Ce dramatique incendie dans une usine sud-coréenne qui révèle à quel point nous sous-estimons les risques liés aux batteries lithium<!-- --> | Atlantico.fr
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Le personnel d'urgence se rassemble sur le site d'un incendie dans une usine de batteries au lithium appartenant au fabricant sud-coréen Aricell, à Hwaseong, le 24 juin 2024.
Le personnel d'urgence se rassemble sur le site d'un incendie dans une usine de batteries au lithium appartenant au fabricant sud-coréen Aricell, à Hwaseong, le 24 juin 2024.
©ANTHONY WALLACE / AFP

Importance stratégique

Lundi 24 juin au matin, un feu s'est déclaré dans l'usine de batteries au lithium Aricell à Hwaseong, à une cinquantaine de kilomètres de la capitale Séoul. Vingt-deux ouvriers ont été tués.

Jean-Pierre Corniou

Jean-Pierre Corniou

Jean-Pierre Corniou est directeur général adjoint du cabinet de conseil Sia Partners. Il est l'auteur de "Liberté, égalité, mobilié" aux éditions Marie B et "1,2 milliards d’automobiles, 7 milliards de terriens, la cohabitation est-elle possible ?" (2012).

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Atlantico : Quels sont les principaux facteurs de risque associés à la fabrication et au stockage des batteries au lithium, et dans quelle mesure ces risques ont-ils été sous-estimés jusqu'à présent ?

Jean-Pierre Corniou : Les batteries lithium-ion se sont imposées comme étant la seule solution industrielle viable à grande échelle pour le stockage de l’énergie électrique dans de multiples situations de la vie courante, comme les appareils électroniques destinés au son et l’image, les micro-ordinateurs, smartphones et tablettes, l’outillage électroportatif, la mobilité (trottinettes, vélo à assistance électrique) et pour le stockage de l’énergie électrique produite par des sources intermittentes. Il existe donc de nombreux modèles de batteries en fonction des usages, de la pile bouton aux piles pour véhicules électriques et donc des situations d’expositions aux risques bien diféfrentes. C’est bien évidemment le développement à grande échelle de la mobilité électrique, avec des dizaines de millions de véhicules électriques dont la mise en service est prévue d’ici la fin de la décennie, qui pose aujourd’hui question en matière de sécurité. Il s’agit en effet de batteries importantes - de 100 kg à 600 kg par véhicule -, dispersées dans la circulation et les stationnements et donc soumises aux aléas physiques et thermiques d’un usage courant par des non-professionnels. C’est dire qu’il y a aujourd’hui dans le monde des milliards de batteries lithium-ion en service. Les industries qui les produisent, qui les utilisent ou qui les exploitent, comme l’automobile ou l’aéronautique, ont dû développer au cours de la dernière décennie une compétence technique pour maîtriser les risques inhérents à l’usage du lithium. Il est bien entendu qu’un fait divers tragique comme celui de Corée jette un voile de suspicion sur l’ensemble de la filière, surtout en Europe où la perspective d’abandonner la filière thermique est encore controversée.

Le site de l’INRS – Institut national de recherche et de santé pour la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles -, qui fait autorité en matière de prévention des risques industriels, consacre naturellement depuis plusieurs années une série d’études sur la prévention des risques industriels liés à la manipulation des batteries au lithium dans leurs multiples applications comme stockage d’énergie électrique.

Les batteries au lithium exposent les utilisateurs, consommateurs comme industriels, à des risques inhérents à la technologie électro-chimique mis en œuvre.  Une batterie au lithium n’est pas, en conditions normales de fonctionnement, un facteur de risque. Toutefois, elles sont fragiles, sensibles aux chocs et aux conditions de chargement et peuvent dysfonctionner lorsqu’elles sont détériorées. Le risque majeur est l’emballement thermique de la batterie qui peut conduire à un incendie ou une explosion.  C’est apparemment ce qui s’est produit en Corée du Sud ou une explosion a entrainé la mort de 22 personnes dans un entrepôt d’une usine au sud de Séoul. Aricell, créée en 2020, est un petit producteur de batteries primaires au lithium, utilisées dans les capteurs et les outils de communication radio ; ce sont des batteries courantes non rechargeables. Elles n’ont pas les mêmes propriétés que les batteries ne sont utilisées dans l’industrie automobile. Pour comprendre les incidences de ce drame sur les conditions d’exploitation industrielle des batteries au lithium, il faut bien sûr attendre les résultats de l’enquête avant d’extrapoler à l’ensemble de la filière. 

