe quelle émergence épidémique.

Gregory Koblentz : Ce scénario est considéré comme une hypothèse valable par l'OMS depuis 2020, par la communauté du renseignement américain depuis octobre 2021 et par plusieurs scientifiques éminents dans leur lettre de mai 2021. L'étiquette "théorie du complot" était une réponse malheureuse à l'approche des "faits alternatifs" de l'administration Trump concernant la pandémie et son origine.  

Est-ce que un accident de manipulation en laboratoire pourrait-être à l’origine de l’épidémie de Covid et de tous ses variants ?

Antoine Flahault : Il y a eu dans le passé des accidents de laboratoire et on suspecte très fortement que la pandémie de grippe H1N1 de 1977 qui a émergé en Sibérie ait été provoquée par une négligence d’un laboratoire militaire travaillant alors sur le virus de la grippe. On se souvient des attaques malveillantes par des enveloppes contaminées par le bacille du charbon aux États-Unis en 2001. Fuites intentionnelles ou négligences sont donc toujours possibles. Dans le cas du Sarscov2, une hypothèse connexe rarement évoquée, mais qui pourrait corroborer les recherches de Marc Eloit, serait une contamination accidentelle des techniciens ou chercheurs lors d’une campagne de capture et de prélèvements de chauves-souris porteuses du virus dans des grottes en Chine proches de la frontière avec le Laos, à 1000 km de Wuhan. Des chercheurs de Wuhan sont allées dans ces grottes et auraient pu alors se voir contaminés par accident, et possiblement sans même s’en être rendu compte eux-mêmes. Ils auraient alors très bien pu rentrer chez eux en phase d’incubation du Covid, à Wuhan, et contaminer à leur tour leur entourage pour déclencher la pandémie que nous avons connue. Les équipes partant pour de telles campagnes loin de leur laboratoire d’origine peuvent ne pas respecter toutes les procédures de sécurité très contraignantes du laboratoire BSL4, et surtout ces équipes sont constituées de personnels jeunes et habituellement en bonne santé qui n’ont pas nécessairement développé de Covid sévère ni même fortement symptomatique.

Gregory Koblentz : C'est possible mais peu probable. Il n'existe aucune preuve directe d'un tel accident. Il n'existe aucune trace du SARS-CoV-2 ou d'un virus très similaire à l'Institut de virologie de Wuhan. Toutefois, le gouvernement chinois n'a pas été totalement transparent sur les activités et les opérations du laboratoire. Il existe des preuves directes de la présence d'animaux connus pour être sensibles au SRAS-CoV-2 sur le marché aux fruits de mer de Huanan et des preuves épidémiologiques que les premiers cas connus ont été associés au marché et à la zone environnante. Toutefois, le gouvernement chinois n'a pas mis à disposition toutes les données dont il dispose sur les échantillons prélevés sur le marché. L'apparition d'une zoonose naturelle entre l'animal et l'homme correspond à l'origine des deux dernières épidémies de coronavirus, le SRAS et le MERS. Compte tenu du temps qui passe et du manque de transparence de la Chine depuis le début, il est peu probable que nous obtenions un jour une preuve définitive de l'origine de la pandémie, dans un sens ou dans l'autre. Le fait que les deux voies soient plausibles et que nous ne puissions exclure aucune d'entre elles devrait suffire à mobiliser davantage d'efforts pour réduire les risques posés par les deux voies. Il n'y a aucune raison pour que nous ne cherchions pas à renforcer la biosécurité dans le monde entier et que nous ne prenions pas en même temps des mesures pour réduire le risque de propagation zoonotique.

Le Washington Post a mené une grande enquête sur la sécurité des laboratoires en Chine, que nous apprend-elle ? 

Antoine Flahault : Ces investigations poussées sont passionnantes et surtout très importantes si nous voulons réduire les risques de nouvelles pandémies. Plutôt que s’écharper sur la plausibilité de telle ou telle hypothèse, plutôt que d’accuser les uns de complotistes et les autres de corrompus, mieux vaut considérer que chacune des hypothèses sur la table représente autant de risques potentiels de déclenchement d’une nouvelle émergence pandémique. À ce titre, il conviendrait de répertorier rigoureusement toutes les failles, celles qui peuvent survenir lors les procédures de sécurité des laboratoires de recherche en virologie, mais aussi lors des captures d’animaux, voire au sein même des animaleries de ces laboratoires, et aussi toute la chaîne de sécurité sanitaire en place dans les marchés d’animaux vivants, les fermes d’élevage (comme par exemple de visons). Et il convient de coordonner la réponse et de renforcer les normes de sécurité à toutes les étapes de ces éventuelles brèches dans la sécurité sanitaire.

Gregory Koblentz : L'article décrit un schéma inquiétant de manquements en matière de biosécurité en Chine, dû à un manque d'expérience et à l'absence d'investissements suffisants dans la formation, l'éducation et l'équipement en matière de biosécurité par rapport à l'infrastructure des laboratoires. Le système politique chinois, qui décourage la remise en question de l'autorité et encourage les fonctionnaires à dissimuler leurs erreurs, contribue à ces faiblesses en matière de biosécurité.  

Que savons nous de la sécurité des laboratoires, en particulier chinois ? 

