Ce que le boom économique du Michigan révèle des nouveaux rapports de force Trump / Biden<!-- --> | Atlantico.fr
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Donald Trump et Joe Biden
Donald Trump et Joe Biden
©MORRY GASH / AFP

Swing State

L'économie américaine a connu un véritable essor sous Biden, tirée par des dépenses de consommation dynamiques, selon des données fédérales. C'est particulièrement le cas au Michigan mais les électeurs disent toujours qu'ils font davantage confiance à la gestion de l'économie par Trump.

Alexandre Delaigue

Alexandre Delaigue

Alexandre Delaigue est professeur d'économie à l'université de Lille. Il est le co-auteur avec Stéphane Ménia des livres Nos phobies économiques et Sexe, drogue... et économie : pas de sujet tabou pour les économistes (parus chez Pearson). Son site : econoclaste.net

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Michel Ruimy

Michel Ruimy

Michel Ruimy est professeur affilié à l’ESCP, où il enseigne les principes de l’économie monétaire et les caractéristiques fondamentales des marchés de capitaux.

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Atlantico : Alors que Joe Biden place l’économie au centre de sa campagne pour vaincre à nouveau Donald Trump en novembre, tout le monde ne bénéficie pas de la même manière de la reprise économique en cours, comme en témoigne l’un des États clés pour l’élection, le Michigan. Comment expliquer que les personnes les plus aisées aient vu leur patrimoine, leurs conditions de vie, leurs investissements et leur consommation s’améliorer alors que les catégories les plus pauvres ont des difficultés financières et se restreignent face au poids de l’inflation ? 

Michel Ruimy : L’écart entre des zones riches et d’autres pauvres est habituel aux États-Unis. C’est un problème pour le président Biden alors qu’il place l’économie au centre de sa campagne électorale. 

Malgré l’existence de mesures conjoncturelles afin de soutenir l’économie, d’aider les classes moyennes, d’assister les familles à faible revenu (aides directes, réformes fiscales, investissements à long terme) et de compenser certaines inégalités, plusieurs dynamiques structurelles ont bénéficié aux ménages les plus fortunés : les gains des marchés boursiers et immobiliers ont principalement bénéficié aux riches, qui possèdent la majorité de ces actifs ; l’inflation a affecté plus durement les ménages à faible revenu dont une grande part de leurs dépenses est consacrée aux biens de première nécessité dont les prix ont augmenté ; les ménages aisés ont un meilleur accès à l’éducation, aux investissements et aux réseaux professionnels, leur permettant de tirer parti de la reprise économique.

De surcroît, ces initiatives n’ont pas eu les effets escomptés en raison d’une inflation persistante : la nature temporaire des aides n’a pas suffi à compenser les hausses de prix, qui ont considérablement érodé le pouvoir d’achat tandis que les augmentations de salaire n’ont pas suivi. De plus, elles n’ont pas suffisamment ciblé les besoins immédiats des travailleurs les plus pauvres, ce qui a réduit leur efficacité.

Alexandre Delaigue : Plusieurs dimensions doivent être prises en compte pour répondre à cette question.

D'abord, il est important de noter que l'inflation a probablement été sous-estimée dans ses difficultés. Il apparaît de plus en plus que l'inflation pénalise particulièrement les catégories populaires bien plus que ce qui était anticipé. En effet, bien que les statistiques montrent une augmentation notable des salaires, notamment des bas salaires, cette hausse ne compense pas nécessairement les effets de l'inflation. Par exemple, si les prix augmentent de 50 % mais que votre salaire augmente de 60 %, théoriquement vous êtes gagnant. Cependant, cette situation ne reflète pas la réalité vécue par la majorité des gens, surtout durant la période de transition où l'ajustement à l'inflation est particulièrement pénalisant pour les classes moyennes.

Contrairement aux récessions qui touchent généralement quelques secteurs d'activité et permettent des rééquilibrages par le biais de réseaux d'entraide familiaux, l'inflation affecte l'ensemble de l'économie, rendant ces mécanismes de soutien moins efficaces. Par exemple, si l'usine d'une ville ferme, le mari ouvrier est touché, mais son épouse vendeuse peut encore travailler. Ce type de rééquilibrage n'est pas possible en période d'inflation, ce qui rend la situation encore plus difficile pour les classes populaires.

