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Ces discrets signaux qui montrent que l’Allemagne n’entend pas accepter de modifications majeures au pacte de stabilité
©JOHANNES EISELE / AFP

Avis à Paris

Christian Lindner, ministre des finances allemand, a nommé Lars Feld en tant qu'économiste un chef, une personnalité connue pour ses positions conservatrice sur le budget.

Sébastien Cochard

Sébastien Cochard

Sébastien Cochard est économiste, conseiller de banque centrale. Il exprime ses vues personnelles dans Atlantico.

Twitter : @SebCochard_11

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Atlantico : Lars Feld a été nommé en tant qu'économiste en chef de Christian Lindner, le ministre des finances allemand. Ce choix doit-il être interprété comme un indice du fait que le gouvernement allemand est peu enclin à revoir en profondeur le pacte de stabilité, comme l'analyse Wolfgang Munchau d'eurointelligence ?
Sébastien Cochard : Oui, bien sûr. Le signal est clair. Au sein de la communauté ordolibérale des économistes allemands, Lars Feld est de surcroît considéré comme un "conservateur". Le choix de Lars Feld comme chef économiste n'est pas surprenant venant du libéral FDP Christian Lindner, ministre fédéral des finances, qui lui-même s'est toujours placé du côté du conservatisme budgétaire, et en particulier a toujours soutenu l'obligation constitutionnelle d'équilibre du budget fédéral, le fameux "schwarze null", cauchemar absolu des économistes keynésiens.
Plus important et plus urgent encore que la négociation à venir au cours des prochains mois sur le sujet de la réforme du pacte de stabilité, "l'éléphant dans la pièce" est surtout le devenir à court terme des rachats de dette publique par la BCE et l'eurosystème. Alors que l'inflation de la zone euro est dorénavant significativement supérieure à l'objectif de 2% (quelles que soient les arguties de retour à l'objectif sur le moyen terme et de prise en considération de la croissance des prix hors influence des postes volatiles comme l'énergie), il est clair que le prétexte depuis 2015 à ces rachats de dette (remonter l'inflation vers l'objectif) a disparu.
Si la BCE voulait respecter le traité de Maastricht, elle devrait donc, non seulement arrêter ses rachats au titre des différents volets du "quantitative easing" (y compris le plan d'urgence pandémique), mais de surcroît la BCE devrait remettre sur le marché les titres qu'elle détient, avant que ces titres de dette n'arrivent à échéance -la détention jusqu'à échéance, suivie par le réinvestissement en titres de dette équivalents du remboursement en capital (ce que la BCE pratique), revient en effet à du financement monétaire des déficits, strictement interdit par Maastricht. Il s'agit là de décisions fondamentales à prendre à très court terme, et qui seraient de nature à profondément fragiliser la cohésion de la zone euro, avec une montée rapide et insoutenable des "spreads", l'écart des taux de marché entre le benchmark allemand et les dettes plus fragiles, ce que la BCE appelle pudiquement le risque de "fragmentation" de sa politique monétaire. L'Italie serait certainement en difficulté, mais tout laisse à penser que la dette française se révèlerait tout aussi insoutenable si la Banque de France et la BCE devaient remettre sur le marché une partie des 40% de la dette totale de la France que ces deux institutions détiennent pour le compte de l'eurosystème.

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Or Lindner entend peser sur ce sujet (et demandera à son nouveau chef économiste de le faire également). Les déclarations de Lindner ont été claires jusqu'à présent : étant donné le niveau d'inflation, la BCE doit mettre fin immédiatement à ses rachats d'actifs. Christian Lindner, lors de son premier déplacement officiel à Paris, a même explicitement demandé à Bruno Le Maire que celui-ci fasse pression sur Christine Lagarde dans ce sens -ce qui démontrait pour le moins que le respect de l'indépendance de la banque centrale, précepte sanctuarisé et normalement défendu bec et ongles par l'Allemagne dans toutes les enceintes internationales jusqu'à encore très récemment, est lui-même passé de mode face à ce que l'Allemagne considère comme une urgence absolue, lutter contre le redémarrage de l'inflation, inflation qui fait perdre de la compétitivité-prix aux exportations allemandes, unique moteur de la croissance de l'économie mercantiliste de notre grand partenaire.
Y-a-t-il d'autres indices allant dans ce sens ? Dans les choix et les déclarations politiques de ces dernières semaines ? 

