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Lac pollué en Chine.
Lac pollué en Chine.
©Reuters

Mauvais élèves

Les six principaux pays contributeurs du réchauffement climatique sont les Etats-Unis, la Russie, la Chine, le Brésil, l'Inde, l'Allemagne et le Royaume-Uni.

Christian Gollier

Christian Gollier

Christian Gollier est économiste à la Toulouse School of Economics et co-auteur des 4e et 5e rapports du GIEC.

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  1. Atlantico : les six principaux pays contributeurs du réchauffement climatique (les Etats-Unis, la Russie, la Chine, le Brésil, l'Inde, l'Allemagne et le Royaume-Uni) représentent 95 %de l'augmentation de la température moyenne depuis 1906. La lutte contre le réchauffement est pourtant présentée comme un combat mondial ou chacun doit faire des efforts. Est-ce juste ? Ne passe-t-on pas à côté du principal : l'idée que le réchauffement n'est le fait que de quelques-uns ?

Christian Gollier : Il est clair que nous ne pourrons collectivement gagner le combat climatique que si chaque habitant de notre irremplaçable planète Terre, présent et futur, y est impliqué. Ce combat sera très coûteux, comme on le voit déjà en Allemagne. Il est donc important d’atteindre cet objectif au moindre coût collectif. Il ne peut donc être question de laisser certains pays en dehors du schéma global. Imaginons par exemple qu’on exempte l’Afrique de tout effort, ce qui implique que des nombreuses sources d’émission de CO2 pourraient être éliminées à faible coût, disons à 2 euros la tonne, sans qu’une telle politique ne soit mise en œuvre. Imaginons aussi que l’Europe s’impose un effort massif de réduction des émissions qui soit tel que la tonne de CO2 évitée coûte aux européens 100 euros. On voit alors dans un tel contexte qu’un transfert partiel de l’effort du Nord vers le Sud  permettrait de multiplier à la marge par 50 la réduction des émissions pour un effort financier global inchangé. Il est donc crucial d’avoir une politique environnementale globale qui fasse que seules les actions climatiques les moins coûteuses soient mises en œuvre.

Cet objectif d’efficacité écologique n’empêche nullement la possibilité d’une compensation financière du Nord vers le Sud, à la fois dans un objectif de justice distributive que pour des raisons d’incitation. Les conférences climatiques de ces dernières années ont toutes buté sur le sujet des contreparties, qui complique considérablement les négociations internationales. Les exigences des pays qui ont historiquement peu émis sont importantes dans ce domaine et leurs attentes ont été jusqu’à présent largement déçues. Le troisième volume du cinquième rapport du GIEC, qui sortira au printemps, aborde largement ces questions.   

Source : Newscientist.com

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  1. Si l'on divise l'impact climatique par la population, on constate que les principaux pollueurs sont majoritairement des économies développés (Etats-Unis, Canada, Japon, Europe de l'Ouest, Australie). La pression mise sur la Chine ou l'Inde, qui arrivent loin derrière (19e et 20e), mais qui sont accusées de tous les maux, est-elle finalement justifiée ? 

Ceci pose une question de justice et de responsabilité morale : devons-nous déterminer les efforts futurs à mener pour lutter contre le changement climatique en fonction de nos émissions passées ? En s’inspirant de ce qui se fait en responsabilité automobile ou professionnelle, et du principe pollueur-payeur, on pourrait imaginer un système d’incitation fondé sur la responsabilité, où les émetteurs seraient obligés de compenser les victimes climatiques. Ce système se heurte à d’insurmontables difficultés opérationnelles et éthiques. Par exemple, le changement climatique aura notamment pour conséquence que certaines personnes ne naîtront pas, ce qui rendra leur indemnisation difficile ! Et les émetteurs de CO2 du siècle dernier ne sont plus là pour participer à l’indemnisation. De plus, la plupart d’entre eux ne pouvaient avoir conscience du risque climatique, ce qui rend caduque l’hypothèse de leur culpabilité. Par ailleurs, pouvons-nous être tenus responsables des crimes climatiques de nos ancêtres comme si nous tiendrions nos amis allemands responsables des crimes de leurs grands-parents nazis ? Finalement, un tel système, impliquant probablement des milliers de milliards d’euros d’indemnisation entre pays, n’est pas crédible sans un dispositif militaire coercitif, comme on l’a vu lors de l’occupation de la Ruhr par la France dans les années 1920, suite à l’arrêt de l’indemnisation des dommages de guerre par l’Allemagne.

