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Casques bleus : des soldats pauvres payés par des pays riches
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Bonne volonté

Systématiquement critiqués pour les difficultés qu'ils ont à accomplir leurs missions, les Casques bleus sont pourtant le fruit d'une bonne volonté. Alain Le Roy, ancien responsable du maintien de la paix à l'ONU, explique le fonctionnement de cette institution qui souffre du soutien des armées les plus modernes.

Alain Le Roy

Alain Le Roy

Alain Le Roy a été secrétaire général adjoint des Nations unies, en charge des opérations de maintien de la paix, de juin 2008 à août 2011.

Il est à présent directeur de la mondialisation au ministère des Affaires étrangères.

 

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Atlantico : La France hésiterait à prendre le commandement de la Finul, au Liban. Dans la plupart des opérations de maintien de la paix, les Casques bleus sont issus de pays en développement. Pourquoi les pays développés sont-ils si réticents à déployer leurs hommes dans ce type de mandat ?

Alain Le Roy : Les pays les plus développés, principalement européens, fournissent une grande partie des effectifs de la Finul. C’est vrai qu’ils sont moins présents en Afrique. C’est historique. Les difficultés rencontrées lors des opérations de maintien de la paix dans les années 1990, en particulier en Bosnie-Herzégovine, sont restées dans les mémoires. Les troupes européennes avaient été très engagées et elles ont été marquées par un mandat particulièrement difficile.

Ces pays ont malgré tout maintenu une forte présence au Liban malgré une situation des plus complexes. Ces armées, parmi les plus développées, avancent un autre argument : elles sont très engagées en Afghanistan.

En quelques chiffres, qui sont les Casques bleus aujourd’hui ?

Le maintien de la paix fin 2011, ce sont 15 missions sur les cinq continents, d’Haïti au Timor. Les plus importantes concernent la République Démocratique du Congo, le Soudan, la Côte d’Ivoire, le Liberia et le Liban. 120 000 hommes sont impliqués dont 82 000 militaires, 15 000 policiers et 20 000 civils.

Le budget pour 2011-2012 est de 7,1 milliards de dollars. Il est financé par des contributions obligatoires réparties entre les Etats membres des Nations unies.

Les trois premiers contributeurs en hommes sont le Bangladesh, le Pakistan et l’Inde, le sous-continent indien. Viennent ensuite le Nigeria, l’Egypte, le Rwanda. En tout, une centaine de pays participent. Financièrement, les premiers sont les Etats-Unis (27%), le Japon (12,53%), le Royaume-Uni (8,16%),  l’Allemagne (8,02%) et la France (7,56%). Les pays européens financent environ 40% du budget.

Un déséquilibre qui n’a rien d’étonnant et qui dure depuis un grand nombre d’années. J’espère que ça ne durera pas. Nous cherchons à rapprocher ces deux groupes : ceux qui envoient des hommes et ceux qui financent. Nous espérons qu’avec le retrait d’Afghanistan, les pays concernés pourront redéployer une partie de leurs troupes vers des opérations de maintien de la paix.

Il est vrai que certains pays en voie de développement, mais ce n’est pas vrai pour tous, y voient aussi un intérêt financier.

Les Casques bleus sont parfois perçus comme incapables de remplir leurs missions. Cet outil est-il vraiment efficace ?

Nous sommes confrontés à des tâches extrêmement difficiles. En Côte d’Ivoire, de fin novembre 2010 à avril 2011, Laurent Gbagbo et ses hommes ont tenté de retourner une partie de la population contre les Casques bleus qui ont été régulièrement confrontés à des barrages. Parfois, nous faisions demi-tour pour éviter des incidents, mais nous avons souvent forcé les barrages. C’est l’appréciation de l’officier sur le terrain qui fait qu’une patrouille force ou non un obstacle. Peut-être qu’elle n’a pas été forte pendant quelques semaines, mais nous avons rapidement fait preuve de notre détermination.

Pour la République Démocratique du Congo, le pays est très instable. Les forces de sécurité n’ont pas toujours le contrôle. Nous n’avons que 18 000 hommes sur un territoire qui fait quatre fois la taille de la France.

