Ce que le palmarès des entreprises qui recrutent dit de la santé et de l'avenir de l'économie française <!-- --> | Atlantico.fr
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"L’emploi ne se développe que si l’évolution de la demande est supérieure à l’évolution de la productivité."
"L’emploi ne se développe que si l’évolution de la demande est supérieure à l’évolution de la productivité."
©Flickr/Victor1558

CV et lettre de motivation

Grandes enseignes de restauration rapide, géants du secteur public, données non homogènes : le classement des entreprises qui recrutent en France en dit long sur l'état de notre économie et du marché de l'emploi.

Gérard Thoris

Gérard Thoris

Gérard Thoris est maître de conférence à Sciences Po. il a notamment rédigé une Analyse économique des systèmes (Paris, Armand Colin, 1997), contribue au Rapport Antheios et publie régulièrement des articles en matière de politique économique et sociale (Sociétal, Revue française des finances publiques…).

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Atlantico : Le Figaro a publié lundi 16 septembre la liste des prévisions d'embauches de 125 entreprises pour 2014. Quels sont les principaux enseignement sur l'état de santé de l'économie française que l'on peut tirer de ce classement ?

Gérard Thoris : 125 entreprises sélectionnées sur leur bonne volonté à répondre à une enquête pour un grand quotidien national n’ont aucune forme de représentativité. De plus, le sondage porte sur les embauches brutes et ne dit rien d’éventuels départs spontanés qui sont toujours plus nombreux qu’on ne le croit. Enfin, nous n’avons aucune idée du nombre de départs en retraite qui justifient, peu ou prou, une embauche compensatoire.

Sous ces importantes réserves, on ajoutera que le nombre de 200 000 embauches peut faire plaisir si on le compare à l’augmentation de la population active (56 000 personnes entre 2010 et 2011). Par contre, il est plus inquiétant comparé aux 3 000 000 de chômeurs !

Faut-il par ailleurs déduire que ce sont les secteurs qui embauchent qui sont les plus porteurs ?

Contrairement à une idée reçue, les secteurs porteurs ne sont pas nécessairement ceux qui embauchent le plus. Il s’agit de secteurs qui connaissent une dynamique de croissance sur leurs marchés. A ce titre, deux remarques doivent être faites. Un secteur peut être porteur et ne concerner qu’un nombre infime de salariés : il y a du chemin du garage dans lequel le premier Apple a été assemblé à l’entreprise actuelle. D’autre part, l’emploi ne se développe que si l’évolution de la demande est supérieure à l’évolution de la productivité.

Comme toujours, les locomotives de l’emploi sont les derniers secteurs en termes de productivité. Isabelle Calvez, DRH du groupe Carrefour le rappelle : « nous intensifions l’effort de recrutement puisque nous sommes dans un dynamique de remettre du monde aux caisses, dans les rayons et sur l’ensemble des métiers de bouche, afin de mieux servir les clients »[i] Elle ne tiendrait pas le même discours si la stratégie avait été de diminuer les coûts salariaux en multipliant les passages aux caisses automatiques via la technologie de radio-identification (RFID).

McDonald's, Quick et KFC se situent dans les dix premiers "recruteurs" pour l'année prochaine. Comment expliquer l'importance de la restauration rapide dans ce tableau ?

La restauration rapide ne recrute pas à temps plein. Le moins que l’on puisse attendre d’un tableau statistique est qu’il transforme les données pour les rendre homogènes. On devrait donc avoir des « équivalents temps plein ». Si l’on considère qu’il s’agit de travail à mi-temps, les embauches sont réduites de moitié (soit environ 20 000 pour McDonald's. S’il s’agit de d’emplois étudiants à raison de 30 heures par mois (week-end principalement), cela réduit le nombre de création d’emploi au cinquième de ce qui est annoncé (soit 8 000 pour la même entreprise). Ces données seront certainement modifiées par l’application de la loi sur la sécurisation des parcours professionnels qui prévoit une durée minimale de 24 heures hebdomadaires. On peut supposer que le lobbying pour l’application de cette loi n’est pas terminé.

