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Ce que cachent les rhétoriques outrancières de Donald Trump et Kim Jung-un
©JIM WATSON / AFP

Derrière les mots

La récente escalade verbale entre les États-Unis et la Corée du Nord souligne à quel point Washington peine à décrypter ce dossier.

Barthélémy Courmont

Barthélémy Courmont

Barthélémy Courmont est enseignant-chercheur à l'Université catholique de Lille où il dirige le Master Histoire - Relations internationales. Il est également directeur de recherche à l'IRIS, responsable du programme Asie-Pacifique et co-rédacteur en chef d'Asia Focus. Il est l'auteur de nombreux ouvrages sur les quetsions asiatiques contemporaines. Barthélémy Courmont (@BartCourmont) / Twitter 

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Au-delà des réactions médiatiques à l'égard des excès de langage des deux parties, quelles sont les failles réelles de l'approche de Washington dans la gestion du cas nord-coréen ? La pression exercée sur la Chine pour que celle-ci "règle le problème" n'est-elle pas excessive ? Comment le dossier nord-coréen peut-il s'imbriquer entre les différents dossiers ; Mer de Chine du Sud, Taiwan, tensions autour du libre-échange, etc… qui occupent Chine et Etats-Unis ?

Derrière les rhétoriques outrancières des deux camps, coutumières à Pyongyang, plus inhabituelles à Washington – Donald Trump semble s’être inspiré de la déclaration de Harry Truman du 6 août 1945, quelques heures après l’utilisation de la bombe atomique à Hiroshima – et pour le moins déplacées, c’est toute la politique nord-coréenne de Washington qui montre ses limites. Il convient, bien entendu, de pointer du doigt l’aventurisme et l’amateurisme du 45ème président des Etats-Unis, mais le problème n’en demeure pas moins beaucoup plus profond. Les administrations précédentes ont toutes échoué à régler la question nord-coréenne. Bill Clinton a signé en 1994 les accords de la KEDO, qui s’avérèrent inefficaces, George W. Bush a choisi de hausser le ton et d’inscrire Pyongyang sur la liste de l’axe du mal, et fut témoin du premier essai nucléaire nord-coréen en 2006, et Barack Obama a ouvert la porte au dialogue et Pyongyang y a répondu avec quatre autres essais nucléaires. Disons que Trump ajoute à ces déboires successifs son style iconoclaste, et une incompétence qui ne se limite pas au bureau ovale, puisque l’ensemble de son administration semble incapable de décrypter avec soin le problème nord-coréen.

Les pressions sur la Chine, qui elles non plus ne datent pas d’hier, ne sont pas fondamentalement excessives compte-tenu du jeu double que joue Pékin, mais elles sont la démonstration de l’incapacité de Washington à régler ce problème. C’est donc un aveu de faiblesse et, dans les relations entre grandes puissances, c’est une immense erreur. Là aussi, Trump n’est pas plus à blâmer que ses prédécesseurs. Le président américain ajoute cependant à ces pressions une redéfinition de la politique asiatique de Washington, qui semble inspirée par la thèse du grand bargain, ou grand marchandage, avec Pékin. Cette dernière suggère un partage du leadership en Asie orientale avec la Chine, tant sur les questions stratégiques qu’économiques et commerciales. Si cette thèse se confirme, cela signifie non seulement la consécration du retrait des Etats-Unis en Asie, loin de la stratégie ambitieuse – mais limitée dans sa mise en application – du pivot vers l’Asie de Barack Obama, mais aussi que les lignes du partage doivent être définies. Dans cette configuration, qui pourrait ne pas tenir de la politique fiction, deux pays alliés de Washington ont toutes les raisons du monde de s’inquiéter : la Corée du Sud, et plus encore la République de Chine (Taiwan). Quel sort leur réserve Washington, et quelle sera la marge de manœuvre américaine dans la relation avec ces deux pays ? Difficile de le savoir à ce stade. Il est en revanche certain que Pékin et Washington se livrent à une surenchère auprès des pays asiatiques, sorte de course au leadership et aux accords. La Chine a clairement l’avantage sur la grande majorité des dossiers, et c’est sans doute la situation difficile dans laquelle se trouvent les Etats-Unis qui justifie, aux yeux du président américain, une stratégie très offensive.

Japon et Corée du Sud sont en première ligne si la situation venait à dégénérer, ce qui explique les appels au calme des deux alliés des Etats-Unis. Que risque Washington avec ses deux alliés dans son approche ? Avec quelles conséquences au niveau régional ?