Antoine Flahault : Nous n’en savons que ce que les autorités veulent bien nous en dire, c’est-à-dire pas grand chose. Cependant j’aurais fait la même réponse pour, par exemple le laboratoire de haute sécurité de l’armée américaine de Fort Dietrick. Je m’y étais personnellement rendu à l’invitation des autorités nord-américaines, au moment de la crise du Chikungunya, car ils conservaient dans leurs congélateurs un candidat vaccin que nous voulions tester dans l’Océan Indien (ce qui fut finalement impossible), et je puis vous dire que ces lieux sont jalousement gardés et hautement secrets par les autorités de tout pays. 

Ces laboratoires de recherche de type BSL-4 répondent cependant à des normes de sécurité très contraignantes. Ce qui manque à l’échelle internationale c’est une autorité indépendante d’inspection de ces sites sensibles, comme il en existe pour les centrales nucléaires ou les usines chimiques. L’OMS pourrait se voir confier un tel rôle mais cela dépend bien sûr de la seule volonté des États membres de l’organisation onusienne.

Gregory Koblentz :La Chine publie une revue consacrée à la biosécurité qui fournit des informations utiles sur l'état de la science et des procédures en matière de biosécurité dans le pays. Toutefois, la visibilité de la manière dont la biosécurité est pratiquée en laboratoire et sur le terrain est très limitée.

Sommes-nous, dans la situation actuelle, exposés à d’autres risques venus de Chine en raison de problèmes de sécurité dans leurs laboratoires ?

Antoine Flahault : Je ne pense pas pour ma part que les chercheurs Chinois travaillent moins rigoureusement que les occidentaux ou les Russes. Si nul n’est à l’abri d’une fuite accidentelle ou intentionnelle, en revanche ces laboratoires de haute sécurité ne sont généralement pas ceux d’où les problèmes surviennent le plus souvent. Les laboratoires aux normes moins strictes (ex BSL-2) peuvent paradoxalement être plus dangereux, les contraintes y sont beaucoup moins rigoureuses, et surtout ces laboratoires sont beaucoup plus nombreux et disséminés un peu partout dans le monde, donc paradoxalement moins faciles à contrôler.

Gregory Koblentz : Les accidents sont possibles dans tous les laboratoires. Filippa Lentzos et moi-même avons lancé l'initiative Global Bio Labs en 2021 afin de mettre en évidence les risques potentiels posés par les laboratoires à confinement maximal dans le monde entier. Le nombre de ces laboratoires a augmenté de façon spectaculaire au cours des deux dernières décennies : il existe aujourd'hui 51 laboratoires de niveau de sécurité biologique 4 en activité et 18 autres en projet ou en construction. Il existe également 59 laboratoires BSL-3+ qui utilisent des mesures de sécurité renforcées pour mener des recherches sur des agents pathogènes tels que le virus H5N1 de la grippe aviaire et le virus de la grippe de 1918. Notre dernier rapport (ci-joint) montre que si la plupart des pays dotés de laboratoires de niveau de sécurité biologique 4 obtiennent de bons résultats en matière de gouvernance de la biosécurité, la surveillance nationale de la recherche à double usage, y compris les expériences dites de "gain de fonction" avec des agents pathogènes susceptibles de provoquer une pandémie, est très limitée. Un seul pays a obtenu un score élevé dans cette catégorie, deux ont obtenu un score moyen et les autres (dont la France) ont obtenu un score faible. Cela signifie que la plupart des pays n'ont pas de système en place pour examiner les expériences afin de déterminer si elles présentent des risques potentiels de pandémie. Il s'agit d'une lacune majeure dans le régime mondial de gestion des risques biologiques.

À quel point la sécurité des laboratoires de recherches biologiques est-elle remise en question ? Quelles questions devons-nous nous poser à l’avenir pour éviter des pandémies ?

Antoine Flahault : Je plaide pour ma part pour la création d’une autorité d’inspection de ces laboratoires de virologie, indépendante et internationale, qui serait confiée à une agence onusienne sur le modèle des traités de non prolifération chimique ou nucléaire. Cette autorité pourrait alors débarquer n’importe où et n’importe quand, dans n’importe quel pays signataire et décider de fermer tout laboratoire tant qu’il serait reconnu ou suspecter enfreindre la réglementation stricte en vigueur. Tant qu’on ne parvient pas à un tel niveau de police internationale, nous resterons à la merci d’apprentis sorciers de toute sorte, qu’ils aient des intentions malveillantes ou qu’ils soient seulement négligents. L’Occident pourrait montrer l’exemple en acceptant unilatéralement de voir ses propres sites sensibles inspectés par cette autorité indépendante, il serait alors difficile pour les autres pays souhaitant participer aux recherches internationales de ces domaines très compétitifs de ne pas signer ce type de dispositions. Il me semble que si le traité pandémique, en cours d’élaboration et que les États membres de l’OMS sont en train de discuter à Genève, ne comprend pas une disposition concernant les inspections indépendantes des laboratoires de virologie, le dit traité restera pour une large part une coquille vide car il ne permettra pas de participer à la réduction du risque d’émergence d’une nouvelle pandémie à l’avenir.

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