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Ces dangers qui planent sur la primaire UMP (et qui dépassent de loin la question des règles du jeu)
©Reuters

Vices cachés

Alors que le député UMP Thierry Solère dévoile l'organisation de la primaire du parti de l'ex-président Nicolas Sarkozy, prévue les 20 et 27 novembre 2016, de nombreuses questions se posent sur ses réels enjeux, au-delà même de sa simple organisation. Si tout le monde s'inquiète de l'influence dans le scrutin de ses nouveaux alliés du centre, c'est bien sur sa droite que la droite pourrait être dépassée.

Vincent Pons

Vincent Pons

Ancien élève de l'Ecole normale supérieure et du MIT, Vincent Pons est professeur d'économie à Harvard, affilié au CEPR, au NBER et au JPAL, et co-fondateur de la société eXplain. Twitter : @VinPons.

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Bruno Cautrès

Bruno Cautrès est chercheur CNRS et a rejoint le CEVIPOF en janvier 2006. Ses recherches portent sur l’analyse des comportements et des attitudes politiques. Au cours des années récentes, il a participé à différentes recherches françaises ou européennes portant sur la participation politique, le vote et les élections. Il a développé d’autres directions de recherche mettant en évidence les clivages sociaux et politiques liés à l’Europe et à l’intégration européenne dans les électorats et les opinions publiques. Il est notamment l'auteur de Les européens aiment-ils (toujours) l'Europe ? (éditions de La Documentation Française, 2014) et Histoire d’une révolution électorale (2015-2018) avec Anne Muxel (Classiques Garnier, 2019).

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  • La primaire va se substituer au premier tour de l'élection présidentielle pour départager la droite et le centre
  • Un scrutin qui attire généralement les électeurs les plus politisés et les plus radicaux
  • Les candidats orienteront donc leurs discours vers la droite de la droite

Atlantico : Le député UMP Thierry Solère vient de dévoiler les modalités de sélection pour la primaire 2016 à l'UMP. Malgré les précautions du dispositif, quelles peuvent être les risque de ce mode de sélection ?

Bruno Cautrès : Les primaires sont en train de s’imposer progressivement dans la vie politique française. Le tournant a été la primaire du PS à l’automne 2011 : le nombre important de participants (près de 3 millions) et l’effet « catapulte » qu’a eu cette primaire sur la campagne et la victoire de François Hollande, ont « imprimé » quelque chose d’important dans notre vie politique. Cette primaire a sans doute marqué la droite qui souhaite réitérer en 2016 le succès de la primaire à gauche de 2011. Ces évolutions du mode de sélection des candidats à la présidentielle s’inscrivent également dans des réflexions qui animent les partis en France depuis la victoire de Obama à la présidentielle américaine de 2008 : comment faire campagne en mobilisant ceux qui sont les plus éloignés de la politique ? Comment (ré)activer pendant la campagne les préférences et les soutiens des sympathisants ? Et tout ceci s’inscrit également dans une évolution des partis : on a vu Nicolas Sarkozy, puis Jean-Christophe Cambadélis, se fixer des objectifs à 500.000 adhérents. Ces objectifs traduisent-ils le souhait (un peu illusoire) de voir le retour de grands partis de masse ? Ou l’émergence de mouvements plus souples, mobilisables au moment des élections mais pas forcément composés de militants au sens pur du terme ?  La primaire du PS en 2011 a parfois été analysée comme un signe de déclin du parti comme organisation politique et comme organisation capable de proposer un programme porté par un candidat. Le candidat sélectionné à l’issue d’une primaire à la française (où le multipartisme existe malgré la ligne de partage ente la droite et la gauche) n’est en effet pas le candidat du parti, mais le candidat du « parti » crée par la primaire et délimité par les conditions d’organisations de la primaire. La primaire comporte donc toujours, dans ce contexte, le risque de voir apparaître des tensions ou des contradictions entre le programme du parti qui l’organise et la plateforme proposée par le candidat sélectionné. Ultérieurement, si le candidat gagne l’élection, il fait face à une équation difficile à résoudre : est-il le porteur d’un projet soutenu par son parti, par ceux qui l’ont désigné candidat ou par ceux qui l’ont élu ? Et dans le cadre du scrutin majoritaire à deux tours, cette éventuelle contradiction est renforcée : est-il l’élu de ceux qui l’ont choisi au premier tour ou au second tour ? Par ailleurs, la primaire doit impérativement être exemplaire en matière d’organisation, de transparence et de moyens égaux donnés aux candidats. Pour l’UMP et la droite française qui n’a pas pour le moment l’expérience et même la culture de la primaire, le challenge est important. Je dirais néanmoins que les avantages l’emportent largement sur ces risques. Enfin, pour 2017, l’organisation d’une primaire à droite va renverser les choses par rapport à 2012 : cette primaire donnera un avantage symbolique à l’UMP puisqu’il est probable que F. Hollande voudra re-candidater et que l’on ne voit comment le PS pourrait organiser une primaire qui ferait descendre le Président de la république au simple niveau d’un candidat comme un autre.

