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Ce qui a été fait, ce qui reste toxique : le vrai bilan de la régulation financière depuis 2008
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Série : la crise 5 ans après

Cinq ans après la tempête provoquée par la faillite de Lehman Brothers, plusieurs mesures ont été adoptées pour tenter de contrôler les risques financiers, mais des améliorations sont encore nécessaires. Troisième épisode de notre série : "La crise, cinq ans après".

Atlantico : 5 ans après le début de la chute de Lehman Brothers, la question du contrôle et de l'encadrement de l'industrie financière fait toujours débat. Si l'on devait aujourd'hui faire le bilan en la matière, quel serait-il selon vous ?

Paul Jorion : Il faudrait commencer par préciser qu'au début de cette crise, la réaction initiale a été vigoureuse à l'écroulement des structures financières à partir de l'automne 2008. Plusieurs commissions, en particulier aux Etats-Unis, ont ainsi été mises en place pour tenter de "prendre le taureau par les cornes" et diminuer la fragilité du système financier tel qu'il s’était spontanément construit. L’Europe, à l’inverse, a réagi de manière bien plus molle en se contentant de se mettre à la remorque de l'exemple américain, autrement dit d'attendre et de voir ce qui se faisait ailleurs, et ceci assez logiquement vu le poids du dollar par rapport à celui de l’euro au sein du système économique global.

Cela étant dit, les interlocuteurs de l'industrie financière ont conservé à l'époque un pouvoir de négociation considérable en dépit des erreurs qu’ils avaient commises et dont la catastrophe était le témoignage vivant. Cette industrie a ainsi pu empêcher, par des efforts de lobbying, la mise en application de la plupart des mesures visant à changer les règles du jeu financier, restant convaincue que la forme du système telle qu’elle existait avant la crise restait souhaitable pour les années à venir, ce qui de son point de vue égoïste était effectivement le cas. Ainsi, des mesures visant à empêcher que ne se reproduise un effondrement tel celui de l’automne 2008 sur le marché des capitaux à court terme, ont été rejetées en juin 2012 par les intervenants sur ces marchés, laissant ouverte la possibilité qu’un tel désastre se reproduise. Un autre fait important à prendre en compte est le caractère non régulé d'une grande partie de l’industrie financière, permettant que des activités découragées dans la partie du secteur qui est régulé se déplace vers celui qui ne l’est pas, le risque systémique global demeurant du coup inchangé.

Norbert Gaillard : Le bilan est contrasté. La loi Dodd-Frank votée aux Etats-Unis en 2010 comporte des avancées positives. D'abord, la règle Volcker limite les comportements spéculatifs des banques. Ensuite, les références aux notations dans les réglementations financières sont retirées, ce qui doit in fine responsabiliser les investisseurs. Enfin, est instaurée une obligation de compensation des produits dérivés négociés de gré à gré, ce qui réduit le risque systémique. Sur ces trois points de réforme, les Européens ont également progressé.

Par ailleurs, la coopération fiscale entre pays industrialisés a été renforcée, en particulier grâce au vote du Foreign Account Compliance Tax Act aux Etats-Unis. La lutte contre les paradis fiscaux est devenue plus efficace. Malheureusement, les pays émergents sont restés à l'écart de ces efforts de coopération et il faut s'attendre à ce que les places financières asiatiques tirent profit des nouvelles réglementations américaines et européennes. Concernant la nouvelle réglementation de Bâle III, le renforcement des exigences en matière de fonds propres est compréhensible mais cela sera insuffisant pour enrayer la procyclicité de l'activité bancaire.

Si de nombreuses banques américaines ont retrouvé ou dépassé leurs niveaux d'avant-crise, les risques sur l'industrie n'ont pas disparu. Quels sont selon vous les principaux dangers qui pèsent actuellement sur le système ?

Paul Jorion : La fragilité du système financier demeure la même qu’au moment du déclenchement de la crise. Un des exemples les plus révélateurs est le cas des établissements "too big to fail" (trop gros pour faire faillite en raison du risque qu’ils créent pour l’ensemble du système, NDLR). Il était clair dès l’automne 2008 que la seule solution pour résoudre ce problème était de démanteler les entreprises dont la faillite éventuelle entraînerait l'ensemble du marché à sa suite, pour constituer des structures plus petites ne représentant pas, elles, un risque systémique. Les mesures que l'on évoque actuellement sont bien plus timides : on exige au niveau de Bâle III que les banques systémiques constituent des réserves en fonds propres supérieures de 2,5% à celles des autres établissements, ce qui est bien entendu ridicule puisque l’on parle de banques susceptibles d’entraîner l’ensemble du système financier dans leur chute.

Ce manque d'ambition est coupable dans un contexte où l'industrie financière est aujourd'hui si fragile que la moindre alerte réveille le spectre d’un nouvel effondrement. On l'a vu notamment au mois de juin dernier lorsque M. Bernanke, gouverneur de la Federal Reserve américaine, a annoncé qu'il pourrait restreindre sa politique d'injection monétaire (4 milliards de dollars/jour). Aussitôt les marchés obligataires et les bourses se sont effondrés un peu partout sur la planète, en particulier sur les grandes places des pays émergents. Autre exemple très récent : la situation du Portugal qui se rapproche à grand pas de la situation grecque, nouvelle qui devrait bouleverser les marchés dans les prochains jours.

Norbert Gaillard : Les établissements de crédit, comme la plupart des autres acteurs financiers sont confrontés à plusieurs risques.

