Ce que deviennent nos souvenirs quand on n’en a plus besoin<!-- --> | Atlantico.fr
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Nos souvenirs sont parfois difficiles à retrouver
Nos souvenirs sont parfois difficiles à retrouver
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Remember...

La mémoire nous semble toujours très sélective : alors que l'on se souvient à vie de comment faire du vélo, nous avons des difficultés à nous remémorer des informations apprises à l'école. Si la mémoire à long terme semble illimitée, le plus compliqué est d’accéder à des souvenirs écrasés et brouillés par l'enregistrement de nouvelles choses.

André  Nieoullon

André Nieoullon

André Nieoullon est Professeur de Neurosciences à l'Université d'Aix-Marseille, membre de la Society for Neurosciences US et membre de la Société française des Neurosciences dont il a été le Président.

 

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Atlantico : Nous avons beau les apprendre par cœur à l’école, il existe quantité d’informations dont nous ne souvenons pas par la suite, car nous ne les utilisons pas. Que deviennent-elles dans notre cerveau ?

André Nieoullon : Votre question s’adresse spécifiquement à ce que nous nommons la mémoire « sémantique », c’est-à-dire ce que nous apprenons et qui réfère à une forme de lexique dont le langage, par exemple, est l’un des éléments fondamentaux. Elle fait également référence à un certain nombre de procédures opérationnelles, que nous devons assimiler et comprendre parce qu’elles nous permettent la résolution de problèmes, y compris parmi les plus courants comme effectuer une simple opération arithmétique et jusqu’à résoudre des équations différentielles. Ainsi donc, pour prendre ce dernier exemple, ce n’est pas tous les jours que nous utilisons ce mode opérationnel pour résoudre des problèmes, ce qui fait que bien qu’ayant été évalués sur cette question lorsque nous en avons acquis la maîtrise, la non utilisation de ces équations fait que bien vite on en perd la capacité de les utiliser. Est-ce cependant pour autant que nous avons tout oublié ? Il est clair que parce que nous en avions acquis les concepts sous-jacents, un petit effort permet à tout un chacun de pouvoir en retrouver l’usage… Ce qui signifie que l’on ne repart pas de zéro et donc que ces opérateurs « rafraîchis » dans notre mémoire nous demeurent accessibles. Il en est de même pour une langue dont on a acquis les bases au cours de nos études puis non pratiquée. Lorsque l’on s’y remet, il est étonnant de constater à quelle vitesse reviennent ces fondamentaux... Beaucoup de retraités « qui s’y remettent » peuvent en attester ! Ainsi donc, ces acquis sont bien toujours présents mais votre question met en exergue un point essentiel : pour être utilisables, ces acquis mémorisés doivent être utilisés. On se surprend d’ailleurs quelquefois à avoir à l’esprit, lorsque des circonstances nous y amènent, et à réaliser combien de choses que nous pensions avoir oubliées sont encore si présentes dans notre mémoire. Merveilleuse mémoire lorsqu’on le réalise !

Il en va de même avec les évènements vécus : ceux de la petite enfance sont pour ainsi dire « effacés », ceux de la jeunesse sont plus ou moins flous ou sélectionnés, quant à ceux de l’âge adulte, il faut parfois produire un effort pour les faire revenir à la surface. Si nombre de souvenirs nous échappent ainsi, est-ce aussi parce que d’une certaine manière ils ne nous sont pas « utiles » ?

