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Ce que Patrick Buisson oublie totalement dans sa description du quinquennat Sarkozy
©REUTERS/Regis Duvignau

Amnésie

Ce jeudi sortira le livre de Patrick Buisson, "La cause du peuple". Un livre à charge contre Nicolas Sarkozy, accusé par son ancien conseiller de ne pas croire à son propre discours sur l'identité. Qu'il soit honnête ou pas, il est certain que ce discours a profondément changé le visage de la droite, et plus largement du pays, de même que le traitement de l'économie par l'ancien Président, ce qu'occulte complètement Patrick Buisson dans ses critiques.

Erik Neveu

Erik Neveu

Erik Neveu est un sociologue et politiste français, professeur des universités agrégé en science politique et enseigne à Sciences Po Rennes.

Il est l'auteur de l'ouvrage "Sociologie politique des problèmes publiques".

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Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe est le fondateur du cabinet Parménide et président de Triapalio. Il est l'auteur de Faut-il quitter la France ? (Jacob-Duvernet, avril 2012). Son site : www.eric-verhaeghe.fr Il vient de créer un nouveau site : www.lecourrierdesstrateges.fr
 

Diplômé de l'Ena (promotion Copernic) et titulaire d'une maîtrise de philosophie et d'un Dea d'histoire à l'université Paris-I, il est né à Liège en 1968.

 

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Atlantico : A l'occasion de la sortie de son nouveau livre, La cause du peuple, Patrick Buisson lance une nouvelle charge contre Nicolas Sarkozy  dont il a pourtant été le conseiller privilégié –, l'accusant de ne pas être sincère dans son discours sur l'identité. Ne peut-on pas s'étonner d'une telle critique alors que Patrick Buisson a lui-même théorisé l'idée du discours performatif, soit la seule suffisance du discours pour produire des effets ? N'existe-t-il pas là un paradoxe oubliant également le fait que la question de l'identité, importée au sein du débat politique français par l'ancien président, a eu un effet profond sur le pays ?

Erik NeveuIl est rafraîchissant qu'un habitué des arrières-scènes du pouvoir découvre à 67 ans qu'un dirigeant politique puisse ne pas être sincère ! Il ne s'agit pas de crier "tous des menteurs !", mais d'observer que dans la réalité des luttes politiques, la ruse, la formulation de propos auxquels on n'adhère qu'à moitié mais qu'on tient pour electoralement payants, le mensonge même, font partie des coups qui se pratiquent. Sarkozy croit-il au discours identitaire qu'il formule – avec quelques variations : nos ancêtres "gaulois" étant rejoint trois jours plus tard par ceux "tirailleurs sénégalais ? Oui, sans doute, et de trois façons au moins. Il y a de bonnes raisons de penser que tant par son histoire familiale que par son ancrage politique, il est sensible à une thématique de l'identité nationale, d'une France capable de faire fondre les différences d'origine pour fabriquer un "nous" national. Il y croit, de cette sincérité particulière au personnel politique que Valéry Giscard d'Estaing résume joliment dans ses mémoires en disant du Shah d'Iran qui se pose devant lui en défenseur des droits de l'homme "Au moment où il parle, il croit certainement à ce qu'il dit"... Ce qui est peut-être la formule de la sincérité en politique. Enfin, peut-être surtout, Nicolas Sarkozy maîtrise cette intelligence politique qui sait que souvent "dire, c'est faire". Lancer le thème de l'identité c'est, ne serait-ce que pour quelques jours, prendre la main dans la définition des thèmes de débats, obliger les compétiteurs de la primaire, une partie de la gauche à être dans la réaction. C'est aussi produire un signal vers les composantes les plus militantes de l'électorat de la primaire. Que le thème de l'identité ait été fortement sollicité lors de la dernière présidentielle est aussi un rappel utile. Mais quel bilan en tirer : n'était-ce pas alors Nicolas Sarkozy qui réagissait à un discours performatif... du Front national ? Et qui – à droite comme à gauche – dit aujourd'hui des choses à la fois précises, mobilisatrices et réalistes sur ce qu'est la singularité de l'identité française en Europe ? Dur d'être le "pays des droits de l'homme" et de voir nos voisins allemands plus attentifs à leur prise en compte dans la récente crise des migrants...

