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Ces héros méconnus de la Résistance : la spectaculaire évasion de Blanche Jacquot
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Bonnes feuilles

En s'appuyant sur des témoignages recueillis au cours de sa carrière de journaliste, Jean-Pierre Ferey dans "Les héros anonymes de l'été 44" (Editions du Rocher) dresse le portrait d'hommes et de femmes entrés en résistance durant la Seconde Guerre mondiale et fait le récit de leurs missions au cours de l'été 1944. (1/2)

Au bout de dix jours, Blanche n’a rien avoué, et à l’évidence les miliciens ne savent pas à quoi s’en tenir avec elle. Ils la transfèrent au camp d’internement des Tourelles, boulevard Mortier. C’est une ancienne caserne, reconvertie en prison, qui tire son nom de la piscine des Tourelles située juste à côté, et qui abrite aujourd’hui la DGSE (Direction générale de la sécurité extérieure, autrement dit les services secrets). Aux Tourelles, Blanche découvre un univers concentrationnaire, où l’on subit sans comprendre. Les gardiens sont des Français, bien organisés, avec un directeur, des chefs, des aides. Mais ils ne relèvent pas de l’administration pénitentiaire, ils ne portent ni uniforme, ni grade. Qui sont-ils exactement, elle ne l’a jamais su.

Je me souviens d’un gardien, il avait toujours un gourdin à la main. Je l’avais reconnu, c’était un ancien camarade, du temps du lycée. Il a fait semblant de ne pas me connaître. Mais après un certain temps, il m’a fait savoir qu’il savait qui j’étais. Il se souvenait de mon militantisme antifasciste. Il ne m’a jamais dénoncée. Elle découvre que les prisonniers politiques sont isolés dans un endroit à part. Comme elle n’est pas cantonnée avec eux, elle en conclut qu’on ne la considère pas comme une « politique ». C’est rassurant. D’autant que régulièrement, quelques-uns de ces détenus sont extraits du camp par des personnages en civil. Qui vient les chercher ? Des Français, des Allemands, on ne sait pas. On ne sait ni pourquoi ni où on les emmène. On sait seulement qu’on ne les revoie jamais.

Elle est logée dans un dortoir de femmes, avec des prisonnières de droit commun et des prostituées. Elle n’a rien, pas un sou, elle ne possède que les vêtements qu’elle porte sur elle. Tous les soirs, elle lave sa chemise et sa petite culotte. Sa robe commence à s’élimer sérieusement. Les repas qu’on leur sert sont maigres et peu ragoûtants. Certaines de ses codétenues reçoivent du courrier, d’autres, plus rarement, ont droit à des visites. Toutes attendent impatiemment ces contacts avec l’extérieur qui leur apportent des nouvelles de ce qui se passe hors des murs. C’est ainsi qu’elles apprennent, en mai, les succès alliés en Italie, puis, en juin, le débarquement en Normandie. Blanche réussit à faire passer un message à sa famille, pour l’informer de son incarcération, tout en précisant : « Ne tentez à aucun prix d’entrer en contact avec moi, ce serait trop dangereux pour vous comme pour moi ». Aux Tourelles, j’ai survécu, j’ai survécu de jour en jour, pendant six mois, jusqu’à… mon évasion, dit-elle, une lueur malicieuse dans les yeux.

Pour bien comprendre les circonstances étonnantes de cette évasion, il faut se remettre en mémoire la situation à la mi-août 1944. Le 15, un débarquement de troupes américaines et françaises venues d’Afrique se produit en Provence, avec pour objectif de remonter la vallée du Rhône jusqu’à la frontière allemande. En Normandie, les forces du général Bradley, qui ont débarqué deux mois plus tôt, ont enfin réussi une percée à Avranches et, dans un mouvement tournant, encerclent et anéantissent les armées allemandes de l’ouest. Les premiers éléments poussent vers la Seine, donc vers Paris.

Dans la capitale, le feu couve, la population s’agite. Elle voit les débris de la Wehrmacht en déroute traverser sa ville et devine, plus qu’elle ne sait, l’avancée des Alliés. Pour elle, aucun doute, la Libération est pour bientôt. Les syndicats ont appelé à une grève générale pour le 18, alors que les policiers, eux, sont déjà en grève depuis le 15. Le colonel Rol-Tanguy, chef régional des FFI (Forces françaises de l’intérieur), s’apprête à lancer un ordre d’insurrection générale. Le 17 au matin, Blanche se réveille avec une sensation étrange. Un calme total, inhabituel, impressionnant, règne dans la prison. Pas de réveil sonné par les matons, pas d’odeur d’ersatz de café ou de lait chaud, pas un bruit de souliers cloutés dans les couloirs. Une stupeur identique se lit sur les visages des détenues qui s’éveillent les unes après les autres. Il faut se rendre à l’évidence : il n’y a pas un seul gardien. Devant la tournure des évènements, désastreuse pour eux, ils ont déserté, abandonnant leurs postes et laissant les portes ouvertes.

Les premiers prisonniers qui atteignent le grand portail d’entrée hésitent à franchir le porche. Et si c’était un piège ? Et s’il y avait, de l’autre côté, sur le trottoir d’en face, une mitrailleuse braquée pour une exécution massive, au prétexte d’une tentative d’évasion ? Mais non ! Rien ne se passe. La voie est vraiment libre. Alors, comme tous les autres, Blanche passe la porte. Et chacun de s’égailler pour aller retrouver sa vie d’avant. J’en avais rêvé la nuit, de marcher dans la ville, confie-t-elle, un sourire discret aux lèvres. Et me voilà, déambulant sur les trottoirs, avec toujours la même petite robe, sans un sou, sans papier, sans rien… mais libre.

Elle traverse un Paris en effervescence, un peu étourdie, comme enivrée par sa liberté. Elle finit par retrouver un camarade, qui l’héberge pour la nuit. Le lendemain, alors qu’elle a passé sa journée à reprendre contact avec son réseau et que le soir s’annonce, surprise délicieuse ! Elle voit arriver sa mère et sa soeur. Elles sont en larmes : une rumeur a couru, répandant le bruit que tous les prisonniers des Tourelles avaient été fusillés. Les deux femmes arrivent de Chartres après avoir fait du stop, auprès des chauffeurs des camions militaires alliés d’abord, puis auprès des rares conducteurs civils qui osaient encore circuler. Elles ont terminé leur route à pied, car dans Paris, le métro est en grève. Les larmes redoublent, irrépressibles, mais ce sont cette fois des larmes de joie. Le lendemain, l’insurrection parisienne éclate, Paris monte aux barricades. Blanche cependant ne participera pas aux combats. Elle a pris sa part dans la lutte contre l’occupant, elle a fait le job. Aux guerriers maintenant de faire entendre les armes.

Extraits de "Les héros anonymes de l'été 44" de Jean-Pierre Ferey publié aux Editions du Rocher (2014). Pour acheter ce livre, cliquez ici

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