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Ce que les Saoudiens "oublient" de dire sur la véritable motivation de la rupture de leurs relations diplomatiques avec le Qatar
©Reuters

Trou de mémoire

En matière de soutien au terrorisme, l'Arabie Saoudite n'a pas de leçon à recevoir de qui que ce soit ! Ce qui rend cette stratégie de Ryad et ses sbires tout à fait suspecte.

Ardavan Amir-Aslani

Ardavan Amir-Aslani

Ardavan Amir-Aslani est avocat et essayiste, spécialiste du Moyen-Orient. Il tient par ailleurs un blog www.amir-aslani.com, et alimente régulièrement son compte Twitter: @a_amir_aslani.

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Quelques deux semaines après un déplacement annoncé  comme historique en Arabie Saoudite où le monde arabe sunnite se proposait de montrer un visage uni et solidaire au Président américain, l’édifice envisagé comme inébranlable vient de connaître son démantèlement avec la rupture des relations diplomatiques entre l’Arabie Saoudite et le Qatar. Cette rupture des relations a été immédiatement suivie par celles des « usual suspects » ou la bande des pays clients de l’Arabie Saoudite soit l’Egypte, le pouvoir légal en exil du Yémen, le Bahreïn et enfin les Emirats arabes unis, l’allié indéfectible de Ryad.

La goutte qui apparemment a fait déborder le vase est le vrai faux « fake news » démenti par Doha  faisant part de l’appel téléphonique entre le Président iranien nouvellement élu et l’Emir Al-Thani du Qatar, où ce dernier aurait qualifié l’Iran de « puissance régionale importante avec laquelle il fallait composer. » Vrai ou Intox, les autorités de l’Arabie Saoudite semble croire à sa sincérité. Or, il ne peut s’agir là de la seule raison, ni même de la principale. Rappelons que d’autres membres du Conseil de Coopération du Golfe, comme le Sultanat d’Oman ou encore le Koweït, avaient également félicité le Président Rouhani pour sa réélection et entretiennent de bonnes relations avec ce géant régional.

La vérité est peut-être ailleurs. Rappelons ainsi qu’au lendemain de l’attentant du London Bridge, le troisième en trois mois qu’a connu l’Angleterre,  on apprenait que le fameux rapport commandait par l’ancien premier ministre  britannique Cameron sur le financement des groupes djihadistes allait enfin, après d’innombrables reports, être rendu public. C’est un secret de polichinelle que ce rapport, à l’instar de celui du 11 septembre diligenté par le congrès américain, pointe le doigt vers l’Arabie Saoudite et ses ressortissants comme principale source de financement de ces mouvements terroristes. Ainsi, à un moment où le premier ministre anglais déclare que la tolérance britannique allait cesser face à l’idéologie islamiste, c’est un euphémisme que de dire que cela arrangeait fort bien Ryad de jeter au loup ce voisin encombrant qu’est le Qatar  en le désignant comme financier de ces mouvements. 

Or, s’il est vrai que le Qatar finance des mouvements islamistes, il ne s’agit pas des mêmes que financent les Saoudiens et en tout cas pas de ceux qui continuent de perpétrer des attentats en occident. En effet, le Qatar finance et soutient le mouvement des Frères musulmans, qui est un mouvement politique initiatique et hiérarchisé qui vise à imposer un gouvernement islamique par les urnes. Ce mouvement, n’est actif qu’en Egypte où il est en conflit avec le Maréchal Sissi, l’ancien attaché de défense égyptien à Ryad, qui a renversé leur Président Morsi, lui, pour le coup, démocratiquement élu. Les saoudiens, eux en revanche, financent les mouvements ultra salafistes marqués par la pensée de leur idéologue wahhabite, ibn Wahab, père fondateur de la version la plus rétrograde d l’Islam. Il est également vrai que les saoudiens ont aussi une dent personnelle contre les Qataris qui, eux aussi wahhabite, ont une égale prétention que les Saouds sur le contrôle des deux villes saintes de l’islam.

Mais par-dessus tout, c’est la question de financement des frères musulmans par le Qatar qui gêne le plus  les pétromonarchies arabes du golfe persique, car leur idéologie et leur schéma de gouvernance sont diamétralement opposé. Ces derniers proposent un système où la légitimité du gouvernant vient de la distribution des richesses du haut vers le bas. Alors que chez les frères, la théorie d’Al-Bana, fondateur de la doctrine des Frères musulmans, considère que la légitimité du gouvernant ne peut venir que du bas vers le haut à travers le consentement volontaire de la majorité des citoyens tel qu’exprimé par les urnes. Les saoudiens  et leurs alliés voient donc le Qatar comme le financier et le protecteur de ceux qui cherchent à les renverser. 

Pratiquement, ce conflit entre ces différents émirats, plus ou moins grands,  ne regarde donc pas la politique de la nouvelle administration américaine, même si les saoudiens se sentent hardis par le soutien proclamé par Trump. Il ne peut s’agir de cela, car Washington dispose de 10.000 hommes sur sa base d’aviation « Al-Udeid » au Qatar d’où part la plupart des frappes contre Daech. En tout état de cause, il s’agit là d’un conflit sans précédent au sein des pays membres du Conseil pour la coopération du golfe. S’il est arrivé, comme il y a quelques mois, que les saoudiens aient déjà rappelé leur ambassadeur de Doha, une telle rupture avec la fermeture de la frontière terrestre ne s’était jamais produit. 

Or le Qatar et sa péninsule comptent sur cette unique frontière pour l’importation de la totalité de leurs besoins en matériaux de construction et aliments. La pression sera rude pour Doha même si des solutions alternatives de remplacement des flux se présenteront rapidement. L’Iran avec lequel le Qatar partage le plus grand gisement gazier du monde ne manquera pas de venir à son rescousse avec un ravitaillement maritime, de même que la Turquie, dirigé par un Erdogan lui même frère musulman.

En somme ,cette rupture n’est rien d’autre que la recherche par les Saoudiens d’un bouc-émissaire  afin de lui faire porter le chapeau du terrorisme islamiste qui martyrise l’Occident. 

Chapeau qui ne mériterait d’être placé que sur leur propre tête ! 

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