De plus, la politique économique de Joe Biden vise une réindustrialisation des États-Unis en subventionnant massivement certains secteurs d'activité. Cependant, l'industrie d'aujourd'hui n'offre plus autant d'emplois ouvriers qu'auparavant. Prenons l'exemple de Détroit au Michigan, autrefois capitale de l'automobile américaine, la ville a vu sa population diminuer drastiquement depuis les années 60. Aujourd'hui, bien que des aides soient destinées aux secteurs d'avenir, ce ne sont pas les mêmes secteurs traditionnels qui offraient de nombreux emplois ouvriers. Ce sont plutôt des secteurs comme les énergies renouvelables qui se développent, profitant davantage aux cols blancs qu'aux ouvriers.

Ainsi, bien que l'économie dans son ensemble puisse bénéficier de ces politiques de soutien aux secteurs d'avenir, cela reste déséquilibré et profite davantage aux classes supérieures et aux travailleurs des nouveaux secteurs économiques, laissant les classes populaires et moyennes en difficulté face à l'inflation persistante. Et il y a des chances que ça le reste.

Malgré une croissance aux États-Unis qui a dépassé celle de tout autre pays avancé, avec un taux de chômage presque record et un marché boursier en plein essor, les électeurs disent toujours qu'ils font confiance à la gestion de l'économie par Trump plutôt qu'à celle de Biden. Pourquoi les avantages de l’économie américaine sous Biden ont souvent profité aux plus aisés ? En quoi cette disparité complique le discours de Joe Biden auprès des électeurs à cols bleus dont il a tant besoin dans les États clés comme le Michigan ?

Alexandre Delaigue : Le premier problème réside dans le fait que la majorité des gains provient des mouvements boursiers, ce qui avantage certaines catégories de la population beaucoup plus que d'autres. En particulier, cela ne profite pas aux cols bleus. Quant au plein emploi, cette notion doit être nuancée, car pour les travailleurs concernés, le plein emploi existait déjà en grande partie.

Actuellement, le plein emploi touche des catégories de personnes qui avaient traditionnellement plus de difficultés à trouver un emploi sur le marché du travail, souvent des individus issus de minorités. Du point de vue des ouvriers blancs populaires aux États-Unis, ce n’est pas quelque chose dont ils retirent des avantages directs.

Par ailleurs, il est important de noter que, indépendamment du plein emploi, la demande de faire une transition économique n’est pas toujours bien perçue. Lors de la campagne électorale précédente, Hillary Clinton avait mentionné que les emplois dans les mines de charbon étaient voués à disparaître en raison de leur impact environnemental et de leur manque d’avenir. Même si l'économie est en plein emploi, cette perspective de transition reste inaudible pour les travailleurs de ces secteurs. Pour eux, ce n’est pas seulement une question d’emploi, mais aussi de mode de vie et d’enracinement communautaire.

Le changement implique souvent de quitter leur région pour s’installer ailleurs, ce qui n’est pas toujours envisageable ou désirable. Par exemple, passer des mines de charbon des Appalaches à des emplois dans l’extraction de pétrole non conventionnel au Texas ou à Las Vegas implique de perdre une communauté et un réseau de solidarité familiale. De plus, le coût prohibitif de l'immobilier dans les nouvelles régions d’emploi rend cette transition encore plus difficile, surtout lorsqu'ils ne peuvent pas compter sur la vente de leur ancienne maison, souvent invendable.

Il faut également rappeler que, dans un pays extrêmement polarisé, les perceptions économiques sont largement influencées par les opinions politiques. Les républicains perçoivent actuellement l’économie comme étant en mauvais état, tandis que les démocrates avaient la même perception sous Trump. Cette forte polarisation fait que seules quelques personnes indécises deviennent déterminantes.

Cela signifie que certains électeurs forment leur opinion indépendamment de leur situation économique, basée plutôt sur des questions idéologiques. Pour d'autres, la situation est plus nuancée, ce qui complique encore davantage le discours politique de Joe Biden envers ces électeurs.

Michel Ruimy : En fait, les gains économiques sous l'administration Biden ont bénéficié, de manière disproportionnée, aux plus aisés, ce qui a exacerbé les inégalités économiques.

