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Cameron et Merkel en pleine bataille sur la Commission... La France aurait-elle par hasard quelque chose à en dire ?
©Reuters

En attendant

La défaite du PSE aux élections européennes, dont la défaite du Parti Socialiste français est responsable, n'a pas donné beaucoup de place à la parole de François Hollande. Ce dernier reste donc dans sa position de soutien d'Angela Merkel. En attendant que le choix à la présidence de la Commission échoue, François Hollande est donc dans une position... attentiste.

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud est professeur de sciences politiques à l’Institut d’études politiques de Grenoble depuis 1999. Il est spécialiste à la fois de la vie politique italienne, et de la vie politique européenne, en particulier sous l’angle des partis.

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Atlantico : Le Premier ministre britannique, David Cameron a insisté de nouveau ce vendredi 13 juin quant à son opposition de voir Jean-Claude Juncker arriver à la présidence de la Commission européenne dans une tribune adressée à plusieurs titres européens. Pour lui, ce serait un "non-sens" qui affecterait "la légitimité démocratique de l'UE", alors même que la Chancelière allemande s'est exprimée en faveur du luxembourgeois. Alors que David Cameron et Angela Merkel s'écharpent quant à l'identité du futur président de la commission, comment interpréter le silence de François Hollande à ce sujet ?

Christophe Bouillaud : Il faut d’abord remarquer que l’argumentation de D. Cameron dans sa tribune est intéressante : il souligne que les électeurs européens n’ont pas même entendu le nom de Juncker pendant la campagne. Son nom selon lui ne figurait pas sur les bulletins de vote (ce qui est exact), et même en Allemagne seulement 15% des électeurs, toujours selon lui, en auraient entendu parler. Autrement dit, D. Cameron reprend un principe classique de science politique : pour que voter pour quelqu’un ait un sens en termes de légitimité à gouverner que le vote populaire confère à cette personne particulière, encore faut-il que les électeurs aient été clairement conscients qu’ils votaient pour cette personne-là. De fait, D. Cameron met en cause tout le dispositif qui a abouti à l’idée que Juncker devait être le Président de la Commission, mais il ne soutient cependant pas  l’idée selon laquelle l’élection directe du Président de la Commission par les électeurs européens soit pour toujours impossible. Elle l’est seulement maintenant. C’est plutôt bien vu comme argument en fait.

En ce qui concerne le silence de F. Hollande, il correspond à son statut de double perdant dans l’histoire : d’une part, le candidat des socialistes européens était Martin Schulz, or le Parti socialiste européen est arrivé nettement second derrière le Parti populaire européen, donc, en principe, F. Hollande doit jouer le jeu proposé par son parti, le PS, et, son parti européen d’appartenance, le PSE, il faut accepter le verdict des urnes (largement dû à la défaite du PS français par ailleurs), il n’y a donc rien à revendiquer à ce stade de la discussion ; d’autre part, avec la possible nomination de Juncker, un ancien Premier ministre luxembourgeois qui n’est pas un inconnu en France,  qui constitue un repoussoir absolu pour une partie des électeurs informés, surtout au PS et à la gauche de la gauche, mais aussi pour une partie de la droite (les dirigeants de l’UMP n’ont d’ailleurs pas beaucoup insisté sur le fait qu’il était le candidat de l’UMP) et bien sûr pour l’extrême droite,  l’image de l’Union européenne risque encore de souffrir en France. L’image de Juncker, c’est  à ce stade un peu le contraire de l’image de dynamisme d’un Jacques Delors en 1984, que vient faire ce politicien issu d’un petit pays vivant largement de ses services financiers pour rester dans l’euphémisme à la tête de la Commission européenne, par ailleurs un politicien " vieilli, usé, fatigué "  comme ont pu le voir les rares téléspectateurs français qui ont regardé les débats paneuropéens entre candidats à la Présidence de  la Commission?      

Le président de la République s'était exprimé avant les élections européennes en faveur du respect du choix du parlement en la matière, ce qui reviendrait à soutenir le candidat du PPE qui n'est autre que Juncker. François Hollande a-t-il changé d'avis ? Quelle est finalement la position du président français quant au futur président de la commission ?

A l’heure actuelle, il n’y a pas eu à ma connaissance de déclarations publiques de la part de F. Hollande contredisant la ligne affichée avant le 25 mai. Il lui faut de plus soutenir la ligne choisie par A. Merkel de s’en tenir finalement au choix de Juncker. Si ce dernier n’arrivait pas à être nommé par le Conseil européen, et  à gagner ensuite une majorité au Parlement, le jeu se rouvrira. Il est probable que F. Hollande, qui pourra alors revenir dans le jeu, essayera alors de soutenir la candidature d’un homme ou d’une femme pouvant mieux incarner la nouvelle ambition de croissance du continent.

