Cannes confidentiel : le septième art et le paradoxe de la séduction<!-- --> | Atlantico.fr
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Le producteur Harvey Weinstein le 24 mai 2013 arrive pour la projection du film "The Immigrant" présenté en Compétition à la 66e édition du Festival de Cannes.
Le producteur Harvey Weinstein le 24 mai 2013 arrive pour la projection du film "The Immigrant" présenté en Compétition à la 66e édition du Festival de Cannes.
©Anne-Christine POUJOULAT / AFP

Bonnes feuilles

Xavier Monnier publie « Cannes Confidentiel, Sexe, drogues et cinéma » aux éditions Robert Laffont. Tapis rouge, montée des marches, Palme d'Or : du festival de Cannes, le monde connaît la légende qui, chaque année, fait converger vers cette petite station balnéaire de la Côte d'Azur le gotha du 7e art. C'est la réalité derrière les paillettes que Xavier Monnier explore dans ce livre. Extrait 2/2.

Xavier Monnier

Xavier Monnier

Ancien rédacteur en chef du site d'investigation en ligne Bakchich, Xavier Monnier est désormais journaliste indépendant. Il travaille principalement pour l'émission « Vox Pop » (Arte), collabore à diverses publications (GQL'Équipe MagazineCapital). Il est l'auteur de deux livres sur sa ville de naissance, Marseille, ma ville (Les Arènes) et Les Nouveaux Parrains de Marseille (Fayard), et d'un documentaire, Marseille, le jeu du clientélisme. Il a publié Cannes confidentiel, Sexe, drogues et cinéma aux éditions Robert Laffont. 

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Le septième art puise sa force dans l’émotion qu’il provoque et transmet à son public. Ce résultat est le fruit d’une collaboration entre des dizaines de personnes qui permettent l’existence du long-métrage. Réalisateurs, acteurs, producteurs, distributeurs, techniciens de plateau, chefs opérateurs, décorateurs émettent à un moment l’envie de travailler ensemble. «Le cinéma fonctionne sur le désir et la séduction. Et ça commence par une actrice ou un acteur qui veut séduire un metteur en scène, le convaincre de lui donner un rôle. C’est difficile de séparer ce qui est de l’ordre du personnel et du professionnel », estime la journaliste Isabelle Regnier.

Pour enclencher le processus de création, des interprètes s’oublient, se dépassent, s’offrant corps et âme à un directeur façonnant son œuvre, faisant naître une zone grise, où s’entremêlent vie privée et vie publique, aussi nécessaire que dangereuse.

«Le métier est basé sur un même désir professionnel, complète la productrice Sandrine Brauer. C’est un jeu de rencontre et de proposition d’une vision du monde. Du commerce au sens latin, une promesse de créer quelque chose. Ce qui établit une relation et une projection. Et là s’engouffrent pour certains des limites floues, sociétales, qu’il faut remettre en cause. Cette séduction doit avant tout rester professionnelle.»

Venue au métier d’agent après un bref parcours d’actrice, Élisabeth Tanner se souvient de ses premiers pas. «Le quatorzième assistant de la Société française de production me regardait d’un air lubrique, ouvrait une porte au fond des studios et me disait : “Tu veux bosser? ” Ça semblait naturel pour lui.» Et le mâle comportement plonge loin ses racines dans l’histoire et la société. «Quand j’ai annoncé à mon père que je voulais être actrice, j’ai eu l’impression qu’il me voyait sur le trottoir et sans le sou. Il y a toujours cette rumeur qui traîne, qu’une actrice doit «coucher pour réussir.» Et de citer les coquettes du 9e arrondissement parisien, ces actrices de théâtre entretenues par de riches mécènes à la Belle Époque. «Vous aviez même des tunnels qui partaient des théâtres pour rejoindre les hôtels particuliers.» Ce temps lointain demeure encore bien présent, inconsciemment ou pas. «Être actrice, obtenir un rôle c’est aussi séduire un réalisateur mais c’est une séduction professionnelle», martèle la fondatrice de Time Art.

Le changement de mentalité s’opère lentement. La féminisation de la profession commence à faire évoluer les comportements. «Dans un milieu culturel, qui se veut éclairé, on aurait pu espérer une évolution plus rapide que dans le reste de la société. En tant que femme, j’ai connu les situations où on nous renvoyait à notre condition, une façon de nous dire “laisse les grands parler entre eux”. Et nous sommes nombreuses de ma génération à avoir dû gérer ce genre de cas.» Le temps n’était pas alors à la revendication. « J’ai été élevée par des femmes qui m’ont enseigné que les hommes étaient des prédateurs. Et, en tant que proie, j’ai appris à me défendre et à me poser des questions, de façon intime et personnelle. Puis dans mon métier.» Et désormais de façon collective, à travers «50/50 », auquel elle a apporté son soutien. «Le collectif pose le problème de façon politique, et met en avant ce combat à l’image de ce qu’a fait Adèle [Haenel].»

Lancé après l’affaire Weinstein, le collectif «50/50 » a connu un deuxième épisode décisif quand l’un de ses membres, l’actrice Adèle Haenel, a accusé dans Mediapart Christophe Ruggia, le réalisateur qui l’a révélée, d’attouchements sexuels quand elle était adolescente.

Présente dans trois films à Cannes en 2019, l’héroïne du Portrait de la jeune fille en feu profite d’une longue interview sur le site d’information en ligne pour dépasser son seul cas. Son propos, de son propre aveu, relève de l’« engagement politique. «Même s’il est difficile de lutter contre le rapport de force imprimé depuis la jeune adolescence et contre le rapport de domination hommes-femmes, le rapport de force social, lui, s’est inversé. Je suis puissante aujourd’hui socialement alors que lui [Nda : Christophe Ruggia] n’a fait que s’amoindrir.» Et cette nouvelle position l’oblige à agir pour en finir «avec l’impunité des bourreaux» et au nom de toutes les autres victimes. «Dans ma situation actuelle – mon confort matériel, la certitude du travail, mon statut social –, je ne peux pas accepter le silence. Et s’il faut que cela me colle à la peau toute ma vie, si ma carrière au cinéma doit s’arrêter après cela, tant pis.» Elle dénonce un mal viscéral et insidieux à affronter. «Les monstres, ça n’existe pas. C’est notre société. C’est nous, nos amis, nos pères. Il faut regarder ça. On n’est pas là pour les éliminer, mais pour les faire changer.»

Un discours fondateur pour son agent Élisabeth Tanner. «Depuis, j’ai reçu énormément d’actrices qui se demandaient comment faire, parce qu’elles n’avaient pas de preuves, pas de traces de ce qu’elles avaient vécu. Ce qu’a dit Adèle était très fort, construit, intelligent. »

La jeune femme n’a pas oublié de pointer les errances de son propre milieu. «Ces actes découlent du postulat que la normalité siège dans la domination de l’homme sur la femme et que le processus créatif permet tout prolongement de ce principe de domination, jusqu’à l’abus. »

A lire aussi : Le Festival de Cannes, un véritable championnat du monde des films soumis à la dure loi de la critique

Extrait du livre de Xavier Monnier, « Cannes Confidentiel, Sexe, drogues et cinéma », publié aux éditions Robert Laffont.

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