Ici vous soulevez une autre question, bien différente de la précédente. D’abord, vous n’évoquez pas le même type de mémoire et lorsque vous parlez d’évènements, les experts se réfèrent à une autre forme de mémoire, qui n’est plus en rapport avec l’apprentissage d’un lexique comme dans le cas de la mémoire « sémantique », mais avec des épisodes de la vie qui sont « subis », ce que nous nommons pour y faire référence, la mémoire « épisodique ». Ce sont ce que l’on nomme plus communément les « souvenirs » et qui ont la caractéristique principale d’être autobiographiques, c’est-à-dire très personnels. Dans ce cas, pour répondre à votre question, il faut faire référence au fait que les souvenirs sont présents dans notre cerveau et que le processus de mémorisation fait appel à des opérations de base assez simples, qui mobilisent les informations sensorielles nous permettant de capter ce qui se passe dans l’environnement dans lequel nous évoluons, au départ et le plus simplement possible, d’abord les informations visuelles et les informations auditives, même si la réalité est plus complexe. A partir de ces informations sensorielles, nous allons alors aboutir à une véritable « représentation mentale » de cet environnement, avec toutes ses caractéristiques, notamment temporelles et spatiales (quand ? où ? comment ?), représentation d’autant plus vivide dans notre esprit qu’elle comporte une composante émotionnelle forte. A titre d’exemple, pour une génération qui y a été exposée, chacun d’entre nous se souvient avec une extraordinaire précision ce qu’il faisait, non seulement lors de l’attentat épouvantable contre Charlie-Hebdo il y a quelques jours, mais bien plus encore lorsqu’il a appris l’attentat contre les tours jumelles de New York, le 11 septembre 2001, il y a plus ou moins quinze ans ! Cet évènement inscrit dans la mémoire collective est aussi particulièrement bien présent dans la mémoire individuelle de millions d’individus sur la planète.

Alors pourquoi y-a-t-il une influence de l’âge sur la remémoration de ces souvenirs ? D’abord, s’agissant des plus jeunes, pour une raison très simple : avant l’âge de 2-3 ans, les structures cérébrales qui permettent cette mémorisation sont encore très immatures et le jeune enfant n’a globalement pas la capacité de pouvoir se faire une représentation cognitive de ces évènements. Plus précisément, son hippocampe et les circuits « de la mémoire » sont encore dans un état de « brouillon », pour utiliser une métaphore, et dans l’incapacité de permettre le stockage de l’information. Il ne reste donc pas grand-chose au bout de ces épisodes, sauf peut-être à un niveau inconscient qu’exploitent les psychanalystes… et en rapport avec une forme de « faux souvenirs » liée au fait que l’entourage se complet souvent à raconter, lorsque l’on est plus âgé, des épisodes de la petite enfance dont on pense dès lors légitimement avoir le souvenir ! Pour la suite, ce que vous nommez « la jeunesse », il n’est pas d’explications immédiates, sauf à se référer encore au développement du cerveau dont il faut rappeler ici que, dans son ensemble, il va prendre plus ou moins une vingtaine d’années, soit environ un quart de toute notre vie. Mais le fait que certains souvenirs de cette époque soient très ancrés dans notre mémoire tient aussi au fait que pendant cette période de la vie, et notamment pendant l’adolescence, l’émotionnel l’emporte souvent sur le rationnel. La dimension affective des évènements s’accorde alors avec leur mémorisation forte. Enfin, s’agissant de l’adulte et de ses difficultés à se remémorer certains des épisodes de sa vie, je distinguerai volontiers le « jeune adulte » de la personne plus âgée.

Chez le jeune adulte la plénitude des processus cognitifs, notamment attentionnels, associée à une vie intense qui enrichit quotidiennement le répertoire des évènements de la vie, procède d’un effet d’entraînement qui permet notamment de réactiver des événements plus anciens, en particulier à titre de références de situations nouvelles par rapport à des situations déjà vécues. Une partie de cette remémoration passant parce que l’on appelle la présence « d’indices » qui facilitent le rappel, les indices sont nombreux et le « rappel indiciel » très présent. Pour ce qui concerne les personnes plus âgées, en dehors bien entendu de toute pathologie de la mémoire qui posent d’autres questions, il faut admettre qu’une certaine diminution des interactions sociales, notamment, associée éventuellement à une réduction des capacités attentionnelles, voire émotionnelles, a une certaine tendance à la banalisation des situations, qui émousse la signification affective des événements et les rend moins percutants. Il va de soi aussi que la « recherche du mot » ou « du nom », si banale, est le plus souvent le fait simplement d’une certaine fatigue qui ne permet pas d’optimiser cette recherche du souvenir. Mais par contre, lorsque ces souvenirs sont présents, ils se trouvent d’une remarquable précision, comme si le temps n’avait pas altéré leur remémoration.

Où les souvenirs sont-ils stockés ? Se trouvent-ils au même endroit que les informations apprises ? Certains s’effacent-ils totalement ?

