Cannibalisme : mais dans quelles conditions mange-t-on son voisin ? <!-- --> | Atlantico.fr
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Des traces avérées d'actes anthropophages ont été retrouvées dans la plus ancienne des colonies de pèlerins américains.
Des traces avérées d'actes anthropophages ont été retrouvées dans la plus ancienne des colonies de pèlerins américains.
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Régime Dukan

Tabou ultime de la société postmoderne, le cannibalisme nous fascine et nous terrifie. Pourtant, des traces avérées d'actes anthropophages ont été retrouvées dans la plus ancienne des colonies de pèlerins américains.

George Guille-Escuret

George Guille-Escuret

Chargé de recherche CNRS, George Guille-Escuret est l’auteur d’une série de quatre livres Sociologie comparée du cannibalisme et de Les mangeurs d’autres – Civilisation et cannibalisme.

Il mène des travaux de recherche comparative ethno-historique et méthodologique sur le cannibalisme guerrier dans le monde.

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Des preuves d'actes de cannibalisme ont été découvertes au sein des premières colonies américaines dont on sait qu'elles ont subi de très lourdes périodes de famines et des hivers rigoureux. Cette annonce a été accompagnée d'une importante réaction médiatique et d'une vive émotion, notamment américaine. Est-il aujourd'hui possible de dire que le cannibalisme est une constituante historique des civilisations humaines ? A-t-il existé à toutes les époques et dans toutes les régions du monde ? 

Georges Guille-Escuret : Le cannibalisme en tant que coutume culturellement assumée a existé à divers moments sur tous les continents. Souvent sporadique et caractéristique de crises historiques plus ou moins longues, sa pratique régulière s’installe rarement sur le long terme et il connote alors des conflits où l’ennemi est considéré comme un pareil.

Comment expliquer que les gens soient à ce point choqués - plusieurs siècles plus tard - par ce phénomène qui semble-t-il à tout de même permis à ces pèlerins de survivre et de créer un état pérenne ? 

Le refus phobique du cannibalisme, en revanche, s’étend en tâche d’huile à partir de deux aversions différentes que la civilisation occidentale confond dans le mot même du cannibalisme à partir du XVIe siècle, à la suite de la découverte de l’Amérique (cannibale dérive de canib, ou carib, c’est-à-dire caraïbe, et le mot nous est apporté par Christophe Colomb lui-même). Si la première aversion est « civilisée » et politique, en provenance de la Grèce antique : « se manger les uns les autres » est une pratique incompatible avec la vie de la cité", la seconde aversion est mystique, produite par les monothéismes : l’homme étant à l’image de Dieu, sa chair contient une dimension sacrée.

Tout le monde se souvient de cette équipe de rugby qui, coincée dans les Andes suite à un crash aérien, avait dû avoir recours au cannibalisme. Quelles sont les conditions nécessaires pour avoir s'abandonner au cannibalisme ? Dans quelle mesure un observateur extérieur peut-il le tolérer ? 

Le cannibalisme de famine est ressenti différemment quand l’homme mangé n’a pas été tué, mais il demeure pour "la seconde aversion" objet de scandale et réclame un pardon (cf. la visite chez le pape des rescapés chrétiens de la catastrophe aérienne andine). L’observateur extérieur ne tolère jamais le cannibalisme dès lors qu’il se dit civilisé, c’est-à-dire dès lors qu’il hiérarchise les sociétés humaines. Pour lui, civilisation et cannibalisme sont à jamais antinomiques, et tout acte d’anthropophagie, quelles que soient les circonstances, reflète une bestialité et un état pré-humain ou pré-culturel. Le cannibalisme est systématiquement renvoyé à un âge antédiluvien, avant l’histoire.

Dans une société postmoderne où les barrières idéologiques et morales traditionnelles tombent les unes après les autres, diriez-vous que le cannibalisme est le plus grand et le dernier des tabous ?

Le cannibalisme demeure un tabou irréductible en fonction de son antinomie idéologique avec la civilisation. Bien que le fait de manger des congénères morts ne soit nullement aberrant a priori sur un plan matériel (comme le remarquait Freud), la phobie persiste en fin de compte pour une raison active et inattendue, au-delà de toutes les remises en question : le cannibalisme est effectivement incompatible avec la civilisation en ce sens que les sociétés conçoivent la différence de l’autre sur un axe hiérarchique, alors que toutes les sociétés qui admettent le cannibalisme voient en l’autre un alter ego. Le captif qui n’est pas mangé y est adopté et ses enfants font partie de la tribu. Chez les civilisés, l’esclave transmet son statut et sa servitude à sa descendance : on ne mange pas ceux que l’on domine.

Pensez-vous qu'il puisse disparaître un jour totalement ?

Le cannibalisme disparaîtra en tant que coutume partout où l’on revendiquera une identité civilisée et une rupture avec un état sauvage initial. Il restera au titre de l’anomalie, dans des crises matérielles extrêmes (famine) et dans des crises psychopathologiques, à travers une perturbation du sens civilisé : le cannibalisme de folie, dont nous avons eu plusieurs exemples ces derniers mois, s’inscrit dans la logique « civilisée » sans commune mesure avec une quelconque culture exotique.

Propos recueillis par Jean-Baptiste Bonaventure

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