Le parti eurosceptique allemand Alternative für Deutschland (AfD) a été accepté au sein du groupe des Conservateurs et Réformistes européens (ECR) au Parlement européen. De quoi énerver un peu plus la chancelière allemande contre le premier ministre britannique.  François Hollande ne pourrait-il pas en profiter pour jouer les médiateurs et tirer ainsi son épingle du jeu ?

En l’occurrence, cette acceptation de l’AfD dans le groupe ECR, ainsi que d’autres petits partis, fait plutôt effectivement le jeu du PSE en général. En effet, si les conservateurs britanniques arrivent à consolider autour d’eux un fort groupe de la droite libérale, conservatrice et  anti-fédéraliste au sein du Parlement européen, cela tendra à affaiblir le PPE, puisque certains des partis membres de ce dernier sont déjà sur une ligne proche de celui de l’ECR et risquent de subir l’attraction de ce dernier. Du coup, pour bâtir une majorité au Parlement européen, le PPE aura donc de plus en plus besoin du PSE et  sans doute aussi de l’ALDE.  Au niveau des chefs d’Etat et de gouvernement, si D. Cameron s’oriente vraiment vers un coup d’éclat contre le choix de Juncker soutenu par A. Merkel, F. Hollande ne pourra, au moins dans un premier temps, qu’apparaître comme un soutien de cette dernière, ceci dans l’hypothèse où  elle reste sur sa ligne intransigeante jusqu’au bout.  Si Juncker échoue ensuite à avoir une majorité au Parlement, F. Hollande pourra ensuite agir au mieux de ses intérêts en faveur d’un candidat plus présentable à l’opinion publique française. 

En début de semaine, un mini-sommet regroupant les chefs d'Etat allemand, britannique, néerlandais et suédois s'est tenu à quelques kilomètres de Stockholm. L'absence de François Hollande témoigne-t-elle d'une perte d'influence de la France ?

En l’occurrence, ce sommet était celui des pays se présentant eux-mêmes comme les plus compétitifs de l’UE, en tout cas celui des pays les plus importants au sein du bloc nordique conservateur et libéral. Que la France n’y soit pas convié est logique dans la mesure où elle n’apparaît pas en ce moment comme le pays le plus libéral et le plus compétitif de l’Union. Faut-il  pour autant parler de perte d’influence ? S’il s’agissait d’un sommet sur l’avenir militaire de l’Union européenne, ou sur la relation Europe/Afrique ou sur la crise au Moyen-Orient, sans doute la France aurait-elle été conviée ou aurait-elle été la puissance invitante. La France apparaît comme affaiblie sur le plan économique, alors que c’est peut-être grâce à ses consommateurs et à son Etat social  présenté comme particulièrement dispendieux que l’Union européenne a réussi à amortir les chocs de demande depuis 2011. De toute façon, il sera difficile de continuer l’expérience européenne sans tenir compte à un moment ou à un autre des exigences françaises. Les 25% du FN aux élections européennes ou les évènements en Irak sont sans doute aussi un argument de poids pour se faire entendre…

Les tractations autour de la nomination du président de la commission enterrent-elles définitivement la promesse d'une Europe plus fédérale au risque d'accentuer le désamour des Européens vis-à-vis de l'UE ?

Tout dépend de leur issue. Si finalement Juncker n’est pas nommé par le Conseil Président de la Commission européenne ou si le Parlement refuse d’approuver sa nomination, il est certain que la promesse d’une Europe plus fédérale aura des difficultés à se présenter comme celle d’une Europe plus démocratique. L’Union européenne n’arrêtera pas de fonctionner et sans doute d’avancer, mais elle apparaîtra aux citoyens, certes seulement aux personnes informées, comme exclusivement gouvernée par les dirigeants des Etats nationaux. Cela renforcera la thèse d’un " fédéralisme de l’exécutif " telle que le philosophe Jürgen Habermas l’a mise en lumière depuis quelques années. L’UE devient de plus en plus une fédération " par le haut ", mais échoue à devenir une démocratie " par le bas " au sens classique du terme.

 Pour ce qui est du désamour des Européens vis-à-vis de l’UE, au-delà de cette question démocratique, il tient toutefois avant tout à l’absence de résultats économiques probants d’une part dans les pays en difficulté et à la crainte des pays allant plutôt bien d’autre part d’avoir à payer pour les premiers. C’est toute une nouvelle économie politique de l’Union qu’il faut inventer. C’est sûr que Juncker ne parait guère le mieux placé pour cela, mais qui sait ? Il y a bien des cardinaux qui devenus Pape changent de politique. 

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