Cancérogène… ou pas : l’incroyable manipulation scientifique des opposants au glyphosate<!-- --> | Atlantico.fr
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Le soleil se lève alors qu'un agriculteur français pulvérise l'herbicide glyphosate "Roundup 720" fabriqué par le géant agrochimique Monsanto.
Le soleil se lève alors qu'un agriculteur français pulvérise l'herbicide glyphosate "Roundup 720" fabriqué par le géant agrochimique Monsanto.
©JEAN-FRANCOIS MONIER / AFP

Agriculture

Mise en cause point avoir voté contre un amendement visant à interdire le glyphosate, la nouvelle ministre de la transition écologique a tenté d’en défendre l’usage sur France Inter en invoquant la préservation de la compétitivité des agriculteurs français. Un argument bien faible quand il en existe de beaucoup plus décisifs d’un point de vue scientifique sur la (non) dangerosité du produit.

Philippe  Stoop

Philippe Stoop

Philippe Stoop est membre correspondant de l’Académie d’Agriculture de France, où il intervient sur l’évaluation des effets sanitaires et environnementaux de l’agriculture. 

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Atlantico : Mise en cause pour avoir voté contre un amendement visant à interdire le glyphosate, la nouvelle ministre de la transition écologique a tenté d’en défendre l’usage sur France Inter, en invoquant la préservation de la compétitivité des agriculteurs français. Cet argument n’est-il  pas bien faible au vu du nombre de points de vue scientifiques sur la (non) dangerosité du produit ? Quels sont-ils ?  Que nous dit véritablement la science sur le glyphosate ? 

Philippe Stoop : En soi, cela devrait être une bonne chose que la Ministre assume ce vote raisonnable, et conforme à l’état des connaissances scientifiques sur le glyphosate. Mais il est vrai que son argumentation est faible, ambigüe et très maladroite, car elle ne se prononce pas sur le fond de cet amendement (la toxicité du glyphosate justifie-t-elle son interdiction ?). Elle laisse entendre que ce vote n’était motivé que par des raisons économiques (préserver la compétitivité des agriculteurs français). Cela alimente les inquiétudes des citoyens qui croient que l’on sacrifie la santé et l’environnement pour complaire au « lobby de l’agriculture productiviste ». Cela contribue  aussi au discours selon lequel c’est la réglementation européenne qui nous empêcherait d’interdire des produits supposés dangereux en France. 

Or la vérité est toute autre : selon les règles d’évaluation toxicologique reconnues dans le monde entier, il n’y a aucune raison sanitaire ou environnementale d’interdire ce produit. Son classement comme cancérogène par le CIRC (Centre International de Recherche sur le Cancer) n’a aucune valeur réglementaire. Le CIRC lui-même reconnait qu’il s’agit d’un classement basé sur le danger (c’est-à-dire qu’il ne signifie pas qu’il y a un risque  réel pour les consommateurs, compte tenu des doses auxquelles ils sont exposés). De plus, il s’appuie sur des preuves qui ne sont considérées comme valables par aucune agence sanitaire :

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  • Des études épidémiologiques qui observeraient un lien entre exposition au glyphosate chez les agriculteurs, et excès de lymphome non hodgkinien (une forme de cancer des cellules sanguines). Mais ce lien ne démontre rien, car on sait depuis longtemps que ce cancer est surreprésenté chez certains agriculteurs (qu’ils utilisent ou non des pesticides). Quand on fait une comparaison entre les agriculteurs (qui utilisent très souvent du glyphosate), et des non agriculteurs (qui en utilisent beaucoup moins), il est donc normal que l’on trouve que les utilisateurs de glyphosate ont plus souvent le LNH, mais c’est une simple corrélation qui ne démontre aucune causalité. D’ailleurs, dans toutes ces études qui avaient étudié d’autres pesticides en plus du glyphosate, on trouvait aussi un lien statistique avec tous les produits testés, et l’« effet » statistique observé pour le glyphosate disparaissait, si on le redressait en fonction de l’exposition aux autres produits.

