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Ce que François Hollande semble ne (toujours) pas comprendre à la nature de la crise de défiance qui déstabilise les démocraties occidentales
©STR / AFP

Représentation

François Hollande publie aujourd'hui "Répondre à la crise démocratique" (éditions Fayard) dans lequel il expose les réformes institutionnelles qui pourraient aider la France à se sortir de sa crise de représentation.

Pierre Vermeren

Pierre Vermeren

Pierre Vermeren, historien, est président du Laboratoire d’analyse des ideologies contemporaines (LAIC), et a récemment publié, On a cassé la République, 150 ans d’histoire de la nation, Tallandier, Paris, 2020.

 

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Yves Mény

Yves Mény

Yves Mény est politologue, président émérite de l'Institut universitaire européen de Florence. Yves Mény a enseigné aux Universités de Rennes 1, Paris 2 et à Sciences Po ainsi que dans de nombreuses universités étrangères. Il a publié en 2019 "Imparfaites démocraties", Presses de Sciences Po, Paris (trad. Italienne, anglaise, portugaise) et "Le sytème politique français", Montchrestien, 7ème édition.

 
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Répondre à la crise démocratique, le nouveau livre de François Hollande, sort aujourd'hui. L'ancien Président de la République évoque l'avenir des institutions et propose certaines mesures, comme un mandat présidentiel de 6 ans, la fin du premier ministre et de la responsabilité du gouvernement devant le Parlement. 

Atlantico.fr : Des mesures institutionnelles vous semblent-elles pouvoir répondre à la crise démocratique des sociétés occidentales ? Le fait qu'elle soit généralisée à beaucoup de pays européens, dans lesquels les institutions sont différentes, n'est-ce pas le signe que cela ne sera pas suffisant ?

Yves Mény : Les propositions de François Hollande pour répondre à la crise démocratique ne sont pas à la hauteur du défi auquel sont confrontées la plupart des sociétés contemporaines. Tout se passe comme si le diagnostic et le remède étaient spécifiquement français. Or la crise est générale, quelles que soient les formes institutionnelles : en Italie, en Allemagne, en Espagne, aux Etats-Unis, en Argentine, au Chili, au Brésil… Chaque pays est marqué par des formes de crise qui lui sont propres mais en même temps, partout, il y a une insatisfaction générale à l’égard de la démocratie. Ce n’est pas en « bricolant » les institutions de la Vème République que l’on répondra à la crise actuelle. Les institutions peuvent beaucoup pour le bon fonctionnement du système politique, elles ne peuvent pas grand chose pour résoudre les dimensions économiques, sociales, identitaires qui constituent le méli-mélo inextricable des crises actuelles.

N’oublions pas d’abord que nous avons vécu depuis trente ans diverses révolutions qui affectent le bon fonctionnement de nos sociétés : la globalisation et l’européanisation qui ont rendu l’État national impuissant à gérer seul l’ensemble des politiques publiques nationales ; le néo-libéralisme économique qui l’a accompagné et permis et a redistribué les cartes de la production, du commerce et des mouvements de personnes et de biens avec son lot de gagnants et de perdants ; l’effondrement des idéologies (1989) et leur remplacement par des alternatives identitaires nationales (ou sub-nationales) ; la révolution tecnologique d’Internet et la diffusion des réseaux sociaux qui substituent des modes de communication horizontale à la traditionelle communication verticale en vigueur depuis deux ou trois millénaires.

Répondre à ces défis avec quelques modifications institutionnelles est un leurre. C’est un remède facile à préconiser, un « ready-made » apparemment aisé à appliquer mais en fait, c’est un cautère sur une jambe de bois, un placebo, rien de plus.

En réalité, c’est à une tâche d’ampleur comparable à celle entamée après la seconde guerre mondiale qu’il faut s’atteler. Car le consensus post - 1945 est à terre et Trump est en train de saccager les dernières plate-bandes qui subsistaient. Pour l’instant il n’y a aucune proposition sur la table qui paraisse crédible ou réaliste. La plus radicale, liée au changement climatique n’est reçue positivement que par une fraction croissante mais encore très limitée de la population.

C’est dire si l’élection d’un Président pour 6 ans au lieu de 5 ne règle rien, au contraire, car elle amène à se focaliser sur des propositions marginales et à négliger la réflexion sur les questions essentielles mais irrésolues.  Quant à l’organisation des élections locales le même jour, c’est une aimable plaisanterie si l’on sait que tous les organes de coopération intercommunale (qui détiennent l’essentiel des compétences) ne sont désignés au suffrage universel direct ! 

