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Justin Trudeau
Justin Trudeau
©Lars Hagberg / AFP

Emissions carbone

Depuis plusieurs années, Justin Trudeau définit le Canada en chef de file concernant le climat en se fixant des objectifs toujours plus ambitieux. Malheureusement, ceci ne suffit pas à masquer les réelles émissions de gaz à effet de serre du pays.

Samuel Furfari

Samuel Furfari

Samuel Furfari est professeur en géopolitique de l’énergie depuis 20 ans, docteur en Sciences appliquées (ULB), ingénieur polytechnicien (ULB). Il a été durant trente-six ans haut fonctionnaire à la Direction générale de l'énergie de la Commission européenne. Auteur de 18 livres.

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Atlantico : Le Premier ministre Justin Trudeau présente le Canada comme un leader mondial en matière de climat, avec la poursuite d’objectifs et de politiques climatiques toujours plus ambitieux sous sa direction. Mais les émissions de gaz à effet de serre du Canada racontent une toute autre histoire en réalité. Une multitude de politiques climatiques défendues par le Premier ministre canadien Justin Trudeau ne se sont pas encore traduites par de fortes réductions des émissions carbone et de la pollution dans le pays. Comment expliquer ces différences ? Quelle est la réalité des données dont nous disposons sur le Canada qui seraient éloignées des promesses de Justin Trudeau ? 

Samuel Furfari : En 1992, année de l'adoption de la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques, le Canada a émis 442 millions de tonnes de CO₂ (Mt CO₂). L'année dernière, il a émis 527 Mt CO₂. Il s'agit d'une augmentation de près de 20 %. Il faut également noter qu'avant la pandémie de Covid, les émissions de CO₂ du Canada étaient de 571 Mt CO₂, l'augmentation a donc été de 30 %. Cela souligne que la crise du Covid a frappé ici comme ailleurs. Mais cela montre aussi que si un pays veut créer des emplois, offrir une croissance qui soutient la qualité de vie, il ne faut pas s'attendre à une réduction de ces émissions.

Ce n'est pas seulement pendant le mandat de Justin Trudeau qu'il y a eu une augmentation. Son prédécesseur, Stephen Harper, a fait de même. Elle est constante depuis que les leaders mondiaux ont affirmé que nous allions réduire ces émissions.

Malgré les grandes déclarations lors de 26 COP les émissions mondiales de CO₂ ont augmenté de 59 % depuis l'adoption de cette convention alors que son objectif était de limiter les émissions mondiales de CO₂. Sans la pandémie de Covid, elles auraient probablement augmenté de 65 %. Dans le monde réel, lorsque les résultats sont si mauvais et si contradictoires avec l'objectif, des mesures drastiques sont prises sans hésitation, soit pour abandonner l'objectif irréaliste, soit pour changer l'équipe défaillante. Dans le contexte du changement climatique, c'est le contraire qui est vrai. Plus les émissions mondiales de CO₂ augmentent, plus, avec la complicité des médias et des ONG environnementales, les mêmes litanies sont répétées, au Canada et ailleurs.

Les émissions de CO₂ des pays non membres de l'OCDE ont augmenté de 134 % ; les émissions de la Chine ont explosé de 311 %, le record de croissance étant détenu par le Vietnam qui a produit 1300 % de CO₂ en plus. L'Afrique n'a augmenté ses émissions de CO₂ que « de 93 % » parce qu’elle est malheureusement à la traîne dans la course au développement.

Donc le gouvernement canadien est un bon élève par rapport aux autres. Pour les émissions de CO₂ c'est comme les riches et les pauvres, il y a toujours quelqu'un qui est plus riche ou plus pauvre. Donc Justin Trudeau va continuer à parler sans obtenir de résultats. Dans quelques semaines, il répétera sans doute sa litanie à Sharm-el-Sheik lors de la COP-27 dont nous savons déjà qu'elle sera un échec plus retentissant que les précédentes.

Quels ont été les principaux échecs du Canada en matière de politique énergétique et environnementale dans le cadre de la réduction des émissions carbone ?