Cette situation est un défi pour Biden, surtout lorsqu’il s’agit de courtiser les électeurs à cols bleus (travailleurs ouvriers et classe moyenne) dans des États clés comme le Michigan. La perception des ménages est notamment influencée par le discours et la communication politique. Trump réussit à capter une partie de l’électorat grâce à un message populiste et protectionniste tandis que les politiques plus techniques et à long terme de Biden sont perçues comme moins immédiatement avantageuses pour les classes populaires et moyennes. 

Il lui est donc crucial de démontrer comment ses initiatives, telles que les investissements dans les infrastructures ou les énergies renouvelables, peuvent créer des emplois bien rémunérés et stables et, de manière plus large, de concilier une politique économique nationale favorisant une croissance inclusive avec des mesures spécifiques visant à soutenir les travailleurs de la classe moyenne et à répondre à leurs préoccupations immédiates. 

Ces objectifs pourraient l’aider à regagner la confiance des électeurs dans des États clés comme le Michigan.

En quoi la situation économique du Michigan permet de voir que la politique économique de Donald Trump est toujours plébiscitée par rapport à celle de Joe Biden chez les classes populaires et les travailleurs les plus pauvres ? Quels étaient les atouts de la politique économique de Donald Trump ?

Michel Ruimy : La pandémie du Covid 19 a changé beaucoup de choses pour cet Etat, qui est fortement dépendant de l’industrie automobile, dont la population est vieillissante et les disparités de revenus et de richesse, importantes. 

Sous l’Administration Trump, avant la pandémie de Covid 19, le taux de chômage avait atteint des niveaux historiquement bas avec une hausse sensible des offres d’emploi, notamment dans les secteurs manufacturiers et industriels. La réforme fiscale de 2017, bien qu’elle ait principalement bénéficié aux entreprises et aux ménages à revenu élevé, a inclus des réductions d’impôts pour certaines classes de travailleurs dont certains ont les perçues comme une amélioration directe de leur situation financière. 

Puis, la pandémie est survenue. La vive hausse notamment des prix des biens de première nécessité et les difficultés d’approvisionnement ont aggravé les conditions économiques pour de nombreux travailleurs pauvres. 

Le traitement de cette crise sanitaire par le président Biden a modifié la donne. Les mesures environnementales comme les restrictions sur les forages pétroliers et gaziers ont été perçues comme défavorables aux industries traditionnelles du Michigan. Les filets de sécurité sociale (chèques de relance, allocations chômage prolongées) n’ont pas rencontré le succès escompté dans la mesure où les travailleurs préféraient davantage des opportunités d’emploi de long terme (stratégie politique développée par Trump qui stimulait les entreprises à en créer) aux aides temporaires. 

Par ailleurs, le discours économique de Trump, axé sur l’« America First » et la renégociation des accords commerciaux, ont résonné auprès de nombreux travailleurs du Michigan, souvent attachés aux industries traditionnelles (automobile, sidérurgie). Se sentant « laissés pour compte » par la mondialisation, la promesse de ramener, aux Etats-Unis, des emplois dans des secteurs manufacturiers, a eu un écho particulier. Ainsi, ils ont pu voir en Trump un défenseur de ces secteurs face à une administration Biden perçue comme plus focalisée sur la transition vers des énergies renouvelables.

Alexandre Delaigue : Il ne s'agit pas véritablement des atouts de la politique économique de Donald Trump. Actuellement, son discours est principalement protectionniste, affirmant que les travailleurs ne subiront pas la transition écologique ni la concurrence de la Chine, grâce à l'imposition de tarifs douaniers élevés.

Les tarifs douaniers de Trump sont présentés comme un moyen de maintenir le statu quo. Ce discours est séduisant car il promet une stabilité, contrairement aux assurances de plein emploi et d'aides publiques qui accompagnent les promesses de changement. L'idée que tout restera pareil grâce à des barrières tarifaires élevées est plus rassurante pour beaucoup. Dans un État comme le Michigan, où le déclin économique s'est récemment stabilisé, il existe une méfiance vis-à-vis de l'avenir proposé par les démocrates.

Un autre aspect, bien que partiellement indépendant de la politique de Biden, est la question de l'inflation. Biden est associé à la période d'inflation élevée, même si celle-ci a été un phénomène mondial. Il y a eu un sentiment général que l'inflation sous Biden a aggravé les difficultés économiques des classes populaires. À l'inverse, la présidence Trump est souvent associée à une période de faible inflation, renforçant la perception que l'économie allait mieux sous son administration.