Les batteries au lithium sont particulièrement sensibles à l'eau, ce qui peut aggraver les incendies. Quelles mesures de sécurité spécifiques devraient être mises en place pour minimiser ce risque dans les usines de production de batteries au lithium ?

Les incendies impliquant des batteries au lithium ne peuvent pas être éteints avec de l’eau et doivent être éteints par étouffement des flammes avec des techniques variables selon la taille de l’incendie, de la bâche ininflammable ou la dispersion de sable sec. Les services incendies ont été formés à ces techniques pour faire face à la multiplication des véhicules électriques. Des consignes particulières sont mises en place par les compagnies aériennes pour les appareils portables.

L'incident en Corée du Sud a montré que bien que les accidents graves aient été rares jusqu'à présent, les conséquences peuvent être catastrophiques. Comment les régulateurs et les industries peuvent-ils améliorer les normes de sécurité pour prévenir de tels événements à l'avenir ?

L’industrie des batteries est déjà hautement contrôlée. Il faut comprendre que c’est une industrie vaste qui couvre des milliers de situations d’usage différentes avec des produits sans comparaison possible. Une batterie automobile comportera plusieurs kilogrammes de lithium, une batteries primaires quelques grammes. Les processus industriels et les réglementations sont différents.

Un nouveau règlement européen est entré en vigueur le 18 août 2023. Il couvre l’ensemble du cycle de vie des batteries et tous les types de batteries. Un passeport permettant la traçabilité des batteries de plus forte puissance sera imposé à partir  du 18 février 2027.

Il est évident que la multiplication des suages, associés à de nouveaux risques, implique une vigilance accrue sous forme de normes. Il est certain que la normalisation n’a pas nécessairement un accueil favorable auprès des utilisateurs et industriels, mais on constate que dans le domaine de l’énergie mobile elle est nécessaire. Il s’agit d’un problème classique d’équilibre entre les bénéfices et les risques.

En quoi la conception et l'innovation technologique peuvent-elles jouer un rôle dans la réduction du risque d'explosion et d'incendie des batteries au lithium? Y a-t-il des développements prometteurs dans ce domaine ?

Les propriétés du lithium en font un minerai de prédilection pour la fabrication des batteries en raison de son fort pouvoir énergétique.  C’est exactement pour ces raisons que l’industrie a privilégié pendant des décennies l’utilisation du charbon en dépit des conditions difficiles et dangereuses d’extraction qui ont conduit à des drames dont la catastrophe de Courrières en 1906 qui a fait 1099 morts. Les études sur la dangerosité de l’exploitation du charbon ont permis de faire ensuite des progrès considérables. Même si la prévention est devenue, dans tous les secteurs industriels, une composante déterminante de leur développement, l’industrie des batteries au lithium-ion est encore une industrie récente, diversifiée, qui n’a pas achevé sa courbe d’évolution. Tout incident fait l’objet d’analyses pour renforcer la sécurité de production et d’usage. 

C’est l’utilisation dans les véhicules automobiles qui conduit cette industrie à développer l’innovation pour trouver les meilleurs combinatoires chimiques permettant une haute densité énergétique, indispensable pour optimiser les paramètres clefs exigés par les constructeurs automobiles : puissance délivrée, allégement, capacité à accepter un grand nombre de recharges, recyclabilité totale et ceci pour le coût le moins élevé possible. C’est pourquoi l’industrie des batteries pour la mobilité est à la pointe de l’innovation car les batteries automobiles sont des composantes techniques complexes, régulés par leur propre système électronique et logiciel, le BMS (Battery Management System). L’industrie recherche les meilleurs combinatoires chimiques pour éviter l’usage de matériaux dont les conditions d’exploitation sont controversées, comme le cobalt, ou qui risquent de faire défaut dans des conditions économiques acceptables. Aussi des solutions comme les batteries au sodium-ion (Na-ion) n’impliquent pas l’utilisation de lithium, le sodium, abondant, n’étant pas un matériau critique. Elles n’atteignent toutefois pas au stade actuel le même niveau de performance que les batteries au lithium. 

Il y a autour de la mobilité électrique de tels enjeux que la compétition entre les solutions n’est pas stabilisée et la recherche y est intense. La sécurité est bien entendu un facteur essentiel dans la recherche de la performance optimale.

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