"Capture" et mort de Matteo Messina Denaro : les belles histoires de Tante Giorgia (Meloni)<!-- --> | Atlantico.fr
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Giorgia Meloni a félicité les membres du Ros après l'arrestation de Matteo Messina Denaro.
Giorgia Meloni a félicité les membres du Ros après l'arrestation de Matteo Messina Denaro.
©Ludovic MARIN / AFP

Parrain clandestin

Arrêté le 16 janvier dernier, le chef mafieux Matteo Messina Denaro est mort à l'âge de 61 ans, atteint d'un cancer incurable.

Xavier Raufer

Xavier Raufer

Xavier Raufer est un criminologue français, directeur des études au Département de recherches sur les menaces criminelles contemporaines à l'Université Paris II, et auteur de nombreux ouvrages sur le sujet. Dernier en date:  La criminalité organisée dans le chaos mondial : mafias, triades, cartels, clans. Il est directeur d'études, pôle sécurité-défense-criminologie du Conservatoire National des Arts et Métiers. 

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D'abord, savoir de quoi on parle, car les médias mettent le mot à toutes les sauces, "mafia des sardines" incluse. Or le rare phénomène mafieux n'a rien à voir avec l'universel crime organisé. Selon la classique définition d'un juge italien, on a, en Sicile une "Société secrète dé­pour­vue de statuts et de listes d'appartenance, disci­plinée par des règles transmises orale­ment. Au sein de Cosa nostra, seule la parole d'honneur engage à vie". Tout est dit en vingt mots.

Retour à l'arrestation, le 16 janvier passé, de Matteo Messina Denaro, parrain de la famille et du "mandamento" [Sur ce mot, voir plus bas] de Castelvetrano (province de Trapani), loin du statut de chef absolu de la "coupole", comme le furent Salva­tore "Toto" Riina, puis Bernardo "Binnu" Provenzano. Lors des captures de ces parrains, le pouvoir ita­lien du moment récite un conte de fée selon lequel, après une enquête aussi longue que dé­li­cate, le mafieux est coincé dans une bergerie proche de Corleone ou devant une cli­nique de Pa­lerme. À chaque fois, l'intéressé décline aimablement son identité et suit sans broncher les po­liciers venus l'arrêter.

Réfléchissons : comment se peut-il que Riina ait vécu clandestin 23 ans sans encombre, près de chez lui (idem pour les autres), Provenzano, 43 ans et Messina Denaro, 30 ans ? Bien plutôt, c'est dormir dans son lit qu'il faudrait dire : Provenzano, tueur implacable de Cosa Nostra "dis­paraît" en mai 1963. Son épouse Saveria Palazzolo tient la blanchisserie de Corleone. De haut rang ma­fieux (Famille de Cinisi, près de Palerme) elle accouche de deux garçons, Angelo (1967) et Paolo (1972) - con­çus quand "Binnu" a disparu de longue date. Certes, mais, quel père ? Ré­ponse : à l'épi­centre mafieux de la si catholique Sicile, quel fou irait toucher à l'épouse d'un homme qui, alors, assassine tant et plus ?

Telle est la vie du Parrain clandestin en Sicile : il vivait 12, Corso Garibaldi, déménage au 14 et hop ! Évaporé pour vingt ans. Mais un jour, sa santé le trahit. (Provenzano, cancer de la pros­tate et Parkinson ; Messina Denaro, cancer du côlon). La reddition du capo relève alors de l'af­faire d'État, agrémentée de l'exquise combinazione à la Romaine. Prenons Bernardo Pro­ven­zano : chef suprême mafieux... tueur féroce... affaire délicate : il est arrêté le 11 avril 2006, dans l'intervalle précis d'une élection où le centre-gauche arrive le lendemain au pouvoir (donc innocent de l'arrestation) en ayant battu Silvio Berlusconi, (dégagé la veille de l'af­faire) : doigté proprement splendide.

Suite du conte de fée : un pauvre vieux, seul dans sa cahute ou à-demi mort. Or à Pa­lerme comme à Corleone, le maillage mafieux est tel - nous parlons d'aujourd'hui - que d'un claque­ment de doigt, un parrain de l'envergure de Provenzano ou de Messina Denaro mobilise une armée comme l'État italien rêverait d'en avoir une en Sicile, n'en n'a jamais eu - et n'en n'aura sans doute jamais.

Ce qui suit provient d'un rapport semestriel fait par la Direction des Investigations Antimafia (DIA), service officiel au monde le plus savant sur les mafias ; rapport accessible aisément [DIA, sep­tembre 2021 : implantation territoriale de Cosa Nostra en Sicile, avec cartes].

Depuis des décennies, Cosa Nostra possède un unique système de « préfectures » ou manda­menti, cadre territorial des familles lo­cales. Depuis la libération de l’île (1943) nulle de ces fa­milles ou préfectures n’a été dissoute par la répression, voire durablement réduite. La pre­mière « carte poli­tique » de Cosa Nostra par la DIA date de 1988 ; l’auteur l'a vue à l'époque. Depuis, toutes ces fa­milles et préfectures perdurent ; d'autres s’y sont surajoutées. Présen­tons-les comme elles sont à l'automne 2021 - hier, donc :

Épicentre mafieux - ouest de l’île, ville & province de Palerme, provinces de Trapani, Agri­gente et Caltanissetta : 270 familles et 30 « préfectures », de 6 000 à 7 000 mafieux et cadres.

PALERME-VILLE : 8 mandamenti, 33 familles : mandamento de San Lorenzo-Tommaso Na­tale (8 fam.), Resuttana (4 fam.), Porta Nuova (4 fam.), Pa­gliarelli (5 fam.), Della Noce (5 fam.), Passo di Rigano-Bocca di Falco (3 fam.), Villagrazia-Santa Maria di Gesù (2 fam.), Ciaculli (4 fam.).

PROVINCE DE PALERME : 7 mandamenti, 49 familles.

Province+ville de Palerme (1,25 million d’habitants), millimétrique maillage de 15 mandamenti et 82 familles.

PROVINCE DE TRAPANI - 4 mandamenti, 17 fam.

PROVINCE D'AGRIGENTE, 7 mandamenti, 42 fam.

PROVINCE DE CALTANISSETTA, 4 mandamenti, 20 fam.

Ailleurs dans l’île : coalitions de familles, sans mandamenti : province d’Enna, 5 familles ; prov. de Catane, 38 fam. ; ville de Catane, 15 fam. ; pro­v. de Syracuse, 23 fam. ; prov. de Raguse, 4 fam. ; prov. de Messine, 12 fam. ; ville de Messine, 12 fam.

En janvier passé, Messina Denaro "capturé", Giorgia Meloni vient à Palerme saluer les forces de l'ordre. La Première ministre italienne se réjouit alors d'une "Grande victoire pour l'État".

Peut-être cherchait-elle à s'en persuader elle même...

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