Le problème de la responsabilité morale de l’Occident envers le reste du monde devrait être traité globalement. Certes, l’Occident est responsable de l’augmentation de la concentration du CO2 dans l’atmosphère et des horreurs de la colonisation qui ont mené à la destruction de civilisations entières en Afrique, ou du pillage de leurs ressources naturelles. Mais l’Occident a aussi offert de nombreux bienfaits pour l’humanité, dont les progrès de la médecine (malaria, lèpre…), l’électricité, le téléphone portable … C’est ainsi que la croissance phénoménal des pays émergents (et demain, de l’Afrique) ne serait possible sans l’existence de ce stock de savoirs scientifiques et de technologies accumulés depuis 3 siècles en Occident et mis à disposition pour l’essentiel gratuitement aujourd’hui. Et ne devrions-nous pas demander à la Chine une indemnisation pour la mort de plus d’un tiers de la population européenne au milieu du XIIIe siècle à la suite de l’épidémie de peste noire dont certains historiens pensent qu’elle venait de Chine via les steppes asiatiques et les comptoirs vénitiens de la Mer Noire ?

Bref, la meilleure façon de tuer les négociations internationales sur le climat est de faire appel à la complexe culpabilité climatique de l’Occident. Découplons l’urgent problème du climat du lancinant et épouvantable scandale des inégalités de revenu dans le monde. Le tribunal de l’Histoire nous citera séparément sur ces dossiers. Dans l’état actuel des choses, notre culpabilité de ne fait pas l’ombre d’un doute dans ces deux procès.

  1. L'accès à un progrès technologique plus propre va-t-il plutôt faire évoluer positivement les pays occidentaux – plus avancés donc plus aptes à se tourner vers un développement moins impactant pour l'environnement – ou les pays émergents – qui pourront passer directement aux énergies moins polluantes ? La carte des mauvais élèves va-t-elle changer dans les dix ou vingt prochaines années ?

Votre question me fait penser à une hypothèse « de Kuznets » âprement débattue par les économistes de l’environnement, selon laquelle le développement économique des nations se fait d’abord au détriment des préoccupations environnementales, avant un basculement. Ainsi, Londres a vu son environnement se dégrader terriblement jusqu’au milieu du XXe siècle. Mais aujourd’hui, Londres est plus propre et salubre qu’à n’importe quelle autre époque de son histoire. Pouvons-nous espérer qu’un tel scénario se reproduise pour Pékin, Mexico et Addis Abba ?

Il y a par ailleurs une forme d’irréversibilité dans les choix technologiques des différents pays. Investir dans une centrale au charbon, c’est s’engager pour plusieurs décennies de production d’électricité sale. Accélérer l’obsolescence de ces centrales sales est extrêmement coûteux et donc peu efficace a posteriori. Certes, il serait préférable que la Chine, l’Inde et l’Afrique s’orientent dès leur démarrage économique sur des technologies vertes pour leur permettre d’éviter à l’avenir de devoir affronter ces coûts. Mais le problème est que la plupart de ces technologies vertes ne sont pas encore matures, et qu’elles sont encore plus coûteuses que les énergies fossiles. Pour inciter les entreprises à mieux prendre en compte les conséquences écologiques à long terme de leurs investissements actuels, il faudrait que les états se lancent dans une politique environnementale claire, crédible et de long terme, avec l’imposition d’une taxe carbone croissante dans le temps, démarrant autour de 35 euros par tonne de CO2 en 2014, et montant rapidement à plus de 100 euros au-delà de 2040.  On n’y est pas du tout, tant sur le niveau actuel des efforts que sur la crédibilité d’une politique environnementale globale sur un horizon d’un siècle. Les bons élèves de demain seront les pays qui auront pu crédibiliser une telle politique. Je n’en vois aucun émerger à ce jour. Et je n’ai guère d’espoir pour l’avenir, tant l’idée de faire cavalier seul dans ce domaine est absurde. Après tout, la France seule n’est responsable que de moins de 0.016 °C d’augmentation de la température moyenne de la Terre. Alors, à quoi bon lutter seul ? 

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