Il va de soi que si la situation venait à dégénérer, elle serait désastreuse pour le Japon, et cataclysmique pour la Corée du Sud, dont il convient de rappeler que la capitale Séoul et ses 25 millions d’habitants (la moitié de la population du pays) n’est qu’à quelques dizaines de kilomètres de la zone démilitarisée, qui sert de frontière avec la Corée du Nord. C’est pourquoi il est presque hallucinant de constater à quel point les Etats-Unis négligent la position de leur allié sud-coréen dans cette crise, Séoul appelant les deux parties à la raison. L’élection du démocrate Moon Jae-in à la présidence sud-coréenne en mai dernier, mettant fin à dix ans de présidence conservatrice et très hostile à Pyongyang – avec des résultats catastrophiques – n’est pas une bonne nouvelle pour l’administration Trump, qui a d’ailleurs multiplié pendant plusieurs semaines les déplacements officiels en espérant sans doute influencer la politique sud-coréenne, en vain. Moon bénéficie d’une importante côte de popularité, qui contraste avec la débâcle de Park Geun-hye, présidente avant lui, et ses propositions de dialogue avec Pyongyang sont globalement bien appréciées par la population. La main tendue à Pékin, après une année très difficile et des effets sur l’économie coréenne, est également au cœur des projets de Séoul. A l’inverse, l’image des Etats-Unis est très fortement écornée, Moon a fortement critiqué le déploiement du bouclier antimissile THAAD (à l’origine des sanctions chinoises) et la crise actuelle, marquée par un mépris inqualifiable de Washington pour son allié (l’administration Trump n’a même pas encore désigné d’ambassadeur à Séoul, ce qui est impensable dans la situation actuelle), laissera évidemment des traces. Il faut remonter très loin, peut-être même avant 1950 et le déclenchement de la guerre de Corée, pour voir des traces d’une telle dérive des intérêts fondamentaux entre Séoul et Washington.

Côté japonais, la situation politique n’est pas la même. Abe Shinzo, dirigeant conservateur et accessoirement le premier à avoir rendu visite à Trump après son arrivée au pouvoir, est sur une ligne ferme à l’égard de Pyongyang. Mais il est confronté à une opinion publique qui lui est défavorable, et les Japonais ne conçoivent pas d’être engagés dans un conflit qui se solderait par les premières frappes sur l’archipel depuis 1945, sans oublier que l’article 9 de la Constitution japonaise de 1946 interdit le recours à la force (autre que pour défendre l’intégrité territoriale), en dépit des efforts du cabinet Abe en vue d’en contourner les termes. En clair, le Japon ne veut pas la guerre, et s’inquiète des manœuvres de son allié américain. S’il ne faut pas y voir le signe d’un infléchissement de la politique extérieure du Japon à court terme, il est hautement probable que cela aura des effets dans la durée, si le Japon souhaite tôt ou tard « rejoindre l’Asie », pour reprendre, en l’inversant, un slogan célèbre de l’ère Meiji.

Les deux parties ne sont-elles pas déjà allées trop loin pour empêcher que l'une ou l'autre perde la face ? Comment peut-on imaginer un règlement "acceptable" de la situation actuelle, avec quelles conséquences dans la région ?

La guerre est, malheureusement, toujours une possibilité, mais sa probabilité reste limitée compte-tenu des conséquences, pour les deux pays. Kim Jong-un sait mieux que quiconque qu’un conflit, même d’une rare violence, se solderait par la chute de son régime. Et les dirigeants américains ont suffisamment étudié la question nord-coréenne depuis la fin de la Guerre froide pour savoir qu’un conflit serait catastrophique, sans même tenir compte des possibles attaques contre des cibles américaines, selon la capacité balistique nord-coréenne, qu’il ne faut pas sous-estimer. Dès lors, en parallèle à la mise en avant d’une rhétorique guerrière, il faut penser la sortie de crise, et même l’administration Trump se penche sur cette question.

La réalité est cependant que la « guerre » entre les Etats-Unis et la Corée du Nord, qui se limite – et nous espérons qu’elle continuera en ce sens – à la rhétorique et à des stratégies que nous qualifierons de post-dissuasion, puisqu’elles n’ont pas encore trouvé de fondement théorique, a déjà eu lieu, et Washington l’a perdue. Que peuvent en effet gagner les Etats-Unis dans cette crise ? Rien en fait. En revanche, les pertes sont immenses, en termes d’image, mais aussi en termes de crédibilité et de leadership. D’abord parce que le caractère impétueux du président américain ne rassure pas la communauté internationale, et plombe l’image des Etats-Unis, ensuite et surtout parce que l’incapacité à régler cette crise, depuis plus de deux décennies, semble démontrer le déclin, relatif mais réel, que connait Washington. A cet égard, le fait de faire pression sur Pékin en espérant que la Chine débloque le nœud nord-coréen n’est que la démonstration que les Etats-Unis n’en sont plus capables par eux-mêmes. Il n’y a pas lieu de s’en réjouir, tant ce retrait américain précipite des situations chaotiques et imprévisibles, mais c’est désormais une réalité, et pas uniquement en Asie d’ailleurs.

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