Quant à la demande, la restauration rapide est assez bien placée dans la situation actuelle pour deux raisons. En premier lieu, elle bénéficie d’une clientèle qui abandonne les brasseries et autres restaurants plus onéreux, ce qui permet de récupérer une clientèle plus haut de gamme – avec toutes les nuances qui s’imposent. Ensuite, les enseignes s’évertuent à suivre le pouvoir d’achat de ses clients et fait des offres attractives en terme de « prix d’appel ».

Il reste qu’il ne faut pas trop tirer sur la corde. On se doute bien que si l’étau se resserre sur la flexibilité des horaires, c’est la qualité du service aux heures de pointe qui diminuera. Au final, ce seront bien des emplois en moins.

En dehors des entreprises publiques, la plupart des entreprises compteront 50% de CDI dans l'ensemble des embauches. Faut-il s'inquiéter de cette baisse ou simplement admettre que le salariat connaît de profonds changements ?

On supposera que le taux de 50 % est une extrapolation du cas de GDF-SUEZ. En réalité, une lecture plus complète des informations fournies montre que les embauches en CDI sont, de loin, le cas le plus fréquent. L’interrogation doit plutôt porter sur la question de savoir pourquoi les embauches ne sont pas en CDI, surtout après le renchérissement des CDD. On trouve Louvre Hôtel Group, CAVEA, CARGLASS, NORAUTO, etc. Il faut bien avouer qu’il est difficile de trouver un dénominateur commun entre ces activités, hormis peut-être leur caractère commercial. On supposera donc que, dans ces activités, les besoins en personnel sont étroitement liés à l’évolution de la demande. Mais ce n’est qu’une hypothèse !

Sans grande surprise, les géants du secteur public sont bien placés dans ce classement. Faut-il en déduire pour autant qu'ils représentent un secteur porteur sur les prochaines années ?

Les grandes entreprises nationales sont, plus que d’autres, marquées par des effets de génération. Pour faire simple, le développement de ces firmes a servi de base aux Trente Glorieuses. Les départs en retraite doivent avoir la même concentration que les embauches durant cette période (1945-1975). Sous réserve d’une meilleure information, les embauches actuelles renvoient à cette logique.

Cependant, cet effet mécanique n’est vrai que sous réserve de l’imputation sur les effectifs des progrès de productivité nets de l’accroissement de la demande. Est-ce un hasard si la Cour des comptes sort ce même lundi 16 septembre un constat sur le temps de travail à EDF. On peut y lire que « le dispositif réglementaire ne permet pas facilement l’adaptation du temps de travail aux évolutions des métiers et de l’entreprise. En d’autres termes, le statut des métiers est figé et il est difficile de le modifier pour tenir compte des évolutions techniques et des progrès organisationnels. Rien que cela peut justifier des embauches supplémentaires. Mais la Cour ajoute, au moins, deux constats : « aucune des trois entreprises (EDF SA, ERDF SA, RTE SA) ne dispose d’un outil fiable de contrôle de décompte des temps de travail » et, enfin, « la durée du travail annuelle par agent est insuffisamment suivie »[1]. L’alignement du temps de travail des salariés de ces entreprises sur la norme commune se traduirait certainement par de moindres embauches. En 1999, Martine Aubry, ministre de l’Emploi et de la Solidarité, avait fait pression sur les grandes entreprises nationales pour qu’elles deviennent les signes visibles de la réussite des 35 heures. Aujourd’hui, l’actionnaire dominant n’aurait-il pas transmis des recommandations pour que la courbe du chômage s’infléchisse avant la fin de l’année ?


[1] Média Internet, <http://www.ccomptes.fr/Actualites/A-la-une/Les-temps-de-travail-dans-les-principales-entreprises-du-groupe-EDF>



[i] http://www.lefigaro.fr/emploi/2013/09/16/09005-20130916ARTFIG00022-special-recrutement-206825projets-d-embauches-en-2014.php

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