Justin Trudeau n'a pas de baguette magique pour faire baisser les émissions de CO₂. Personne ne l'a et donc les plans qu'il a mis en place ne pouvaient pas fonctionner. C'est évident partout comme le montrent les chiffres qui viennent d'être cités.

Les gouvernements aiment — et le Canada aussi — augmenter artificiellement le prix de l'énergie en taxant les émissions de CO₂, dans l'espoir de diminuer la demande. Cela ne fonctionne qu'à la marge. Nous le voyons chez nous en ce moment, n'est-ce pas ? Le prix à la pompe est insupportable et pourtant les gens font la fille pour remplir le réservoir de leur voiture. La demande d'énergie est inélastique, comme on dit en économie ; même si son prix augmente, nous ne pouvons pas nous en passer, du moins pour les usages industriels et essentiels de la vie comme le chauffage.

Mais il y a plus. Le Canada est un grand producteur d'énergie pour le marché mondial. Selon le Statistical Review of World Energy 2022 de BP, sous la direction de M. Trudeau, la production de pétrole du Canada a augmenté d'environ 25 % et celle de gaz de 7 %.

De toutes les façons il faut aussi souligner les aspects positifs en matière de protection de l’environnement. Il est aisé de faire peur aux gens sur les questions environnementales et de la "protection de Mère Nature". Ces questions sont complexes et il est aisé de camouflet les progrès qui sont tangibles partout dans l’OCDE et donc aussi au Canada. La qualité de l'air au Canada est presque la plus propre au monde. Par exemple, les concentrations ambiantes d'ozone troposphérique ont tendance à diminuer depuis 2000, et en 2015, elles étaient inférieures de 27 % au niveau de 1979. Les concentrations de particules fines sont toujours restées inférieures aux nouvelles normes de qualité de l'air. Quant aux précurseurs des pluies acides, ils sont en chute libre. En 2015, les niveaux de dioxyde de soufre au Canada étaient 92,3 % plus bas qu'en 1974 et ceux d’oxydes d’azote ont diminué de 74,4 % sur la même période.

Pourquoi ces succès sur l’environnement et l’échec sur les émissions de CO₂. Parce qu’il existe des technologies pour réduire les polluants atmosphériques et il n’y a pas presque pas pour combattre les émissions de CO₂.

Que cache ce « double discours » entre les promesses et les engagements pris et la réalité des faits qui est de bien moindre efficacité ? Cela traduit-il un manque de courage politique des pays progressistes comme le Canada et de certains leaders progressistes comme Justin Trudeau sur ces enjeux environnementaux malgré leurs promesses ? 

Toute la question est faussée par le simple fait que personne ne produit intentionnellement du CO₂. C'est un sous-produit de la consommation de combustibles fossiles, qui est elle-même un sous-produit de la demande de travail. On oublie trop facilement les lois de la physique. L'énergie est exactement la même quantité physique que le travail, c'est-à-dire le déplacement d'une force (un poids) sur une distance. Tout effort, tout mouvement est un travail et consomme de l'énergie. Nous ne passons pas notre temps à produire des gaz à effet de serre par plaisir ou par insouciance. C'est la conséquence de la vie, des diverses activités personnelles, des services ou des industries. Justin Trudeau et les autres dirigeants peuvent promettre ce qu'ils veulent, il y a longtemps que je ne leur accorde plus aucun crédit.

Si nous voulons que la croissance fournisse des emplois et une qualité de vie à une population croissante, nous devrons travailler plus et donc consommer plus. Nous nous rendons enfin à l'évidence. Seuls les combustibles fossiles rendent cela possible. Au cours des dix dernières années, 61 % de la croissance de l'énergie primaire dans le monde a été assurée par les combustibles fossiles. Dans les pays hors OCDE, cette part est de 80 %. Cela signifie que si la consommation d'énergies renouvelables augmente, la consommation de combustibles fossiles augmente beaucoup plus.