Eric Verhaeghe : Cette réflexion est assez amusante et me semble se fonder sur un discours crypté, dont le sens tient à l'histoire même de l'idée d'identité nationale. Si l'on accepte de prendre un peu de recul sur les origines de la question, on peut admettre que Buisson, comme beaucoup d'autres, ont une sorte d'ancêtre commun qui s'appelle Pierre Sidos, fondateur de l'Oeuvre Française. C'est Sidos qui, au sortir de la guerre, fut l'héritier et en quelque sorte l'exécuteur testamentaire du fond idéologique dont la notion d'identité est aujourd'hui le résultat direct. Je ne dis pas que la notion d'identité nationale est une émanation des années 1930 portée par Sidos. Je dis que sans la synthèse que Sidos a réalisée des idéaux de la droite française de l'entre-deux-guerres, et sans la métamorphose qu'il en a réalisée, la notion d'identité nationale ne structurerait pas le débat actuel. Il est assez normal qu'à mesure que cette idée "contamine" un nombre de plus en plus large de personnes, elle soit portée par des gens ou des personnalités qui sont très éloignées de Sidos et de sa sphère. Mais Buisson ne nous dit pas seulement que Sarkozy n'est pas un héritier du nationalisme sidossien. Il suggère de façon torve que Sarkozy ne présente pas tous les caractères nationaux qu'il attend de trouver dans une personnalité structurellement attachée à l'idéal national.

De la même façon, et alors que Patrick Buisson faisait le constat d'une droite "sous influence" au cours de la période pré-Sarkozy ("Puisque Chirac a laissé partir ce que Barrès appelait 'la France poignardée', il faut la récupérer en lui parlant d'immigration et de sécurité, mais surtout de ce qui la fait vibrer : la nation, l'identité, la famille. En clair, des valeurs"), ne peut-on pas dire que l'ancien conseiller de Nicolas Sarkozy, en attaquant la sincérité de ce dernier, oublie un peu vite que la droite s'est réellement transformée sous l'influence de Nicolas Sarkozy ?

Erik NeveuLes brouilles entre personnes qui ont été trés proches et ont eu des relations intenses engendrent bien souvent des réactions passionnelles et des accusations réductrices. Nicolas Sarkozy a solidifié un travail d'unification et d'organisation partisane de la droite qu'avait amorcé Jacques Chirac. Mais là aussi, la part active, fédératrice de l'influence de Sarkozy est à mettre en relation avec une dimension plus défensive, plus réactive. Les "Républicains" sont soumis au défi contradictoire d'aller à la fois à droite toute pour concurrencer le Front national sur des thématiques nationalistes et anti-immigrés, et de tenir un discours à dimension sociale, de lutte contre les inégalités, de défense des classes populaires... où le Front national est aussi devenu plus audible, plus crédible pour cet électorat pauvre. Ce grand écart avait fonctionné en 2007 via le duo de conseillers bien différents qu'étaient Buisson et Guaino. Que faut-il conclure pour 2017 de leur double prise de distance vis-à-vis de l'ancien Président ?

Eric Verhaeghe : Je présenterais le sujet de façon un peu différente. De mon point de vue, Sarkozy a subi un cheminement personnel, qui a accompagné ou anticipé le cheminement d'une certaine droite en France. Ce cheminement est celui du passage d'une droite globalement étatiste mais avec des sympathies libérales, vers une droite libérale-conservatrice. Et ce à quoi nous avons assisté durant ces dernières années repose bien sur l'émergence de ce libéral-conservatisme inconnu il y a dix ans encore. Par quoi se caractérise-t-il ? Par un libéralisme relativement décomplexé, avec un endossement plus sincère ou ouvert d'une vision moins administrée de l'économie. Mais aussi par un conservatisme assumé sur les questions de société, notamment sur les sujets religieux et nationaux. Sans Nicolas Sarkozy, la maturation de ce processus aurait probablement pris un tour ou un détour différents. Il est d'ailleurs probable que sans l'influence de Buisson, le triomphe du libéral-conservatisme à droite serait moins grand, moins flagrant. On verra donc volontiers un règlement de comptes assez injuste et sous la ceinture dans cette assertion.

