Ce que l’affaire de la Silicon Valley Bank nous dit des excès et des déséquilibres de la tech américaine<!-- --> | Atlantico.fr
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L’accident de la Silicon Valley Bank, seizième banque américaine, n’est qu’un élément logique de ce tableau.
L’accident de la Silicon Valley Bank, seizième banque américaine, n’est qu’un élément logique de ce tableau.
©NOAH BERGER / AFP

Risque de contagion

La chute de la Silicon Valley Bank fait écho à la crise de financement de l’écosystème technologique et du capital-risque en particulier, après une décennie d’euphorie alimentée par des conditions monétaires proches de la magie.

Rémi Bourgeot

Rémi Bourgeot

Rémi Bourgeot est économiste et chercheur associé à l’IRIS. Il se consacre aux défis du développement technologique, de la stratégie commerciale et de l’équilibre monétaire de l’Europe en particulier.

Il a poursuivi une carrière d’économiste de marché dans le secteur financier et d’expert économique sur l’Europe et les marchés émergents pour divers think tanks. Il a travaillé sur un éventail de secteurs industriels, notamment l’électronique, l’énergie, l’aérospatiale et la santé ainsi que sur la stratégie technologique des grandes puissances dans ces domaines.

Il est ingénieur de l’Institut supérieur de l’aéronautique et de l’espace (ISAE-Supaéro), diplômé d’un master de l’Ecole d’économie de Toulouse, et docteur de l’Ecole des Hautes études en sciences sociales (EHESS).

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Atlantico : Comment comprendre ce qui s’est passé avec la Silicon Valley Bank ? La panique qui s’est emparée des déposants à la SVB était-elle justifiée ? Comment se fait-il que personne ne l’ait vu venir ?

Rémi Bourgeot : On évalue souvent les cycles financiers qui affectent l’univers technologique sur la base d’indices boursiers comme le Nasdaq, multiplié par dix de 2009 à 2021, pour chuter d’un quart depuis. Les entreprises technologiques non-côtés ont connu une dynamique encore bien plus forte, à la hausse comme à la baisse, avec le retournement de la politique monétaire et l’assèchement des flux de capitaux... Au-delà de cet énième accident financier se pose en fait surtout la question du mode de financement de l’innovation, qui conditionne des choix technologiques cruciaux.

L’accident de la Silicon Valley Bank, seizième banque américaine, n’est qu’un élément logique de ce tableau. Cette banque s’est retrouvée prise en étau entre cet environnement d’investissements privés très volatiles, la logique d’investissements bancaires induite par les taux zéro, et les bonnes vieilles leçons de gestion d’un bilan bancaire. Cette institution s’était fait une spécialité de financer les entreprises technologiques, comme son nom l’indique. Surtout, elle finançait les principales opérations des fonds de capital-risque sur les entreprises non cotées.

Ses failles, bien que béantes, sont assez modestes en comparaison des abus institutionalisés de la crise de 2008, centrés sur la titrisation de prêts immobiliers et son recyclage à outrance. Dans un environnement où la notion de réserves bancaires s’est évaporée (relance monétaire illimitée oblige), la SVB a placé une grande partie de ses fonds dans des obligations de long terme, dont la valeur a été fortement réduite par la hausse généralisée des taux. Dans le même temps, ses clients, confrontés à des difficultés de financement, avaient tendance à retirer leurs dépôts. La banque a ainsi dû accuser une perte de 1,8 milliards de dollars à l’occasion d’une vente de 21 milliards de dollars d’actifs, visant à couvrir les retraits de ses déposants. La fuite s’est évidemment démultiplié lorsque ces pertes sont apparues et lorsque les grands fonds de capital-risque ont appelé les entreprises présentes dans leur portefeuille à retirer tous leurs dépôts de cette banque. Les autorités américaines ont alors décidé, dans un cadre technique et légal flou mais plutôt efficace, de garantir ces dépôts au-delà des seuils prévus, pour contenir le risque de contagion, tout en assurant ne pas engager l’argent des contribuables…

Qu'est-ce que cela nous dit du milieu de la tech américaine et de l'écosystème qui s'est développé ces dernières années ?

La chute de la Silicon Valley Bank fait écho à la crise de financement de l’écosystème technologique et du capital-risque en particulier, après une décennie d’euphorie alimentée par des conditions monétaires proches de la magie.