Bien que la biologie de la mémoire reste encore en grande partie une énigme pour les scientifiques, il apparaît qu’effectivement, selon le type de mémoire, les lieux de stockage dans le cerveau sont très différents. C’est en fait la pathologie qui nous permet d’abord d’en faire le constat. Bien que les choses ne soient pas simples et rarement dichotomiques, de fait certains patients présentent des troubles mnésiques assez spécifiques, qui permettent de faire le constat que les régions cérébrales concernées sont différentes. En fait, c’est le cas plutôt pour la mémoire sémantique plus que pour les souvenirs personnels. Brièvement, ces souvenirs personnels sont en général très « robustes » et résistent longtemps, y compris à des pathologies très graves, comme par exemple la maladie d’Alzheimer. C’est le plus souvent la formation de nouveaux souvenirs qui est plus en question et les patients ont du mal avec ce que l’on nomme la mémoire « antérograde ». Mais selon la nature des lésions, d’autres patients voient effectivement des pans entiers de leur vie effacés, en général de façon moins caricaturale que cela est représenté dans les films ou les livres qui traitent de ce sujet, traduisant une atteinte de leur mémoire « rétrograde ». Et certains cas sont néanmoins très particuliers, par exemple dans celui de patients dont les déficits mnésiques sont centrés sur la reconnaissance des visages, un cas très illustratif. Les données de l’imagerie cérébrale aident les neuropsychologues dans le cadre de la recherche et de nombreuses données sont acquises, qui illustrent une certaine compartimentation de la mémoire dans le cerveau. Mais ces cas cliniques, aussi démonstratifs soient-ils, ne cachent pas notre ignorance globale d’un grand nombre de processus mnésiques.

D’une certaine manière, votre question pose aussi le problème de ce que l’on nomme « la trace mnésique » ; en d’autres termes : sous quelle forme sont stockés les souvenirs dans le cerveau ? Difficile de répondre brièvement ! Mais notre conception actuelle de la mémorisation favorise l’idée que les souvenirs « émergent » de la matière en mobilisant l’activité de réseaux nerveux très largement répartis dans plusieurs régions cérébrales, plutôt que l’intervention d’éléments neuronaux spécifiques.

Pourquoi les personnes âgées éprouvent-elles souvent plus de difficultés à se remémorer leurs souvenirs ?

Il ne faut minimiser en aucune manière les formidables capacités de la mémoire de nos séniors ! En dehors de la pathologie, la plupart des personnes sont longtemps à même de performances mnésiques absolument étonnantes, ce qui est extrêmement encourageant et s’inscrit en faux par rapport à des idées généralistes souvent reprises par les médias selon lesquelles les performances cognitives sont affaiblies avec l’âge. Deux considérations me paraissent ici essentielles : d’abord qu’en adoptant une attitude « active », c’est-à-dire en ne se contentant pas de subir passivement les situations, il est possible de maintenir, voire d’améliorer, ses propres performances cognitives, ce qu’un certain nombre de marchands ont bien compris en proposant moyennant finances des stratégies « d’entraînement de la mémoire » ; ensuite qu’il ne s’agit pas de nier que de fait un certain affaiblissement des performances se manifeste avec le grand âge mais que celui-ci est minime. Pour être bref, deux éléments peuvent être relevés : un certain ralentissement du traitement de l’information cérébrale, qui fait que si l’on laisse un peu plus de temps pour répondre par rapport au jeune adulte, la réponse survient et elle est exacte. Ensuite, que le principal obstacle à une remémoration rapide et efficace est certainement un défaut de mobilisation des processus attentionnels, voire de vigilance, plus difficile à optimiser pendant un temps soutenu que chez ces jeunes adultes. Là on trouve effectivement des difficultés mais qui peuvent être largement compensées, par exemple par l’expérience et l’utilisation notamment du rappel indicé. Etonnant les performances de quelqu’un qui a l’habitude de jouer au bridge ou à manipuler mentalement les chiffres, qui peuvent être jusqu’à supérieures au jeune adulte moins entraîné… Un message d’espoir, donc, qui fait que les capacités du cerveau sont maintenues avec l’âge bien au-delà de ce que l’on a l’habitude de dire !

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