Tout d'abord, il y a les incertitudes qui planent sur le changement de politique monétaire outre-Atlantique. Le président de la FED, Ben Bernanke, met tout en œuvre pour qu'il y ait un "soft landing" mais y parviendra-t-il ? Le risque de krach obligataire et de remontée brutale des taux d'intérêt ne peut être totalement écarté. Deuxièmement, la crise des dettes souveraines en zone euro est loin d'être réglée. Le pourcentage de créances douteuses en Espagne est supérieur à 10% et le chômage reste à un niveau incroyablement élevé. Des incertitudes politiques persistent en Italie. La France est encore loin d'avoir lancé les réformes structurelles que les investisseurs attendent. Enfin, la zone euro a encore un vrai problème de gouvernance.

Quels efforts vous apparaissent comme les plus salutaires en la matière ?

Paul Jorion : En priorité, il m'apparaît essentiel d'interdire la spéculation proprement dite, c'est-à-dire les paris à la hausse ou à la baisse sur le prix des produits financiers. Cette pratique était proscrite en France jusqu'en 1885, et dans la majeure partie du monde jusqu'à la fin du XIXe siècle. L'impact de ce changement est passé relativement inaperçu à l'époque coloniale, où l'exploitation massive des ressources du tiers-monde permettait de masquer la ponction de la spéculation sur l’économie globale. Tout cela est aujourd'hui révolu à une époque où la production des ressources (dont le pétrole) a dans beaucoup de cas atteint son pic, ce qui a conduit à la financiarisation : le poids aujourd’hui démesuré de la finance dans l’économie (40% du PIB global en 2006).

Le rôle des Bbnques centrales, dont la responsabilité est allée croissante avec l'émergence des crises obligataires, doit-il être en conséquence revisité ?

Norbert Gaillard : La politique expansionniste de la FED a permis d'éviter une dépression semblable à celle de 1931-1933 mais elle ne règle nullement le problème de fondqui est le surendettementdes Etats. La Banque Centrale Européenne (BCE) ne peut aller au-delà de son mandat et se lancer dans de la création monétaire ; l'Allemagne s'y opposerait de toute façon. La BCE peut cependant encore étendre la gamme des titres admis comme contrepartie mais, globalement, les banques centrales peuvent difficilement faire plus que ce qu'elles font à l'heure actuelle. C'est désormais aux établissements de crédit de servir de courroie de transmission en prêtant aux entreprises, en particulier aux PME qui ont plus de difficultés pour se financer. De leur côté, les Etats doivent se désendetter en réformant leur politique fiscale et leurs systèmes sociaux. Un pays comme la Suède l'a fait au cours des années 1990, ce qui lui a permis de réduire son ratio de dette publique sur PIB de 45% en 2006 à 38% en 2012 ; c'est remarquable! Et la Suède n'a pas une culture économique ultra-libérale, c'est un pays social-démocrate!

Paul Jorion : On s’est effectivement mis à exiger des banques centrales qu’elles jouent un rôle de plus en plus politique avec l'émergence des crises budgétaires des États. Le principal adversaire de cette nouvelle donne a été M. Jens Weidmann, président de la Bundesbank, qui n'a cessé de critiquer le positionnement justement très politique de M. Draghi. Je suis d'accord avec lui pour dire que, dans l’intérêt du fonctionnement des institutions démocratiques, les décisions d’ordre politique continuent de relever des élus : les banques centrales peuvent occuper un certain champ d'action, en fixant le taux d'intérêt à court terme et en agissant sur les taux à long terme, ainsi qu'en tentant d'orienter les économies vers le plein emploi, comme c’est d’ailleurs explicitement le rôle de la Fed. Cependant il n'est pas forcément judicieux d'en demander toujours plus à des structures qui n'ont pas été pensées pour ce type d'action alors que c'est là le rôle des gouvernements et des parlements.

Peut-on par ailleurs imaginer une limitation du rôle de la finance dans certains secteurs de l'économie réelle ou s'agit-il d'une fausse bonne idée ?

Norbert Gaillard : Le plus important est de responsabiliser l'ensemble des acteurs financiersCertains d'entre eux sont parfois dans une position de bref intermédiaire financier qui se débarrasse du risque au détriment des autres acteurs de marché. Ce fut la cause profonde de la crise des subprimes de 2007. C'est à ce problème-là qu'il faut s'attaquer prioritairement.

Paul Jorion : Encore une fois, le meilleur moyen me semble celui de l'abrogation des lois qui autorisèrent la spéculation, puisqu'une telle action permettrait de rééquilibrer l’économie en y rappelant des ressources d’un montant considérable qui en sont aujourd’hui détournées. Ceci dit, il faudra dans ce cas prendre des mesures particulières : si des sommes massives ne peuvent plus se placer sur le marché financier spéculatif, il est évident qu'elles risquent de s’investir massivement dans l’immobilier, ce qui pourrait provoquer des hausses de prix qui mettront une fois pour toutes l’achat d’un logement hors de portée pour les ménages de la classe moyenne.

Peut-on dire que l'on a aujourd'hui retenu la leçon de cette crise alors que des produits financiers bien plus risqués que les subprimes sont utilisés sur le marché à l'heure actuelle ?

Paul Jorion : Sur ce plan, on peut dire effectivement que la leçon n'a pas été retenue. La théorie économique dominante, celle qu’expriment les Prix Nobel d’économie, affirme que toute innovation en matière de produits financiers est nécessairement salutaire, puisqu'elle contribue à ce que l'on appelle la "complétude des marchés". Or pour certains produits (comme les CDO), le risque est en réalité incalculable et contribue donc au risque systémique puisque les réserves constituées sont fantaisistes.

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