L'Union fait la force... oui, mais en s'y prenant comment exactement ? Ce que pourra réellement faire Edouard Martin pour l'industrie française une fois député européen<!-- --> | Atlantico.fr
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Edouard Martin conduira la liste socialiste aux élections européennes de 2014 .
Edouard Martin conduira la liste socialiste aux élections européennes de 2014 .
©REUTERS/Christian Hartmann

L'intrus

Syndicaliste CFDT de Florange, Edouard Martin avait mené la lutte pour le maintien des hauts-fourneaux du site mosellan de Florange. Il conduira la liste socialiste aux élections européennes de 2014 dans la circonscription du Grand Est pour "poursuivre le combat pour la sauvegarde de l'industrie au niveau européen." Pas sûr qu'il ait les moyens de ses ambitions.

Laurent Pinsolle et Alain Fabre

Laurent Pinsolle et Alain Fabre

Alain Fabre est à la tête d’une société indépendante de conseil financier aux entreprises. Il a commencé sa carrière comme économiste à la Banque de France avant de rejoindre la Caisse des Dépôts et Consignations, puis la Cie Financière Edmond de Rothschild. Il a publié pour l'Institut de l'Entreprise L'Italie de Monti, la réforme au nom de l'Europe.

 

Laurent Pinsolle tient le blog gaulliste libre depuis 2007. Il est également porte-parole de Debout la République, le parti de Nicolas Dupont-Aignan.

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Atlantico : Edouard Martin, qui conduira la liste socialiste aux élections européennes de 2004, a déclaré "avoir envie de poursuivre le combat pour la sauvegarde de l'industrie au niveau européen, parce que c'est là que se prennent les grandes décisions qui nous impactent". Mais quel est le pouvoir des députés dans ce domaine ? 

Laurent Pinsolle :Les députés européens ont un pouvoir extrêmement limité pour sauvegarder l’industrie au niveau européen :

- Tout d’abord, l’initiative des lois vient presque exclusivement de la Commission européenne. Si elle ne souhaite pas prendre d’initiative dans ce domaine, alors le Parlement ne pourra pas agir;

- Ensuite, les traités européens ne permettent pas de mesures de protection puisqu’ils organisent une concurrence libre et non faussée qui empêche toute action de sauvegarde. Dès qu’un Etat essaie d’agir, il se fait poursuivre et est condamné par la Cour de Justice

- Enfin, la Commission, qui détient l’essentiel des pouvoirs, poursuit un agenda d’ouverture toujours plus forte des marchés européens au commerce avec l’étranger (traité transatlantique, traité avec le Canada, traité avec la Corée…) qui va complètement à l’inverse de toute politique de sauvegarde de notre industrie mais qui contribue au contraire à continuer à l’affaiblir plus encore.

Alain Fabre : Le choix d’Édouard Martin comme tête de liste PS aux Européennes est avant tout un exercice politique qui consiste à solder le malentendu créé autour de Florange entre le gouvernement et l’électorat ouvrier. Cet électorat a vu dans cette affaire un indice de plus que le PS poursuivait un cycle amorcé à la fin des années 1990 d’éloignement du monde de l’industrie et de ses travailleurs pour se focaliser sur les "bobos". La concomitance du mariage pour tous et du recul sur Florange a renforcé l’idée que les priorités politiques du PS ne se situaient plus dans l’industrie et le social mais dans les réformes de société, dont la priorité en période de forte montée du chômage et de fermetures d’usines n’apparaît pas très évidente. Étrange climat aussi que cette affaire qui symbolisait à elle seule le capitalisme en crise et le visage de la mondialisation détestée. Un sentiment d’abandon, d’impuissance qui a alimenté ce sentiment.

Compte tenu des contraintes institutionnelles,  que pourrait vraiment faire Edouard  Martin s'il était élu ? Peut-il par exemple espérer relancer le dossier Florange ?

Laurent Pinsolle : La seule chose qu’il pourra faire, c’est utiliser son droit de parole pour témoigner. Il pourra au mieux essayer de sensibiliser l’opinion publique sur le sujet. En revanche, dans le cadre des traités actuels, il ne pourra pas faire grand chose de concret à part cela.

Alain Fabre : Le dossier Florange est clos. Edouard Martin a cru et a "vendu" aux salariés de Florange l’idée que le gouvernement nationaliserait le site. Cette équivoque a coûté cher et sa désignation cherche pour une part à réparer la casse. On voit mal l’Europe communautaire soutenir ce type de projet. En revanche, on peut espérer qu’Édouard Martin, venant de la société civile, contribue à faire évoluer la vision économique du PS vers une conception plus réaliste. On ne peut que se féliciter au demeurant que le PS ouvre la représentation politique à des hommes issus de la société civile et du syndicalisme en particulier. Le syndicalisme en Allemagne a joué un rôle décisif dans les adaptations de l’économie et du fonctionnement des entreprises. Peter Hartz, dont le nom constitue un chiffon rouge en France, et qui fut l’inspirateur des réformes du marché du travail en 2003 en Allemagne, est membre de IG Metall et du SPD. Jacques Delors est issu du syndicalisme mais sa voix, si estimée soit elle au PS, y a peu de poids politique.

