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Ces guerres qui naissent dans le tourbillon des révolutions industrielles (et celle qui nous menace aujourd'hui)
©DAMIEN MEYER / AFP

Ce danger qui vient

La troisième révolution industrielle - celle de l’informatique – va-t-elle entraîner une troisième guerre mondiale ? Il est encore temps de sortir de cet engrenage.

UE Bruxelles AFP

Jean-Paul Betbeze

Jean-Paul Betbeze est président de Betbeze Conseil SAS. Il a également  été Chef économiste et directeur des études économiques de Crédit Agricole SA jusqu'en 2012.

Il a notamment publié Crise une chance pour la France ; Crise : par ici la sortie ; 2012 : 100 jours pour défaire ou refaire la France, et en mars 2013 Si ça nous arrivait demain... (Plon). En 2016, il publie La Guerre des Mondialisations, aux éditions Economica et en 2017 "La France, ce malade imaginaire" chez le même éditeur.

Son site internet est le suivant : www.betbezeconseil.com

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Internet va-t-il déclencher une troisième guerre mondiale ? Terrible question, mais l’histoire nous a montré que les révolutions industrielles finissaient en guerre, pas directement et mécaniquement bien sûr, mais parce qu’elles bouleversent en profondeur les économies, toutes les conditions de production et d’échange, parce qu’elles tuent des entreprises et des emplois, malmènent les sociétés civiles et les pays, bouleversent les équilibres politiques. Allons-nous échapper à la loi des séries ?

L’informatique nous a fait entrer, depuis 1970, dans la troisième révolution industrielle. Elle produit des myriades d’informations qui changent les productions des biens et des services, partout dans le monde. Elles rendent ces économies méconnaissables, entrant dans les entreprises et dans les vies de chacun, les faisant presque immédiatement synchrones. Cette révolution de l’Internet, du smartphone, permet de créer, de capter et de traiter plus d’informations que jamais, ce qui fait sans doute naître de nouvelles très grandes entreprises en quelques années (dont les GAFAM), révolutionne des secteurs traditionnels (dont TESLA pour l’automobile), fait bourgeonner des idées (dans les startups et avec les licornes). En même temps, de nouveaux secteurs et emplois naissent, mais des structures d’entreprises sont profondément revues avec emplois moyennement qualifiés détruits. La révolution de l’information polarise les emplois aux deux bouts des chaînes de qualification : peu ou très qualifié, moins ou pas « entre ». En même temps, elle polarise les richesses comme jamais, le gagnant devenant vite monopole (the winner takes it all), raflant la mise et bloquant la croissance par la faible progression des revenus dans leur ensemble, donc rabotant la progression de la consommation.

On voit les effets de cette révolution qui chamboule tout, au moins au début, dans la faiblesse de la croissance mondiale depuis des années et dans les écarts de situation entre les États-Unis et la Chine. Le PIB de la Chine devant égaler celui des États-Unis dans quelques années (2030, 2027 avec le COVID-19). Ces écarts de croissance et de situation ont été accélérés par l’informatisation, la Chine étant capable de produire plus et de distribuer mieux, sur plus grande échelle. En même temps, du fait même de la masse d’informations qu’elle draine ainsi et apprend à traiter, elle creuse les écarts dans une meilleure connaissance des demandes à un niveau fin, pour produire et distribuer, conseiller, suivre et soigner.

Cette logique de destruction d’emplois, suivie d’emplois nouveaux mais très postérieurs, s’est retrouvée dans les deux premières révolutions industrielles, avec son cortège d’instabilités. Dans la première révolution, celle du charbon et de la vapeur autour de 1750 au Royaume-Uni, puis dans la deuxième révolution, celle du pétrole et de l’électricité en Allemagne et aux États-Unis de 1890 à 1910, avant celle de 1970 avec l’informatique que nous vivons. L’histoire nous montre que les révolutions industrielles alimentent des tensions sociales, faisant partout monter le chômage, les manifestations, les crises politiques. La première guerre mondiale est le lointain écho de la révolution qui fait naître l’industrie (allemande) par rapport à l’agriculture (française). La deuxième guerre vient de la mécanisation qui donne la bulle boursière qui explose en 1929, avec le chômage de la mécanisation d’abord, plus celui de la correction boursière et de la récession qu’elle entraîne. On en sortira par la « société de consommation », diffusion aux ménages de l’automobile et du logement équipé, donc par la naissance des classes moyennes, équilibrage des sociétés civiles, comme la paysannerie le fut en son temps.