Parmi les conditions d'organisation de la primaire UMP pour l'élection présidentielle de 2017 présentées par le député UMP Thierry Solère, il y a l'ouverture au centre. Avant la montée du FN et de Marine Le Pen, la droite et le centre se départageaient au premier tour de l'élection présidentielle. Les primaires sont-elles en train de devenir un « premier tour des présidentielles » avant l'heure ?

Bruno Cautrès : Oui, c’est un peu de cela dont il s’agit. A l’intérieur de la famille politique organisatrice de la primaire, c’est effectivement un mécanisme permettant de départager les candidats de la même manière que le fait normalement le premier tour. Et c’est justement en cela que la question de l’ouverture de la primaire est aussi importante : au fond, si les responsables de l’UDI ou du Modem ont la possibilité de candidater à la primaire ouverte, il leur devient plus difficile d’expliquer à leurs électeurs pourquoi ils souhaitent se compter au premier tour de la présidentielle dans un contexte où tout va se concentrer sur la question de se qualifier pour le second tour. Cette primaire s’annonce donc comme un jeu d’échec stratégique particulièrement intéressant.

Le congrès UMP de novembre 2012 avait vu le sacre de la motion « Droite forte » de Guillaume Peltier et Geoffroy Didier, qui avait recueilli 27,8% des votes. Beaucoup redoutaient l'ouverture au centre, finalement les sympathisants UMP ne sont-ils pas plus à droite que leurs cadres ?

Bruno Cautrès : Les sympathisants et les membres de l’UMP voudront avant tout la victoire de leur candidat. Le rejet de François Hollande parmi eux est considérable. Cet électorat semble déjà assez mobilisé sur le « match retour » de 2017.  Si une partie de l’électorat et des sympathisants de l’UMP est clairement à droite, la question que vous soulevez dépend aussi de ce que veut dire « être à droite ». Sur les questions économiques, les sympathisants, électeurs et candidats ou cadres de l’UMP sont en phase : ils souhaitent tous la réduction forte des dépenses publiques, la réduction massive des impôts, la décroissance des effectifs de la fonction publique et plus de liberté économique. Sur la dimension des valeurs et de la tolérance culturelle, de l’immigration il existe certains écarts ou nuances. Mais l’offre de la primaire, d’Alain Juppé à Nicolas Sarkozy en passant par Bruno Le Maire et peut-être Xavier Bertrand et Nathalie Kosciusko-Morizet, pemettra aux différentes composantes de la droite de se sentir représentées. Et il se passera sans aucun doute une forte mobilisation autour du vainqueur car le souhait de battre François Hollande sera un très puissant vecteur d’unité.

Vincent Pons : La situation est comparable à ce qui se passe lors des élections primaires américaines. Les sympathisants républicains sont plus à droite que l'électeur médian du parti. Les différents candidats, comme Mitt Romney récemment, ont alors un discours beaucoup plus à droite que le discours qu'ils développent ensuite lorsqu'ils sont confrontés aux candidats démocrates. Au moment de la primaire, l'électeur médian est bien à droite, alors que lors de la présidentielle il est plus au centre, c’est-à-dire l'équivalant des électeurs de François Bayrou en France. L'argumentaire que les candidats vont développer sera alors différent entre les deux élections. Ce qui a pour conséquence que les candidats n'arrivent plus par la suite à sortir de ce discours très à droite qu'ils ont adopté lors de la primaire. C'est le cas de Mitt Romney en 2012, aux Etats-Unis, alors que paradoxalement il est à la base très modéré puisqu'il a notamment été élu gouverneur de l'état très démocrate du Massachusetts.

Puisqu'il s'agit d'une élection ouverte, cela va faire beaucoup plus de bruit, et encore plus que lors de la primaire du Parti socialiste en 2012. Tous les argumentaires que les candidats de droite vont utiliser pour séduire les électeurs de droite vont générer beaucoup plus de débats et de médiatisation. Si la campagne est très à droite, le candidat qui sera sélectionné aura alors de grandes difficultés à revenir en arrière et à rediriger son discours vers le centre pendant la campagne pour l'élection présidentielle.

Il se peut aussi que les électeurs du Front national décident de voter utile et participent à la primaire de la droite pour être sûr d'avoir un candidat vers lequel se retourner si Marine Le Pen ne passe pas le second tour.