Est-ce vraiment à Bruxelles que se prennent les grandes décisions européennes en matière d'industrie ?  Qui en Europe a réellement un pouvoir d'influence  sur la politique industrielle européenne ? S'agit-il d'une compétence du parlement, des chefs d'Etat ou de la Commission ?

Laurent Pinsolle : Aujourd’hui, il s’agit d’une compétence essentiellement aux mains de la Commission et des Etats. La principale compétence européenne est commerciale car la Commission négocie les traités. Mais le problème est que son seul souci, ou presque, est d’ouvrir les marchés européens à la concurrence internationale. Parfois, elle prend des sanctions mais cela est extrêmement rare. Dans le cas des panneaux solaires chinois, la Commission s’est réveillé bien trop tard. En 2005, l’Europe dominait ce marché avec le Japon. Aujourd’hui, la Chine a plus de 70 % de parts de marché et l’Europe moins de 10 %, alors que nous sommes les premiers clients.

En fait, Il n’existe pas vraiment de politique industrielle à l’échelle européenne car elle n’est pas vraiment compatible avec les traités et que ce sujet n’est pas vraiment à l’agenda. Du coup, il reste encore une certaine latitude pour les Etats, mais dans la limite des traités européens qui interdisent beaucoup de choses, et notamment les aides directes ou toute forme de protectionnisme.

Alain Fabre : Il existe une dimension européenne industrielle qui tient à la taille du marché unique et aux aspects réglementaires communautaires, qui jouent un rôle. Depuis la CECA en 1951, l’Europe industrielle est une réalité. C’est même la première chronologiquement. A travers les fonds structurels, l’Europe a un rôle autonome par rapport aux Etats. Edouard Martin vient d’une région qui fut le berceau de l’Europe industrielle et de l’accompagnement de sa restructuration. Sa présence au Parlement aura certainement une forte charge symbolique. De plus, l’agenda de Lisbonne, qui demeure la stratégie "officielle" de l’Europe fait de la compétitivité fondée sur l’innovation, le fer de lance de la croissance européenne.

Comme je le disais, Edouard Martin peut contribuer à faire évoluer le PS pour sortir d’une vision "bobo" et aller vers une ligne plus réaliste, en accordant une importance politique plus grande au monde de la production. En revanche il est illusoire de penser qu’Édouard Martin, même allié aux autres partis proches du PS, va peser sur les événements institutionnels. Le PS français est idéologiquement minoritaire au sein de la gauche européenne.

Ensuite l’Europe ne se substitue pas aux Etats qui détiennent les moyens les plus importants d’action. On le voit bien dans la différence de stratégie entre la France qui concentre ses efforts sur la demande et ses voisins qui privilégient l’offre. En privilégiant l’offre on hisse forcément le monde productif et l’industrie dans l’échelle des priorités. La France a largement sacrifié son industrie au nom de l’illusion de la fin du travail. Et les 35 heures constituaient une mesure qui officialisait l’indifférence au monde du travail productif. Après l’Allemagne, c’est l’Italie qui est la grande puissance industrielle européenne. L’Espagne et le Royaume-Uni affichent clairement un objectif de réindustrialisation de l’économie fondée sur la compression des coûts et la flexibilisation du travail. Bruxelles n’est pas un frein à ce que la France redécouvre la priorité industrielle. Au contraire, l’Europe communautaire au nom de la stabilité de la zone euro attend de pied ferme que la France mette ses actes en accord avec ses proclamations de foi.

Edouard Martin va devoir travailler avec les socialistes européens. L'industrie européenne est-elle vraiment une priorité de ces derniers ? Comment les socialistes français se sont-ils positionnés sur les dossiers industriels européens ?

Alain Fabre : On peut douter de la capacité d’Édouard Martin, et au-delà, du PS, de faire école à Bruxelles. Les gauches européennes à Berlin ou à Rome sont largement sur une autre ligne que le PS français. Le PD italien opère dans le cadre d’un accord de gouvernement avec la droite modérée et Enrico Letta cherche à baisser les cotisations sociales. Le SPD est allié à la CDU et ne remet nullement en cause les réformes du marché du travail.

Laurent Pinsolle : L’industrie est l’angle mort de tous les promoteurs de cette construction européenne et donc notamment des socialistes. Paradoxalement, la construction européenne a commencé sur un projet industriel, la CECA, mais depuis 1957 le sujet est largement oublié. Les seules initiatives industrielles (Ariane, Airbus) l’ont été hors du cadre européen. Il faut dire que les traités européens y sont plutôt hostiles. En outre, il est très difficile de mener des initiatives concrètes avec un trop grand nombre de pays.

Certains socialistes français ont un discours un peu plus volontariste, comme Arnaud Montebourg, mais on voit mal en quoi cela change grand chose à la situation de l’industrie automobile, pneumatique ou de l’acier. Les délocalisations se poursuivent.