Pierre Vermeren : Cela fait quand même des décennies que le personnel politique français identifie la crise politique à celle des institutions. Mais il ne fait jamais la réforme jusqu’au bout. Après de multiples demi-réformes constitutionnelles, les institutions de la Vème République ont été dénaturées, sans vraiment répondre au principal problème : le Parlement est de plus en plus télécommandé par l'exécutif. Est-ce qu’il y a un problème de Gouvernement ou de Premier Ministre, à vrai dire tout le monde s’en moque un peu. A force de transformations, les institutions de la Vème République ont dérivé comme des continents ; François Hollande propose-t-il d'accentuer cette dérive en restant dans le cadre de 1958 ?

On peut très bien considérer que ces institutions ne sont pas adaptées: il faudrait alors changer la Constitution, en tous cas faire respecter la séparation des pouvoirs. François Hollande veut-il renforcer le pôle présidentiel déjà très puissant si on s’en sert? Au demeurant, je pense que la crise sociale qui a éclaté en France depuis un an n’est pas une crise institutionnelle : c’est une crise sociale et économique profonde d’impuissance, ou de mauvais choix effectués par le politique, et qui se mue alors  en malaise démocratique.

La seule revendication institutionnelle des gilets jaunes était le référendum d'initiative citoyenne (RIC). Or les autorités politiques y sont hostiles car elles seraient dépossédées d’une partie de leur pouvoir. Donc le personnel politique se parle à lui-même quand il évoque la réforme des institutions. Le Sénat [réforme évoquée par François Hollande, ndlr.] est déjà la chambre des collectivités. Tout cela me paraît en somme un peu baroque. Quand il était Président, il pouvait supprimer le poste de Premier ministre comme l’avaient réclamé François Fillon et DSK en leur temps. Que ne l’a-t-il alors proposé?

Sur quoi repose cette crise démocratique ? Quelle est la part de méfiance vis à vis de toute forme de représentation ou d'autorité ? 

Yves Mény : La crise démocratique dans ses multiples formes et dimensions découle fondamentalement du découplage entre le niveau de décision démocratique et celui des politiques publiques qui concernent directement la vie des citoyens. La démocratie s’est construite à l’intérieur de l’État national et est prisonnière de ce cadre trop étroit. Toutes les grandes questions qui déterminent nos vies ont une dimension supra-nationale : climat, commerce, approvisionnements, migrations, prospérité économique, monnaie, défense dépendent surtout de facteurs externes pour lesquels n’existe aucun mécanisme démocratique tandis que les démocraties tournent à vide. Le roi est nu mais le roi (et ses sujets) ne veut pas le savoir…

Pierre Vermeren : Sur le fond, une grande partie de l'opinion, qui ne vote pas ou qui vote aux extrêmes -au total cela constitue la majorité de l’opinion-, considère que face aux promesses de réformes, d'amélioration des niveaux de vie et aux grandes questions posées à la société -l'école, l'économie, l’emploi, la sécurité, l’environnement- le personnel politique répond mal à ses préoccupations. Il y a donc un énorme problème de confiance démocratique puisqu'on voit aujourd'hui une partie importante de la jeunesse remettre en cause la pertinence du modèle démocratique (plus d’un tiers ?). 

Cela signifie que la crise est profonde. Le travail est rare, et dans une large mesure, ne permet pas de vivre correctement, particulièrement dans des endroits où il y a des emplois, c'est-à-dire dans les grandes métropoles. Et le mode de vie longtemps proposé aux classes moyennes dans les banlieues grâce à leurs voitures, est présenté comme obsolète. On a mis les gens dans des cases, et maintenant on leur dit qu'elles ne sont pas bonnes, voire que cela met en péril l'équilibre écologique de la France. Une réforme institutionnelle ne changera rien à ces constats.

C'est la manière de répondre à la crise sociale et économique qui compte, plus que l'organisation institutionnelle.

Et justement, au cours de la Vème République des mesures qui permettaient de répondre aux crises sociales et économiques se sont ajoutées aux éléments démocratiques institutionnels. Est-ce que c'est de ce côté-là qu'il faut selon vous porter les réformes ? Qu'est-ce qui peut répondre selon vous à cette méfiance vis-à-vis des gouvernants ou des élites ?

