Ce jésuitisme du pape François qui se retourne contre lui<!-- --> | Atlantico.fr
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Le pape François, photo AFP
Le pape François, photo AFP
©Vincenzo PINTO / POOL / AFP

Les limites du jésuitisme ?

Le pape François a signé un texte polémique au sein de l’Eglise, visant à permettre la bénédiction des couples homosexuels. Face à la controverse, Rome a depuis publié une révision de cette décision : il reviendra aux évêques de choisir, ou non, s’il faut l’appliquer.

Jean-Baptiste Noé

Jean-Baptiste Noé

Jean-Baptiste Noé, historien, spécialiste de l’histoire du christianisme. Il est rédacteur dans la revue de géopolitique Conflits. Dernier ouvrage paru Géopolitique du Vatican (PUF), où il analyse l'influence de la diplomatie pontificale et élabore une réflexion sur la notion de puissance.

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Atlantico : Sur X, l'écrivain Jean-Pierre Denis pousse un petit coup de gueule. Il écrit que "le parti de l'ordre sème le désordre. Chacun fait son petit magistère. Les évêques obéissent en disant non (...) Les verticalités papales tuent la synodalité selon François". Vous partagez ses incompréhensions ?

Jean-Baptiste Noé : Le plus surprenant est que le Vatican n’ait pas anticipé les problèmes qu’allait poser la réception du texte. Cela témoigne d’une coupure inquiétante entre Rome et le monde chrétien. Il était évident qu’en Afrique de telles bénédictions ne pourraient pas passer, notamment parce que dans de nombreux pays les pratiques homosexuelles sont pénalisées. Publier ce texte quelques jours avant Noël consistait à dégoupiller une grenade dans une période qui doit être un moment de paix et de recueillement, pas de débats et de déchirures. Le texte était mal rédigé, le tempo était mal choisi et la réception avait été négligée. Tous les ingrédients d’une crise étaient réunis.

Mais le plus grave c’est que le synode sur la synodalité, dont la première session s’est terminée à l’automne, avait explicitement exprimé son refus de la bénédiction de couples homosexuels. Et quelques semaines plus tard, le pape passe outre le refus du synode qu’il a convoqué, et composé de participants qu’il a lui-même choisi, pour imposer sa volonté.

C’est surtout cela qui a choqué, y compris dans les cercles favorables à François : le décalage constant entre le discours (la synodalité, le dialogue, l’écoute) et la réalité (un gouvernement autoritaire et centralisé). 

Un bon indicateur de cette centralisation du pouvoir est le nombre de motu proprio signé par un pape. Le motu proprio est un décret législatif qui émane de la volonté du pape, « de son propre mouvement », d’où le nom latin de motu proprio. C’est un moyen pour le pape de diriger l’Église de façon directe, sans avoir à passer par les structures du Vatican.

En 27 ans de pontificat, Jean-Paul II a publié 32 motu proprio. En huit ans, Benoît XVI en a signé 13. Depuis son élection en 2013, soit 10 ans, François en a publié 66. Un tel ratio, plus de 6 par an, c’est du jamais vu dans l’histoire de l’Église. C’est une centralisation et une personnalisation du pouvoir qui est unique. Cette inflation législative doit ensuite être traduite dans le code de droit canonique, ce qui pose de nombreux soucis aux juristes, car ces textes sont souvent mal ficelés et mal rédigés.

Comment est perçu ce manque de cohérence par les fidèles ?

Cela a jeté un trouble et a provoqué des divisions là où il n’y en avait pas. Cela génère à la fois de la défiance et de la distance. On l’a vu en France où les évêques sont restés muets sur le sujet, hormis les évêques de l’Ouest, tant ils ont compris que le terrain était glissant et ne pouvait apporter que des problèmes.

Beaucoup de fidèles sont perdus, tant ce pontificat a apporté beaucoup de confusions. Ce qui était clair est devenu flou, obscur, sans que l’on sache très bien dans quelle direction aller. Une chose est dite (comme au synode) puis l’inverse est affirmé quelques semaines plus tard, avant que le pape se rétracte et propose une exégèse de son propre texte qui est filandreuse et qui, en voulant clarifier, complique encore davantage les choses.

Cela aboutit à ce que finalement, ce qui se passe à Rome intéresse de moins en moins. On le voit notamment dans l’assistance aux audiences pontificales du mercredi. Sous Benoît XVI, la salle Paul VI (en hiver) et la place Saint-Pierre (aux beaux jours) étaient pleines de monde. Sous François, c’est très clairsemé. La télévision du Vatican est obligée de faire des plans très serrés pour camoufler le peu de succès de ces audiences.

François fait du "en même temps", comme Macron ?

Non parce qu’il sait où il veut aller, contrairement à Emmanuel Macron qui n’a pas de cap clair. François est un véritable homme de gouvernement, qui aime le pouvoir. Il sait s’entourer de personnes fidèles, en qui il a confiance et qui exécutent ses ordres avec diligence. François est un homme malin. Face aux résistances qui se lèvent contre ses réformes, il cultive volontairement le flou pour que chacun puisse y trouver de quoi le satisfaire, ce qui fait que ses propos peuvent toujours être interprétés dans un sens et son contraire. Il y a eu, tout au long de son pontificat, une véritable reprise en main de Rome, du jamais vu sous Jean-Paul II et Benoît XVI. Même la gestion quotidienne des paroisses romaines et la nomination des curées remontent au pape, qui tranche et décide. Ce mode de gouvernement vertical a été très apprécié au début du pontificat, surtout après les dernières années de Benoît XVI, qui lui n’était pas du tout un homme de pouvoir. Mais désormais, depuis quelques années, cela lasse. Pour me rendre plusieurs fois par an à Rome, j’ai pu constater, notamment en échangeant avec de nombreuses personnes, que la population est de plus en plus détachée de ce qui se passe au Vatican. La ferveur populaire autour de François a laissé la place à une grande indifférence.

Le jésuitisme a ses limites. Lesquelles selon vous ? 

C’est un peu par paresse intellectuelle que beaucoup d’observateurs renvoient sans cesse Bergoglio à son image de jésuite. C’est certes l’ordre où il a été formé et où il a exercé des responsabilités, mais avant d’être jésuite, Bergoglio est d’abord Argentin. Son style de gouvernement, ses méthodes, sa relation aux personnes sont marqués par cette « argentinité ». C’est un homme qui s’inscrit dans la tradition politique du péronisme, qui est le grand courant des idées politiques en Argentine. C’est un mélange de populisme et d’autoritarisme très plastique, qui est plus un style et une façon d’être qu’une pensée. François a été très marqué par la « théologie du peuple », qui est l’un des avatars de la théologie de la libération, mais avec une dimension beaucoup plus proche des mouvements indigénistes et des populations autochtones. D’où le fait qu’il ait fait venir des statues de la pachamama à Rome durant le synode sur l’Amazonie. Le choc culturel au Vatican entre une administration très romaine et un pape à la culture argentine commence à grincer. François a accéléré ses réformes depuis la mort de Benoît XVI il y a un an. Il sait que ses jours de pontificat sont comptés, ses forces déclinent et peut-être a-t-il voulu aller trop vite sur ce texte des bénédictions, sans attendre la réunion de la seconde partie du synode, à l’automne 2024.  

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