Lorsqu'il était syndicaliste, Edouard Martin était favorable à la nationalisation temporaire de Florange et au protectionnisme européen. Sa vision de la politique industrielle européenne est-elle vraiment compatible avec celle du PS et du SPD allemand ?

Laurent Pinsolle : Sur ces deux questions, la position d’Édouard Martin quand il était syndicaliste est contradictoire avec celle du PS ou du SPD. Ces partis parlent parfois d’un juste-échange et de mettre fin à la concurrence déloyale. Mais on cherche les cas concrets d’application de ces belles paroles. Le recul sur la question des panneaux solaires chinois le montre bien, d’autant plus que l’Europe est intervenue beaucoup trop tard, alors que la Chine a pris plus de 70 % du marché .

Alain Fabre : Il est clair que les réformes mises en place un peu partout en Europe visent dans une large mesure à réindustrialiser l’Europe et rendre l’industrie compatible avec l’Etat social.  Mais vous observez qu’au lieu de subventionner ou de cibler les mesures, nos voisins choisissent plutôt des mesures réduisant le poids de la dépense publique et des prélèvements et tendant à flexibiliser le marché du travail. La France n’est pas absente de cette prise de conscience mais elle est chez nous très timorée, pas assez avouée. L’Allemagne a réussi à rétablir la compétitivité de son industrie en raison de la cohérence d’ensemble des mesures prises.

De manière générale, le thème de l'Industrie a-t-il trop longtemps été délaissé par l'Europe ?  L'industrie allemande étant déjà très dynamique, reste-t-il de la place pour une industrie forte dans les autres pays européens ? Comment relancer l'Europe de l'industrie ?

Laurent Pinsolle : Oui, ce thème est beaucoup trop délaissé. Rien de concret n’a véritablement été fait sur la question. L’industrie allemande est dynamique et a pris des parts de marchés aux quatre autres grands pays européens (France, Italie, Espagne, Grande-Bretagne), mais cela ne signifie pas qu’il n’y a pas de place pour d’autres. Tout d’abord, quelques secteurs industriels se portent bien ailleurs (luxe en France et en Italie, aéronautique en France, industrie automobile en Grande-Bretagne et en Espagne). Tout est question de priorité et de moyens.

Le risque aujourd’hui est qu’au niveau européen, l’Allemagne concentre la majeure partie de l’industrie haut de gamme (laissant le luxe à la France et un peu l’Italie) et que l’Europe de l’Est, où les coûts salariaux sont beaucoup plus bas (80 à 90 % moins élevés qu’en France) aspire au fur et à mesure tout le bas de gamme et, à terme le milieu de gamme, ne laissant que les productions fortement liées au pays producteur.

Pour relancer l’Europe de l’industrie, plusieurs impératifs :

- comme les pays asiatiques ou d’Amérique latine (ainsi, que dans une certaine mesure, les Etats-Unis), protéger les industries stratégiques de la concurrence internationale;

- au sein même de l’Europe, établir un sas entre les pays à bas coûts et les autres pour éviter que le mouvement de délocalisations ne se poursuive

- mettre en place des projets industriels sur le modèle d’Airbus ou Ariane, avec des structures ad hoc, uniquement avec les pays qui le souhaitent, en nombre limité;

- enfin, créer un environnement propice aux entreprises industrielles, avec des pôles de compétitivité associant public et privé, entreprises et écoles, ainsi qu’un cadre législatif et fiscal qui favorise l’activité industrielle et non les délocalisations

Alain Fabre : Un peu comme en France, l’Europe a été habitée par le doute il y a quinze ans. Au Royaume-Uni, c’était le temps du "cool Britannia" célébré par Tony Blair. Même les Allemands ont craint d’être has been. Les meilleurs esprits, notamment sous l’influence de Jeremy Rufkin, ont prophétisé la fin du travail dans un âge post-industriel. En fait la mondialisation est un âge hyper-industriel. Les échanges de produits industriels représentent les 2/3 des échanges mondiaux. Même en Allemagne, les services représentent les 2/3 de l’économie. Mais dans une économie d’échange, on comprend que les machines outils et les produits de luxe se prêtent plus à l’échange que les coupes de cheveux ou les conseils juridiques. Cette remarque est intéressante parce qu’on considérait que l’échange international avait perdu à l’âge de la mondialisation la singularité que lui trouvaient les classiques comme David Ricardo. Mais la mondialisation souligne au contraire cette singularité en mettant en évidence le rôle clé des produits industriels. La crise de la zone euro – cela a été dit par Patrick Artus notamment – est aussi une crise de la désindustrialisation. Exemple peu usité : l’Italie, qui peine sur le chemin de la croissance, a trouvé en ses forces industrielles un facteur décisif d’amortissement de la crise et rééquilibrage de ses déficits par les exportations industrielles. C’est un exemple à suivre pour la France.

Propos recueillis par Alexandre Devecchio

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