Face à l’envolée de l’inflation, le resserrement monétaire pratiquée par les grandes banques centrales a sonné le glas de l’envolée de la valorisation des start-ups et la logique d’investissement du capital-risque, hors marchés financiers, dont l’activité a reculé de 30% l’année passée. Un renversement est alors survenu, d’une logique où les résultats financiers ne présentaient qu’une perspective lointaine, dans un esprit de « croissance » porté par le potentiel d’une innovation, à un cadre plus traditionnel d’évaluation. Ce changement bouleverse l’environnement technologique et le rapport au temps. L’effondrement de la valeur d’une entreprise non-cotée reste souvent opaque, en dehors des épisodes de levée de fond. Les banques sont quant à elles rattrapées par la réalité plus rapidement.

Le capital-risque est un secteur intéressant. Il faut cependant, en plus de son modèle financier très cyclique, s’interroger sur ses contours très larges sur le plan technologique. Ces dernières années, son champ d’investissement s’est étendu, des innombrables startups de livraison express jusqu’à la thématique de l’exploration spatiale et de la fusion nucléaire, que l’on associe traditionnellement aux Etats, aux universités et aux grands groupes technologiques plutôt qu’au startups.

Au regard de l’Histoire industrielle, on ne peut certes pas affirmer que les grandes innovations découlent nécessairement d’une logique financière impeccable. Pour autant, une bulle technologique aussi phénoménale que celle qui a été liée au QE et aux taux nuls des banques centrales pose la question du contenu intellectuel et stratégique. La course technologique mondiale se concentre sur des secteurs qui nécessitent des investissements faramineux, sur des décennies, dans les infrastructures comme dans les compétences. Dans les semi-conducteurs, il s’agit d’atteindre les standards de miniaturisation (et de fiabilité) les plus avancés, dans la conception puis la production des puces dans des usines dont la construction coûte plus de 20 milliards de dollars…

On reproche souvent, à juste titre, à la politique industrielle de sélectionner les vainqueurs. Les bulles d’investissement privés, portées par la politique monétaire, entraînent, elles aussi, une forme de recentralisation, mais avec une logique de plus court terme. En période de bulle généralisée, les décisions d’investissement, bien que se voulant plus novatrices que celles des administrations et des grands groupes, au moyen d’une multitude d’acteurs de toutes tailles, ne sont pas forcément guidées par une meilleure compréhension technique.

N’oublions pas au passage le rôle central du capital-risque dans la sphère crypto avec, notamment, sa multitude de projets de NFT flous et reposant sur des notions juridiques souvent fantaisistes. La bulle des cryptos a été la cerise sur le gâteau de ce renversement ironique, puisque le concept même de crypto était censé incarner l’idée de décentralisation monétaire. Dans la réalité, la bulle s’est justement développée sur la base des inondations de liquidité pratiquée par ces mêmes banques centrales qu’elles devaient dépasser, pour chuter lorsque celle-ci ont pris la voie du resserrement. Et leur développement s’est retrouvé porté par de grandes plateformes, proposant des constructions ressemblant de plus en plus à des produits financiers instables, comme les « stablecoins ». La planète crypto a d’ailleurs perdu, en l’espace de quelques jours, ses deux principales banques, la Signature et la Silvergate Bank. Notons que le principal projet de prétendu « stablecoin » euro (l’Euro Coin de Circle) recourait à cette dernière pour une partie de ses dépôts… 

Quel est le risque de contagion, notamment pour l’Europe ?

En premier lieu, le risque en Europe concerne surtout la filiale britannique de SVB, assez indépendante de la maison mère, et que le géant HSBC a accepté d’avaler pour une livre symbolique, limitant ainsi le risque de faillite désordonnée.

Au-delà de la question de la contagion se pose aussi celle du modèle financier, dans le secteur technologique. L’Europe est restée très en retrait du capital-risque en comparaison des Etats-Unis, tout comme le poids des marchés de capitaux en général dans le financement de son économie. Et si l’on s’intéresse aux transactions qui ont effectivement lieu en Europe dans ce domaine, les investisseurs américains et asiatiques y mènent les plus grandes transactions. La Banque européenne d’investissement s’est proposée d’y remédier en lançant récemment la « European Tech Champions Initiative », visant à injecter 3,75 milliards d’euros dans des fonds de capital risque pour tenter de créer un effet d’entraînement de fonds privés, plus massifs. La Commission a, par ailleurs, affiché l’objectif visant à mobilier 45 milliards de fonds privés pour la croissance des startups. Ces initiatives sont intéressantes mais, au regard de l’éclatement de la bulle américaine, il convient également de concevoir un modèle plus stable de financement des startups que celui du capital-risque des dernières années. Ce modèle devra résister aux montagnes russes des cycles monétaires et permettre un véritable positionnement dans la révolution industrielle en cours, dans la durée et dans la qualité.

Vous pouvez retrouver sur le même thème l'entretien avec Don Diego De La Vega :Panique bancaire sur SVB : tout ce qu’il faut savoir pour comprendre à quel point une nouvelle crise financière nous menace ou non

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