Ce que les ours Paddington en hommage à la Reine représentent vraiment aux yeux des Britanniques<!-- --> | Atlantico.fr
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L'ours Paddington est devenu l'un des symboles de l'hommage à la reine Elizabeth II en Angleterre.
L'ours Paddington est devenu l'un des symboles de l'hommage à la reine Elizabeth II en Angleterre.
©Capture d'écran Youtube / DR / BBC Studios

Culture britannique

Les personnes touchées par la mort d'Elizabeth II ont pris l'habitude de déposer des peluches de l'ours Paddington et des sandwichs à la marmelade devant le Palais de Buckingham à la suite du décès de la reine d'Angleterre.

Charlotte Gould

Charlotte Gould

Charlotte Gould est angliciste. Professeure en civilisation du Royaume-Uni à l'université Paris Nanterre, elle est spécialiste d'art contemporain britannique.

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Atlantico : Le prince William a plaisanté à propos de Paddington qui « a détrôné les Corgis de la première place », estimant que l'ours emblématique est désormais plus populaire que les animaux de compagnie bien-aimés de la Reine qui « ne le prendront pas très bien ». De fait Paddington a été très utilisé pour rendre hommage à la reine au point que les autorités ont dû demander d’arrêter. Comment l’expliquer ?

Charlotte Gould : Paddington est apparu auprès de la reine lors d'un court film diffusé à l'occasion de son jubilé de platine et préparé en secret par l'équipe de communication du palais en association avec les studios de la BBC et Heyday Films/StudioCanal. Il s’agissait de préparer une surprise pour les sujets d’Elizabeth II, mais aussi de pallier les absences de la reine qui commençait à être moins vaillante. Le sketch fut une immense réussite. Le public était absolument ravi. Il s’agissait là d’une forme de co-branding extrêmement réussi de deux icônes britanniques, qui représentent toutes deux l'identité nationale : la reine d'un côté, Paddington, personnage de la littérature enfantine de l'autre. Les deux appartiennent à une imagerie populaire extrêmement reconnaissable. La reine, lors d’un règne extrêmement long, le plus long de la monarchie britannique, a construit une image très forte en s’habillant systématiquement avec des couleurs vives. Paddington est aussi une icône nationale. Son apparition coïncide presque avec celle d'Elizabeth II puisqu'il est né à la fin des années 1950. Il est très reconnaissable par son manteau bleu et son chapeau rouge. Et il représente une identité nationale consensuelle. Dans le sketch du jubilé, il y a la volonté d'associer l'image populaire de la reine à une forme de consensus. Paddington a aussi une image extrêmement nostalgique, associée à un temps long. Sa présence lors du jubilé de platine avait été très bien pensée. Il y avait un bon tempo, une bonne écriture et une dose d'humour puisque la reine y révèle avoir toujours elle-même un sandwich à la marmelade dans son sac. Se résolvait ainsi une sorte de mystère puisque l'on n'a jamais su ce qu'il y avait dans le sac de la reine. La BBC était déjà derrière le film projeté lors de la cérémonie d'ouverture des JO de Londres de 2012 chorégraphiée par Danny Boyle, où l'on retrouvait cette célébration de l'identité nationale extrêmement forte. La vidéo tournée avec Daniel Craig en James Bond avait eu un retentissement important. Et Paddington réitère l'exploit. C'est une vraie réussite de soft power : une expression du pouvoir de la monarchie, du pouvoir britannique, un pouvoir d'influence culturelle. Cette question a été au cœur de la politique du Royaume-Uni depuis la fin du XXe siècle et la montée en puissance des industries créatives. Tony Blair ne s'y était pas trompé et avait mis l'accent sur la politique culturelle en reconnaissant son importance économique et le pouvoir d’attraction de ses musées. La famille royale est aussi une attraction touristique importante, mais surtout un moyen de soft power, d'influence. Le Royaume-Uni a cette forme de génie dans la création culturelle. Mais c’est aussi un coup de force de la communication politique du palais : associer le pouvoir monarchique, incarné par Elizabeth II, à un personnage imaginaire reconnaissable et consensuel comme Paddington rend beaucoup plus consensuelle Elizabeth II elle-même et dissimule les enjeux d’un système politique qui conserve à sa tête une figure qui, quoi qu’on en dise, n’est pas strictement symbolique (il suffit de se pencher sur l’emprise foncière de la famille royale sur le pays pour se persuader que, si elle ne s’exprime pas sur les affaires courantes, elle détient un pouvoir incontestable).

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Paddington est effectivement une figure consensuelle, candide voire naïve, là où James Bond lui peut sembler moins consensuel. Qu'est-ce que cela dénote ?

Il y a un goût britannique pour les personnages un peu naïfs, mignons. Il y en a d'autres, comme Peter Rabbit, qui ont cette couleur teintée de souvenirs d'enfance. James Bond est certes moins consensuel, mais il a changé depuis les premiers livres dans les années cinquante et les premiers films des années soixante. S’il a commencé comme un personnage incarnant plutôt la masculinité toxique, il a beaucoup évolué avec le temps et l'époque. En 2012, il est devenu beaucoup plus aimable et consensuel. Mais demeure une question d'influence et de soft power. Le jubilé était une célébration nationale mais projetait aussi une certaine puissance. La reine a toujours joué un rôle diplomatique de représentation, elle existe donc plus dans sa représentation que dans son expression. Voilà pourquoi elle a été abondamment récupérée dans la culture populaire. Pour cette raison, il y a une facilité à l'associer à des personnages de fiction. Ce mélange des genres, c'est un peu cela le soft power britannique.

A quel point est-ce que Paddington, associé à la reine, incarne une forme de « Britishness » ?

La Britishness est difficile à définir. Elle s'incarne dans une forme de retenue, de politesse mais aussi d'humour et de quirkiness, une excentricité perçue comme spécifiquement britannique et qui se permet de bousculer le protocole royal avec des sketchs humoristiques de qualité. Cela renvoie à l'idée que le pays a de lui-même en termes d'accueil, d'ouverture sur le monde. Paddington, c'est un réfugié, « a little bear from Peru ». Le célébrer c'est aussi un moyen de se voir comme le pays où cet ours péruvien se voit baptiser du nom d'une gare emblématique de Londres et développe un mode de vie très britannique. Il y a une forme de paternalisme, ou plutôt de « maternalisme » dans le cas de la reine. Évidemment c'est une vision fantasmée qui est contredite par des actions récentes du gouvernement, comme la politique « d’environnement hostile » décidée par Theresa May et qui a conduit au scandale Windrush. Mais toute cette imagerie, nostalgique, est aussi un moyen de se rassurer dans les moments de changement, comme celui d’un changement de monarque qui se dessinait bien sûr déjà au printemps 2022 lors du jubilé.

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