Dans un second temps, et comme l'indiquaient Vanessa Schneider et Ariane Chemin dans leur livre Le mauvais génie, Patrick Buisson semble indifférent aux questions économiques, ce qui est révélé par ses critiques à l'encontre de la campagne de Nicolas Sarkozy sur le terrain économique, qualifiée de "campagne 'triple A'" qui ne "fabrique pas du vote". De ce point de vue, Patrick Buisson ne trahit-il pas une vision du monde "tout identitaire", oubliant un peu vite le bilan économique de Nicolas Sarkozy pendant la crise (défiscalisation des heures supplémentaires, sommet du G20, plan de relance de 26 milliards d'euros au cours des années 2008-2009, etc.) ? Le "peuple" invoqué par Patrick Buisson est-il réellement aussi imperméable à la question économique qu'il semble le croire ?

Erik NeveuUn sondage publié cette semaine par le Monde le rappelait à qui voudrait s'illusionner : le problème premier qui émerge de l'opinion en France, c'est le chômage, pas le burkini. Des enjeux pratiques et vécus comme le chômage, la désindustrialisation, la précarité, le pouvoir d'achat, les impôts locaux sont au cœur des préoccupations des familles, des millions de ceux qu'on appelle "travailleurs pauvres" qui, tout en ayant un emploi, bouclent péniblement les fins de mois. Le "tout identitaire" serait une stratégie doublement téméraire en occultant ces préoccupations, en négligeant le fait qu'un discours sur la justice sociale et la dynamisation économique est porté – très différemment – par des candidats comme Marine le Pen ou Jean-Luc Mélenchon. Nicolas Sarkozy pourra-t-il sur ces terrains rappeler un bilan, des initiatives comme la défiscalisation des heures complémentaires ?

Deux sérieux bémols s'imposent. L'oubli est d'abord un élément lourd des rapports ordinaires à la politique. Combien d’électeurs seront en janvier 2017 en état de produire ne serait-ce qu'une minute d'explications sur ce que fut "la politique économique et sociale sarkozyste" ? Quant à ceux dont la fonction est d'avoir une mémoire critique ou séléctive – les opposants, à gauche comme à droite –, ils auront plaisir à rappeler qu'en matière de chômage et d'accumulation des déficits, il y eut peu de bons millésimes entre 2007 et 2012. Mais une campagne est aussi faite de séquences, de combats successifs. Et il est fort probable que si Nicolas Sarkozy franchit le cap de la primaire, son discours englobe des thématiques plus sociales, parlant de la vitalité économique, dès lors que la cible ne sera plus l'électorat numériquement limité et politiquement homogène d'une primaire, mais celui du suffrage universel de la présidentielle.

Eric Verhaeghe : On reconnaît bien l'influence de Sidos sur la façon dont Buisson a constitué sa vision du monde et sa vision de la politique. Pour Sidos, ce qui compte, c'est l'affirmation d'un projet national fondé sur des valeurs. Sidos n'est pas libéral, et il ne soucie donc pas d'atteindre un équilibre dit néo-classique, c'est-à-dire, pour aller vite, une situation de croissance avec un plein emploi. L'erreur de Sidos consiste à croire que cette vision fondée sur les valeurs est globale et intéresse tous les Français. Or, il existe une frange de l'opinion influencée par le libéralisme, qui attache beaucoup plus d'importance à la performance économique globale qu'aux questions identitaires. On le voit dans le débat sur l'islam : certains Français s'intéressent peu à l'affirmation d'un projet national et sont prêts à laisser faire, à condition que les fondamentaux économiques soient sains. Plus on s'éloigne du coeur idéologique sidossien, plus cette appétence pour les questions macro-économiques est forte. La puissance de Sarkozy consiste à réussir une bonne synthèse entre les deux.

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