Nous ne cherchons pas des solutions uniquement pour lutter contre le changement climatique. Depuis 49 ans — depuis le premier choc pétrolier — le monde s'efforce de trouver des solutions énergétiques alternatives. Après des efforts de recherche dans un premier temps, puis des subventions de toutes sortes et enfin des obligations de production pour les énergies renouvelables, celles-ci n'ont pris en charge qu'une partie de la croissance de la demande. De plus, si l'on considère les énergies renouvelables tolérées (c'est-à-dire hors bois et hydraulique), elles ne représentent aujourd'hui que 3 % du bilan énergétique. Quel est votre degré d'optimisme ? Allons-nous doubler ? Tripler ? Imaginons même un quadruplement — ce que je ne vois pas du tout arriver — cela ne représentera que 12 % du bilan d'une consommation en forte croissance.

Retournez le problème comme vous voulez, les émissions mondiales de CO₂ augmenteront. Le Canada est aussi une terre d'émigration et d'emplois, et les plans de Trudeau, comme ceux de ses prédécesseurs, n'y feront rien.

Les pays du G7 ont réussi à assurer leur croissance économique tout en réduisant leurs émissions. Mais le commissaire à l'environnement du Canada affirme que le pays a du mal à tenir ces objectifs et à redresser la courbe. Parmi les pays du G20, le Canada n'est devancé que par l'Arabie saoudite pour ce qui est des émissions par habitant. Le Canada a-t-il les moyens de changer cette situation ? Quelles solutions Justin Trudeau devraient appliquer pour suivre un chemin plus vertueux et pour tenir ses engagements ?

Prendre un seul paramètre pour comparer les performances énergétiques d’un pays est une erreur d’énergéticien débutant. Le Canada n'a pas réussi à réduire ces émissions notamment parce que depuis 1990 la population a augmenté de 37 %. Le Canada accepte actuellement 400 000 immigrants chaque année.  Plus de gens qui doivent vivre et travailler occasionne plus de demande d’énergie. Les objectifs climatiques proclamés par Justin Trudeau ne pourront donc jamais être atteints, malgré les mesures extrêmes et destructrices pour l'industrie actuellement imposées.

Ensuite le Canada est le second pays plus froid au monde et on ne chauffe pas les maisons avec des éoliennes et panneaux solaires photovoltaïques. Il faut donc bien utiliser des énergies fossiles pour survivre au froid. Sa densité de population extrêmement basse (4 habitant par km2) le pénalise évidemment. Du fait de la météorologie et de la densité de population, la comparaison devrait se faire par rapport à la Russie et là le Canada serait bien mieux classé.

Les États-Unis ont réduit leurs émissions depuis 2008/2009 grâce au gaz de schiste très bon marché qui a remplacé une grande partie du charbon dans les centrales électriques. Le président Obama s'est engagé en 2015 à Paris à réduire les émissions de son pays alors que c'était déjà fait. Reste l'UE, qui a réduit ses émissions de 23 % par rapport à 1990, mais à quel prix ! Elle a une économie faible, elle se désindustrialise et dépense beaucoup d'argent pour obtenir une électricité chère, ce qui pousse ses industries à délocaliser. Il suffit de regarder l'état de notre industrie.

Il n'y a pas de miracles dans le domaine de l'énergie. La croissance économique force la consommation d'énergie et il est désormais évident que les énergies renouvelables resteront limitées en raison de leur coût élevé (s'il ne l'était pas, il n'y aurait pas besoin de forcer leur production par trois directives européennes consécutives depuis 2009), de leur empreinte qui limite leur utilisation massive, de leur intermittence qui ne peut être compensée que par les énergies fossiles.

Il reste donc deux solutions pour réduire les émissions de CO₂, et le Canada y travaille : pousser le nucléaire et l'efficacité énergétique, rebaptisée sobriété. Le Canada a une carte à jouer dans l'énergie nucléaire grâce à ses réacteurs de type Candu, qui fonctionnent à l'uranium naturel. Quant à l'efficacité énergétique, avons-nous besoin de plans alambiqués pour savoir que gaspiller l'énergie est stupide ?

Je conclurai en disant qu'il faut se méfier des promesses des politiciens et aussi des comparaisons hasardeuses entre des pays si différents. Le seul paramètre valable est celui des émissions mondiales de CO2, et là c'est clair, elles ont augmenté et vont augmenter. Moins nous gaspillerons l'argent que nous avons de moins en moins dans cette quête inutile, mieux ce sera, d'autant plus que chacun se portera mieux s'il est plus prospère. Le Canada aussi..

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