Pierre Vermeren : Il y a un gros problème de défiance vis-à-vis de la compétence et de la capacité des élites à réformer ce qui dysfonctionne. Il y a des tentatives actuellement qui sont menées dans le domaine de l'école, pu des réformes du marché de l'emploi, mais les déficits budgétaires et extérieurs restent considérables, l'emploi s'améliore à une vitesse d'escargot, et les problèmes structurels de répartition des activités et des richesses ne bougent pas. Que fait-on des six ou sept millions de Français qui sont en dehors du marché de l'emploi et des neuf millions de Français pauvres ? Là est le cœur du problème.

Peut-être y a-t-il un moyen de rendre les institutions plus efficaces, mais si on réduit encore la durée de vie du Parlement, on va être vraiment en campagne électorale permanente : trois fois en six ans pour les grandes élections cela fait beaucoup. Aux Etats-Unis, il y a vraiment deux pôles de pouvoir indépendants et très forts : un exécutif fort et un législatif fort. Or nous avons un exécutif très fort qui neutralise le Parlement. Aujourd'hui le vrai pouvoir est à l'Élysée et à Matignon. Qu'il y en ait un ou les deux c'est pareil, tout est déjà dans les mains de Président de la République. Le Président donne la ligne, réforme et dirige. De Gaule voulait un "parlementarisme rationalisé", mais aujourd'hui c'est un parlementarisme dans les mains de l'exécutif.

Si les réformes proposées s'attaquent à cette question, tant mieux. Mais si on entrait dans une campagne électorale permanente avec des élections plus rapprochées, cela ne résoudrait rien. Si le Parlement est hostile au Président au bout de quatre ans, y aurait-il cohabitation ou serait-il contraint de démissionner? On a voulu il y a quelques années en finir avec la cohabitation paralysante, faut-il déjà y revenir?

Les solutions institutionnelles évoquées par François Hollande sont-elles adaptées à la culture institutionnelle française ? Il parle d'un système à l'américaine...

Yves Mény : Même si l’on ne prend pas en compte ces critiques de fond, encore faut-il rappeler deux choses. En premier lieu, le « présidentialisme » nouvelle manière a été expérimenté deux fois dans notre histoire constitutionnelle, en 1791 et en 1848 avec en toile de fond l’expérience des Etats-Unis. Dans les deux cas des institutions qui auraient pu fonctionner sur le papier ont été des échecs cuisants : la guillotine pour Louis XVI et le coup d’État de Louis Napoléon-Bonaparte assassinant la République. On avait oublié dans les deux cas que la culture politique est aussi importante que les institutions. En second lieu, en France, la crise démocratique est en partie liée à l’effondrement des partis, à la méfiance à l’égard des élites dirigeantes, à l’absence de vision globale, tous éléments auxquels François Hollande a apporté une contribution déterminante, hélas !

Pierre Vermeren : Aux Etats-Unis, les trois grands pouvoirs sont indépendants, alors qu'en France, c’est très imparfaitement le cas. C’est une vraie question. Le Président est élu pour cinq ans, et quel que soit le degré de contestation et sa nature, les institutions lui permettent de rester en place. En cas de suppression du premier ministre, il serait directement le chef du gouvernement et de la majorité parlementaire? En cas de crise grave, que se passerait-il? Devrait-il démissionner ou gouverner avec un parlement hostile ? Alors il manquerait un roi comme en Angleterre ou en Espagne, ou un président à l’allemande ou à l’italienne, pour la continuité de l'Etat?

Certains estiment qu'il s'agit d'une crise venant de la sécession des élites, d'autres de leur impuissance, ce qu'évoque l'ancien Président. François Hollande a-t-il pu, lors de son mandat, l'accentuer ?

Pierre Vermeren : De fait, s'il propose une réforme des institutions alors qu'il n'est plus Président pour la faire, il dresse le constat de son échec. L'impression d’impuissance confirme ce que les Français avaient perçu : il y a clairement une crise de la volonté depuis quelques décennies. L'exécutif ne parvient pas à réformer le pays (qui est peut-être ingouvernable il est vrai) et par conséquent, la crise se creuse et les contestations progressent comme illustré depuis un an. La crise des gilets jaunes a été un cri de désarroi : "Qu'est-ce que vous faites là-haut ? Qu'est-ce que vous pouvez faire pour nous ?". Là est la question. En changeant le mécano institutionnel, les choses vont-elles s'améliorer ? J’en doute fort.

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