Les hommes sont suffisamment formés. Nous souhaiterions surtout avoir plus de matériel. La première demande des hommes sur le terrain, ce sont les hélicoptères. Nous pouvons en louer à des compagnies privées, mais les systèmes d’assurance imposent des restrictions particulièrement pénalisantes. Les hélicoptères militaires sont une denrée très rare. Une bonne partie d’entre eux sont envoyés en Afghanistan. C’est un outil indispensable : lorsqu’un village est attaqué, nous avons besoin d’un hélicoptère militaire pour nous rendre sur place. L’absence d’hélicoptères nous pose parfois de gros problèmes.

La demande reste forte. Le Conseil de sécurité nous a demandé en août dernier de déployer une nouvelle opération des Casques bleus à Abyié, entre le nord et le sud Soudan. Nous savons qu’un jour, il faudra peut-être nous impliquer en Somalie. L’Union africaine aimerait que son opération soit une mission des Nations unies.

Les médias ne voient que les aspects critiques. Les chefs d’Etat des pays concernés vantent le travail des Casques bleus. Que ce soit au Timor, au Liberia ou en Côte d’Ivoire, chacun se félicite de la présence des Nations unies. Nous ne sommes là que parce que ces Etats nous le demandent, parce qu’ils le souhaitent. Si les Casques bleus étaient aussi inefficaces que le disent les médias, nous pourrions nous demander pourquoi les Etats nous réclament et pourquoi les Etats membres consentent financement et mandats. Ils jouent un rôle ingrat, sans toujours parvenir à protéger la totalité des civils. Il y a eu 84 cas de mauvais comportements l’année dernière pour des millions de personnes protégées.

Vous avez exprimé à plusieurs reprises votre souhait de voir des contingents européens mis à disposition des opérations de maintien de la paix. Pouvez-vous expliquer cette démarche ?

Je souhaitais développer un concept de "force au-delà de l’horizon". Nos 120 000 hommes ne sont pas spécialement bien équipés. Ils font du maintien de la paix. Ils ne peuvent pas remplir le même rôle que les forces que l’on peut trouver en Afghanistan par exemple. Pourtant, ils peuvent parfois être exposés à des coups durs. C’était le cas à Haïti ou en Côte d’Ivoire. Pendant ces moments-là, nous avons besoin d’un renfort. En 2003 au Congo, quand la situation était particulièrement difficile, l’opération européenne Artémis est venue aider les casques bleus avec un grand succès

Cette pratique se fait de manière ad-hoc. Les Britanniques ont apporté leur aide en Sierra Leone, pendant une période courte mais de manière très précieuse. Les Français l’ont fait de façon majeure en Côte d’Ivoire avec la force Licorne. Les Américains l’ont fait après le tremblement de terre en Haïti. Des groupements tactiques européens pourraient être tenus en alerte de manière plus permanente et utilisés lors de besoins exceptionnels en cas de coups durs.

Les pays européens sont sensibles à cette demande. Mais avant que ce dispositif soit prêt et opérationnel, il reste du chemin. Cette solution représente en effet un coût supplémentaire.

1028 $ sont remboursés aux Etats, par soldat et par mois. C’est insuffisant pour un soldat français mais énorme pour un soldat bangladais. N’est-ce pas incitatif uniquement pour les pays en développement ?

C’est pour cette raison que l’on trouve plus de pays en développement dans ces opérations. Pour les pays développés, c’est un coût supplémentaire alors que pour les autres, le remboursement est plus élevé que ne coûte réellement le soldat. Mais il n’est pas question au sein des Nations unies de faire des différences entre les soldats. Le remboursement reste donc le même, quel que soit les pays d’origine des hommes.

L’argent est versé au gouvernement qui doit le reverser à ses soldats. Une fois, nous avons appris qu’il y avait eu une transgression et nous avons immédiatement rappelé à l’ordre le gouvernement en question. Les soldats, quelle que soit leur origine, font bien leur travail et méritent de recevoir leur salaire.

Propos recueillis par Romain Mielcarek

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