  • Des études chez le rat, réalisées avec une souche de rats connue pour développer  spontanément des cancers, alimentés avec des doses massives de glyphosate (des rats abreuvés toute leur vie avec pour seule boisson du glyphosate dilué dans l’eau à des doses voisines de celles de son utilisation au champ). Or de telles doses dépassent largement la limite au-dessus de laquelle on peut obtenir des résultats fiables, telle que définies par les lignes directrices de l’OCDE. C’est une évidence qui avait été rappelée par les agences sanitaires suite au rapport du CIRC, et confirmée par le rapport de l’OPECST (Office Parlementaire pour l’Evaluation des Choix Scientifiques et Technologiques) que Mme de Montchalin a dû lire. 

Amélie de Montchalin "assume" avoir voté contre un amendement qui visait à interdire ce pesticide, soutenir un tel produit peut-il valoir des inimitiés ? 

Il est évident que ce vote l’expose à la vindicte de tous les opposants au glyphosate, et on sait qu’ils sont nombreux. Et dans sa famille politique, c’est un vote difficile à concilier avec la position de Président Macron, qui s’est engagé personnellement en faveur de l’interdiction du glyphosate. C’est un sujet très clivant au sein même de la majorité présidentielle, et dont l’arbitrage sera suivi attentivement par le monde agricole. Alors que le nouvel intitulé du Ministère de l’Agriculture (devenu Ministère de l’Agriculture et de la Souveraineté Alimentaire) paraissait plutôt rassurant, il est regrettable qu’une Ministre du même gouvernement s’abstienne de reconnaître clairement que l’interdiction du glyphosate est contraire à l’état des connaissances scientifiques, et injustifiable dans le cadre de la réglementation européenne, sauf à créer une juridiction d’exception pour ce produit.

Y a-t-il une manipulation scientifique de la part des anti-glyphosate ? Des conflits d'intérêts ont-ils été en jeu dans les rapports à charge contre le glyphosate ?

Au niveau du CIRC, il y a eu au moins une acceptation de l’instrumentalisation d’un classement pour le moins hasardeux. Même si son choix de prononcer un classement contraire aux normes d’évaluation reconnues partout était sincère, il aurait au moins dû annoncer clairement qu’il avait retenu des preuves habituellement considérées comme non conformes. Et s’il croyait réellement avoir détecté un danger négligé par les normes d’évaluation classiques, il devait demander un changement de la réglementation… mais il s’est bien gardé de le faire !

Il y a également eu débat autour des conflits d’intérêts éventuels de Christopher Portier, un toxicologue associé au groupe de travail du CIRC sur le glyphosate. En effet, il a collaboré comme expert avec un cabinet d’avocats qui a instruit des plaintes d’utilisateurs du glyphosate contre Monsanto. Celui-ci a reconnu les faits, mais affirme que cette collaboration n’a débuté qu’après la publication, ce qui invaliderait la notion de conflit d’intérêt. A notre connaissance, cette histoire n’a pas eu de suite juridique, nous laisserons chacun juge de l’interprétation qu’il faut en donner…

Quel est aujourd'hui l'intérêt du glyphosate pour l'agriculture ? et ses inconvénients ?

Le glyphosate est un produit quasiment sans équivalent, en particulier en France, où tous les produits voisins ont été interdits. C’est le seul herbicide à systémie descendante (c’est-à-dire qu’après son absorption par les feuilles il descend jusqu’aux racines), ce qui lui permet de contrôler la plupart des plantes, même les espèces vivaces comme le liseron ou le chiendent, cela avec un impact environnemental très faible. Il est pratiquement irremplaçable en agriculture de conservation des sols, une forme d’agriculture particulièrement favorable à la biodiversité et à la séquestration de carbone dans les sols. Dans ce cadre, des doses réduites de glyphosate permettent d’éviter un désherbage mécanique, qui perturbe la faune des sols,  et nécessite des passages de tracteur, et donc les émissions de CO2 associées. Des arguments auxquels le Ministère de la Transition Ecologique devrait être sensible…

En contrepartie, à cause de la fréquence de son usage, le glyphosate est un des produits dont on retrouve le plus souvent des traces dans les eaux de surface, mais à des concentrations sans aucun risque pour la santé ni les écosystèmes. Un bien faible désagrément en regard des services rendus, et qui relève plus d’un artefact règlementaire que d’une nuisance réelle  !

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