Ainsi, même si certaines de ces perceptions sont davantage liées aux circonstances mondiales qu'aux politiques internes spécifiques, elles influencent fortement les opinions des électeurs. Cette combinaison de protectionnisme rassurant et de méfiance envers l'avenir économique proposé par les démocrates complique le discours de Joe Biden auprès des électeurs à cols bleus et des travailleurs les plus pauvres. 

Donald Trump joue sur les inquiétudes des travailleurs de l'automobile du Michigan, affirmant que la réélection de Biden déclencherait une crise pour l'industrie manufacturière et l'emploi. Il a notamment critiqué le soutien de Biden aux véhicules électriques et a promis d'augmenter les droits de douane sur les importations moins chères. Ce discours de Trump s’adresse-t-il directement aux classes moyennes et à ceux qui se sentent exclus de la nouvelle économie ? Les mesures protectionnistes de Joe Biden sur les véhicules électriques chinois vont-elles avoir des conséquences négatives sur les travailleurs du Michigan et sur l’industrie automobile ?

Alexandre Delaigue : Le problème est que cette situation s'applique également à l'Europe. C'est probablement la raison pour laquelle l'Europe a instauré des droits de douane sur les véhicules électriques chinois. Le secteur automobile traditionnel est clairement menacé par la voiture électrique, car cette dernière implique un mode de production entièrement différent. Jusqu'à présent, les industries européennes et américaines ont conservé leurs avantages dans le secteur automobile grâce à leur expertise dans la construction des moteurs à explosion.

Cependant, cette compétence devient obsolète avec l'essor des voitures électriques. Cela signifie que le secteur automobile va subir de profondes transformations et que les nouveaux gagnants ne seront pas nécessairement les mêmes que ceux de l'ère des moteurs à explosion. Aux États-Unis, la voiture électrique est également devenue un enjeu politique, associée aux démocrates et à l'écologie, tandis que la voiture traditionnelle américaine, à essence, est perçue comme plus virile.

Trump peut exploiter cette situation en se positionnant comme le défenseur de la voiture à essence et des emplois traditionnels, contre Joe Biden, perçu comme imposant la voiture électrique. Cette transition menace non seulement les emplois actuels, mais elle a également des implications économiques et écologiques. Les véhicules chinois, bien que moins chers, sont essentiels pour une transition écologique rapide. Pourtant, importer massivement ces véhicules bon marché aurait des conséquences désastreuses sur l'emploi dans le secteur automobile local.

En fin de compte, les droits de douane mis en place aux États-Unis, et potentiellement en Europe, sont davantage des outils politiques qu'économiques. Ils illustrent les contradictions entre la volonté de transition écologique et la protection des emplois locaux. Pour réussir cette transition écologique, il est nécessaire de rendre les véhicules électriques plus abordables. Actuellement, seul le marché chinois propose des voitures électriques à des prix accessibles, autour de 10 000 euros, permettant une adoption de masse. Malheureusement, pour l'instant, ce sont les Chinois qui dominent ce segment de marché.

Michel Ruimy : Le discours de Donald Trump est soigneusement calibré pour s’adresser aux classes moyennes et à ceux qui se sentent exclus de la nouvelle économie. En critiquant les politiques de Biden sur les véhicules électriques, perçues comme des menaces pour les emplois actuels, et en promettant des mesures protectionnistes via une hausse des droits de douane, Trump vise à rassurer ces groupes en leur offrant une vision économique où leurs emplois et leurs industries traditionnelles seraient protégés et valorisés. Ceci répond directement à leurs inquiétudes concernant la sécurité de l’emploi, la stabilité économique et la préservation de leur mode de vie.

Quant aux mesures protectionnistes de Joe Biden concernant les véhicules électriques chinois, les augmentations des coûts de production et les perturbations des chaînes d’approvisionnement pourraient entraîner, à court terme, des défis pour les travailleurs et les entreprises locales. A plus long terme, ces mesures pourraient encourager la production nationale, stimuler l’innovation locale et protéger les entreprises américaines de la concurrence étrangère. Mais, ceci nécessite d’assurer une transition juste pour les travailleurs affectés par les changements dans l’industrie.

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