Certaines crèmes solaires grand public deviennent cancérigènes si on les conserve trop longtemps<!-- --> | Atlantico.fr
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Selon une nouvelle étude, l’octocrylène, un filtre de protection solaire organique, se dégrade avec le temps en benzophénone qui est soupçonné d’être cancérigène.
Selon une nouvelle étude, l’octocrylène, un filtre de protection solaire organique, se dégrade avec le temps en benzophénone qui est soupçonné d’être cancérigène.
©MARTIN BERNETTI / AFP

Octocrylène

Selon une étude menée par des chercheurs français et américains et publiée dans Chemical Research in Toxicology, un certain nombre de produits de protection solaire sont susceptibles de devenir cancérigènes s'ils sont conservés trop longtemps. D'après cette étude, des crèmes solaires libèrent des produits chimiques toxiques au bout d'un certain temps.

Didier Stien

Didier Stien

Didier Stien est directeur de recherche au CNRS. Membre de l’Observatoire océanologique de Banyuls-sur-Mer, attaché à Sorbonne Université et au CNRS.

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À l’occasion des vacances d’été, Atlantico republie une sélection des meilleurs articles de l’année 

Atlantico : Vous soulignez dans votre étude « Benzophenone Accumulates over Time from the Degradation of Octocrylene in Commercial Sunscreen Products » parue dans Chemical Research in Toxicology, qu’avec le temps l’octocrylène, un filtre de protection solaire organique se dégrade en benzophénone qui est soupçonné d’être cancérigène. Comment en êtes-vous venu à cette conclusion ?

Didier Stien : Nous avons d’abord analysé des filtres solaires et trouvé qu’il y a de la benzophénone dedans. Il ne s’agit pas uniquement de crèmes solaires, la molécule absorbe les rayonnements UV donc on en trouve aussi dans les crèmes de jour. La question qui se posait ensuite était l’origine de cette dernière. La solution logique, pour un chimiste, c’est d’imaginer qu’il pouvait y avoir une dégradation d’un des composants, ici, l’octocrylène. C’est une vieille molécule utilisée comme filtre solaire. La molécule est coupée en deux parties dont l’une est la benzophénone. Cela nous a interpellé car plusieurs articles montrent une certaine toxicité de cette dernière. Donc nous avons acheté des cosmétiques neufs dans le commerce, nous les avons testés. Chaque fois qu’il y avait de l’octocrylène dans la cosmétique il y avait de la benzophénone en quantité significative. Ensuite nous avons fait un processus de vieillissement accéléré qui a montré que la concentration augmentait avec le temps. Il était connu que les produits contiennent un peu de benzophénone mais la plupart des entreprises pharmaceutiques ne savaient pas que l’octocrylène se dégrade en cette molécule, ça n’était pas connu. C’est ce que nous avons montré.

Y-a-t-il une concentration en benzophénone ou un seuil de temps à partir duquel les crèmes deviennent dangereuses ?

Le problème c’est que la toxicité de benzophénone n’est décrite que depuis récemment dans la littérature donc il n’y a pas de concentration définie comme étant inacceptable pour l’homme. La seule législation, qui est encore en examen, concerne l’Etat de Californie. Aux Etats-Unis la benzophénone est interdite dans tous les aliments et emballages. Mais on a découvert que la benzophénone passait aussi relativement bien à travers la peau donc la Californie essaie de légiférer pour limiter la concentration de cette molécule dans les cosmétiques. Ils ont pris pour limite 10mg par kilo (10 ppm). Or, même neuves, la plupart des produits en contiennent plus. Sur 16, seuls deux ne dépassent pas cette limite avant vieillissement et plus aucune après vieillissement. Les taux d’augmentation sont plus ou moins rapides et dépendent de la composition globale.

Cela doit-il nous pousser à bannir toutes les crèmes à base d’octocrylène ?

Je ne suis pas un législateur, je suis un scientifique et nous avons publié nos données. C’est au législateur de se poser la question de la limite acceptable pour une exposition à l’homme. Clairement, certains produits ont des concentrations élevées et mal maitrisées. Dans la mesure où l’on n’est pas capable de contrôler la production de benzophénone, il semble douteux de continuer à utiliser l’octocrylène. Il y a un lien fort et apparemment insolvable entre les deux molécules. En plus l’octocrylène est déjà une molécule un peu douteuse et est en réévaluation aux Etats-Unis.

Par ailleurs l’octocrylène a un très fort impact sur la vie marine et sur les coraux. Nous pensons que c’est l’un des principaux responsables de la disparition des coraux dans les zones qui sont touchées. En particulier Hawaï et les endroits où il y a beaucoup de baigneurs. Il est raisonnable de croire à ce lien. Ces faits pourraient laisser penser qu’il faudrait mettre en place une interdiction au moins par précaution. A l’époque de sa mise sur le marché on ne savait pas cela, maintenant c’est le cas et nous avons les moyens de mettre en place des cosmétiques respectueuses de l’environnement et sans danger pour les usagers. Il faut commencer à penser aux cosmétiques de demain. Toutefois, je ne veux pas faire le procès des filtres solaires, les produits de protection solaire sont utiles à l’humanité. Mais je pense qu’on ne peut plus continuer à répandre de l’octocrylène ou d’autre composants toxiques sur les coraux. Hawaï a voté l’interdiction de l’octocrylène et elle sera mise en place en 2023.

La législation autour de ces produits existe donc principalement aux Etats-Unis, pourquoi la France ne s’empare pas de ces questions ?

Hawaï a vu ses coraux disparaître à l’échelle d’une vie, en quelques dizaines d’années, donc les gens sont très sensibilisés à la question, c’est ce qui explique que ce sont des leaders. Pour autant, le premier pays à avoir interdit l’octocrylène ce sont les îles Palaos. Ils ont eu vent de notre étude sur l’impact sur les coraux et ont interdit la molécule un mois après. Mais c’est assez surprenant car si en France métropolitaine il n’y a pas récifs coraliens, le pays se classe quatrième en termes de surface coralienne avec ses territoires ultra-marins. On pourrait avoir un rôle de leader à jouer.

Didier Stien est directeur de recherche au CNRS. Membre de l’Observatoire océanologique de Banyuls-sur-Mer, attaché à Sorbonne Université et au CNRS.

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