Souvent lors de ce genre de scrutin ce sont les électeurs les plus politisés et les plus radicaux qui se déplacent. Qu'est-ce que cela laisse présager pour l'UMP ? Comment répondre au défi de la participation ?

Bruno Cautrès : Je ne suis pas sûr que les électeurs les plus « radicaux » se mobilisent plus que les autres. Les plus politisés se déplacent davantage, cela est sûr : il s’agit de ceux qui s’intéressent le plus à la politique, qui se sentent les plus concernés par le choix du candidat et qui souhaitent le plus la victoire de leur camp. Mais si l’on prend l’exemple de la primaire à gauche de 2011, c’est bien François Hollande et non Martine Aubry, réputée plus à gauche, qui a été choisi. Dans la primaire réservée aux adhérents du PS pour 2007 c’est Ségolène Royal et non Laurent Fabius (DSK était le troisième candidat) qui avait été choisie. Les participants à la primaire sont donc très mobilisée par le sentiment de venir soutenir un candidat pouvant faire gagner son camp.

Vincent Pons : L'un des enjeux de la primaire est de savoir s'il y a des candidats de l'UDI, par exemple, qui se présenteront et si les électeurs de ce parti iront voter lors de la primaire. Si l'on regarde les résultats des départementales, on voit que les binômes avec  l'UDI ont particulièrement bien réussi  à la droite, contrairement aux candidats du centre comme ceux du MoDem qui se sont présentés indépendamment. Il y a quand même une sorte de recomposition de l'échiquier politique où le centre fait alliance avec la droite. Si ce mouvement se prolonge  avec une participation de l'électeur du centre-droit à cette primaire cela permettrait malgré tout de recentrer le débat.

Par le passé, les primaires se sont avérées être des « machine à perdants », on pense à la « tea-partisation » des Républicains américains ou encore à Eva Joly chez les Verts. Comment éviter ce travers-là ? Les modalités actuelles le permettent-elles réellement ?

Bruno Cautrès : Il faut quand même tenir compte de l’exemple de la primaire à gauche en 2011 qui a sélectionné le futur vainqueur de la présidentielle. Mais il est vrai que l’on ne manque pas d’exemples inverses comme ceux que vous citez. Pour que la primaire joue son rôle de « catapulte » pour mettre en orbite un futur gagnant, il existe les mêmes conditions que lors de la présidentielle : que le candidat soit bon, que les électeurs aient le sentiment que c’est son moment, qu’il dispose du soutien entier de son parti pendant la campagne, que son programme comporte des signes forts que les électeurs peuvent capter. Et qu’à titre personnel il suscite chez les électeurs un vrai mouvement de soutien. Pour la présidentielle il faut incarner en même temps l’autorité et le charisme (dimension verticale) et la proximité, la compréhension des problèmes des citoyens (dimension horizontale). Il faut donner le sentiment aux électeurs que l’on a les épaules assez larges pour incarner le rôle présidentiel mais que l’on est « un des leurs », à leur côté. Cette double dimension pose problème à tous les candidats, aucun ne parvient à être en équilibre parfait sur ces deux dimensions à la fois. Le candidat qui, dans la primaire, incarnera le mieux cette double tension, prendra un avantage certain en cas de sélection pour la présidentielle. Pour les deux principaux candidats à la primaire de l’UMP, et encore plus lorsque l’un des deux aura été choisi, incarner cette double dimensions sera le cœur de leur stratégie. Mais comme les électeurs les connaissent déjà bien, ils auront un challenge supplémentaire : montrer qu’ils sont à la fois toujours les mêmes, avec les qualités respectives que les électeurs de droite et du centre apprécient chez chacun, et qu’ils ont retenu des leçons de leurs erreurs passées. Pour Nicolas Sarkozy, la victoire de l’UMP aux récentes élections départementales lui a permis de marquer un point important. Va-t-il pouvoir capitaliser sur ce résultat ? Pour Alain Juppé, comment incarner le renouveau alors que les électeurs le connaissent depuis des décennies ? Une sacrée équation à résoudre pour chacun !

Vincent Pons : Cela n'est pas forcément le cas. L'un des aspects principaux d'une primaire ouverte c'est qu'elle suscite une participation très forte et donc un intérêt médiatique très fort, ce qui a pour effet de permettre de sélectionner en principe le meilleur candidat sur son charisme et son programme. Cela lui donne une grande légitimité car il arrive à la présidentielle avec un premier scrutin qu'il a remporté, ce qui le rend quasiment indiscutable. Mais ce n'est positif qu'à condition que le débat ne soit pas trop détourné vers les extrêmes.

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