Le choix par Olaf Scholz du nouveau président de la Bundesbank, Joachim Nagel, va dans la même direction. Nagel a toujours été considéré comme un faucon, et cette réputation n'a pas été démentie à l'occasion de sa participation à son premier conseil des gouverneurs de la BCE début février. Nagel a ensuite déclaré à la presse d'une part que la BCE en 2022 devra mettre fin à ses achats "nets" de titres de dette (son utilisation du terme "nets" est une bonne nouvelle pour la stabilité financière de la zone euro, car cela démontre son acceptation que la politique de réinvestissement des remboursements en capital des titres de dette arrivés à échéance en rachats de titres équivalents, afin de maintenir stable l'encours de dette totale d'un pays détenue par la BCE, acceptation donc que cette politique puisse se poursuivre au moins encore en 2022) mais d'autre part il a appelé l'Union européenne à "durcir ses règles", afin de "pouvoir s'assurer que la réduction des niveaux de dette publiques trop élevés soit effective". Voilà donc la feuille de route allemande de la réforme du pacte de stabilité. Lars Feld ne dira pas autre chose. 
Je noterai également qu'un économiste allemand européiste qui s'approche le plus possible de la définition d'une colombe, le très affable et compétent Jakob von Weizsäcker, qui a abandonné son deuxième mandat de député européen SPD à l'été 2019 pour devenir le chef économiste de Olaf Scholz, alors ministre des finances, n'a pas retrouvé de place dans l'organigramme du gouvernement. Il n'a pas suivi Olaf Scholz à la Chancellerie, contrairement à son collègue Jörg Kukies, n'a pas été nommé à la Bundesbank, et bien sûr n'a pas été reconduit dans ses fonctions de chef économiste du ministère. C'est un élément qui à mon sens souligne la tonalité au total clairement ordolibérale du nouveau gouvernement allemand.
Dans quelle mesure le nouveau gouvernement allemand va-t-il accepter de revoir le pacte de stabilité ? Est-il possible qu'il cède sur des points essentiels ou est-ce hors de question ?
Les discussions auront lieu, et n'aboutiront à rien de substantiel. Même si Lindner lui-même a évoqué la possibilité d'un changement de la cible d'endettement en part de PIB, qui passerait de 60% à 100%, afin de s'ajuster aux nouvelles réalités macroéconomiques, réforme cosmétique de peu d'impact, je doute que même cela puisse passer, du fait de la peur panique des gouvernements à l'idée de devoir modifier les Traités depuis le rejet par référendum du Traité constitutionnel européen par la France en 2005.
Les demandes françaises et italiennes d'exclure certaines dépenses d'investissement des décomptes maastrichtiens resteront mort-nées je pense. Afin d'accroître sa compétitivité externe en réduisant sa demande interne, l'Allemagne depuis 25 ans a strictement limité l'investissement public. Je doute que cette politique, poursuivie par Olaf Scholz ministre des finances, ne change avec la coalition actuelle. Les verts, pour financer entre autres leur transition climatique, auront au mieux quelques fonds d'investissements ad hoc et "hors bilan", qui ne rentreront pas dans la consolidation budgétaire du "schwarze null".
La timide proposition franco-italienne de confier au MES/ESM, ou à une agence de la dette européenne nouvellement créée, le refinancement d'une partie de la dette détenue par la BCE, afin de réduire l'impact d'une inversion des politiques non-conventionnelles de la BCE, n'aura pas plus de succès à Berlin. Bref, une fois de plus, l'Allemagne bloquera toute évolution. Le plan de relance européen, 0,1% du PIB pendant cinq ans, et qui est en réalité intégralement à rembourser par les Etats membres, n'est qu'un trompe-l'oeil européiste et ne constitue en rien un "moment hamiltonien" ou une concession majeure de l'Allemagne. Cet immobilisme ordolibéral structurel constitue bien sûr une menace de plus en plus sérieuse à la soutenabilité de court et moyen terme de la zone euro.

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