Disruption : c’est le mot emblème de la révolution informatique en cours, plus violent. Il est celui qui fait disparaître les structures lourdes des entreprises, donc les cadres intermédiaires, les TPE et PME qui meurent ou sont absorbées, même les start ups les plus prometteuses, acquises (à prix d’or) par les gagnantes de la révolution en cours qui veulent renforcer leur position et leur avance.

Vient le COVID-19, qui creuse les écarts et accélère les changements : de nombreuses chaînes de production sont en jeu, avec l’idée, sinon de renationaliser les productions, du moins d’en approcher et renforcer certaines, jugées critiques. En attendant, les secteurs les plus sensibles, liés aux services de loisirs, restaurant, tourisme, manifestations sportives ou culturelles, qui impliquent de la proximité, s’effondrent. En même temps, les modes de production et de distribution changent, avec des questions sur les changements durables que ceci pourrait impliquer dans la consommation et la production, plus directes les deux.

La révolution informatique, avec le COVID-19 pousse à des entreprises plus « plates », à des « carve out », à des restructurations et à des fusions-acquisitions : le chômage va monter. Nous allons vers une reprise lente, modérée et sans emploi, au niveau mondial cette fois. Entreprises plus « plates » : elles vont réduire le nombre de niveaux hiérarchiques, serrer les coûts internes et les achats, payer plus lentement et demander à être payées plus vite. « Carve out », détourage, les entreprises vont tenter d’isoler les activités pour lesquelles elles pensent ne pas avoir la taille critique pour les vendre à une autre, qui l’intégrera dans son processus de production – le nouvel ensemble étant plus efficace. Fusions-acquisitions encore et surtout, avec des réductions d’effectifs, pour répondre à la demande qui change et obtenir, par l’effet de taille, plus d’informations qu’auparavant, vraie source actuelle du succès. La somme de toutes ces modifications est le freinage des embauches, la pression sur les effectifs, les strates et qualifications intermédiaires.

Freiner l’engrenage : c’est d’abord parler des enjeux pour ne pas se perdre et se diviser en questions secondaires, puis former les salariés et renforcer la compétitivité des entreprises. Si le tissu productif français, voire européen en de nombreux lieux, est moins efficace, rentable, donc moins valorisé, ses propriétaires essaieront de le restructurer, de l’améliorer, voire de le vendre. Nous ne sommes pas du tout dans une logique d’expansion, mais d’attrition. C’est elle qui est la plus inquiétante et déstabilisante, car c’est elle qui affaiblit le plus par rapport aux comportements d’expansion des plus gros, puissants, rentables, car mieux informés. Les tensions montent au sein des pays, dans les zones monétaires (comme la zone euro) et entre zone monétaires, notamment entre États-Unis et Chine, entre dollar et yuan.

Revitaliser les structures internationales existantes : OMS, OMC, OIT, derrière le FMI, plus les Accords de Paris et les accords d’échange internationaux, sur une base approfondie. N’oublions pas le modèle de la CECA, échanges et surveillance de charbon et d’acier 5 ans après la Deuxième guerre mondiale : il a donné l’Union Européenne et la zone euro ! 70 ans de paix ! OMS : aujourd’hui, le COVID-19 fait monter les tensions, puisque les vaccins dépendent des niveaux de richesse et des réseaux d’alliances : nationalisme médical plus creusement des écarts entre pays et groupes politiques de pays. Comment en sortir ? OMC : les échanges internationaux croissent mais les accords deviennent plus exigeants, normes sanitaires, sociales, écologiques, voire politiques, en demandant l’ouverture des marchés publics en Chine. Comment en sortir ? Accords de Paris : les pays sont en retard, en conflit sur les mesures et certains demandent des compensations. Comment en sortir ? Signature des Accords avec le Mercosur en incluant des demandes sur le freinage des déforestations ? Comment en sortir ? Comment en sortir ?

La révolution de l’informatique creuse tous les écarts entre Chine, États-Unis et Union Européenne. Elle conduit à des tensions économiques, sociales, monétaires, sanitaires… tout s’ajoute. Les faillites et le chômage vont monter. L’expérience européenne montre que seuls les accords, qui s’empilent (et se complexifient, on a rien sans rien), amènent la paix. Le fameux « multilatéralisme », de plus en plus exigeant et contradictoire, est la solution théorique. Mais en pratique, le « multi » ne peut pas cacher les hiérarchies de pouvoirs et de tensions. Tout doit partir des États-Unis et de la Chine : le voudront-ils ou bien des feux vont-ils s’allumer en Irak, puis en Afghanistan, au Liban, à Taïwan, jusqu’à se réunir ? L’ordinateur est une bombe mondiale, avec une longue et lente mèche.

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