Bruxelles, nid d'espions : mais puisqu'on vous dit que les services de renseignement européens n'existent pas, pourquoi vouloir les contrôler... ?<!-- --> | Atlantico.fr
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"Bruxelles est une des plus grandes capitales d'espionnage du monde", a déclaré Alain Winants, chef du service belge de renseignements.
"Bruxelles est une des plus grandes capitales d'espionnage du monde", a déclaré Alain Winants, chef du service belge de renseignements.
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Top secret

Officiellement, l'Union européenne ne possède pas son propre service de renseignements. C'est donc très officieusement que se développent de nombreuses unités aux comptes opaques, échappant au contrôle du Parlement.

Wolf  Richter

Wolf Richter

Wolf Richter a dirigé pendant une décennie un grand concessionnaire Ford et ses filiales, expérience qui lui a inspiré son roman Testosterone Pit, une fiction humoristique sur le monde des commerciaux et de leurs managers. Après 20 ans d'expérience dans la finance à des postes de direction, il a tout quitté pour faire le tour du monde. Il tient le blog Testosterone Pit.

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Bruxelles, centre de gravité de l'Union européenne et siège du quartier général de l'Otan, ne fourmille pas seulement de lobbyistes, de diplomates, de personnel militaire, de bureaucrates, de politiciens, d'Américains, et d'autres étranges personnages venus des quatre coins du monde. Il y a aussi des espions.

"Bruxelles est une des plus grandes capitales d'espionnage du monde", a déclaré Alain Winants, chef du service belge de renseignements, la Sûreté de l’État. Il a estimé qu'il devait y avoir "plusieurs centaines" d'espions , menant leurs affaires à chaque instant, courant après un large éventail de sujets, des questions commerciales aux politiques de sécurité.

Mais officiellement, l'Union européenne elle-même ne possède pas son propre service de renseignements. Ses renseignements dépendent des services nationaux des États membres qui leurs fournissent des "renseignements finis" exploitables. Officiellement. En réalité, l'Union a construit un appareil de renseignement comprenant pour l'instant six services distincts, certains étant tous neufs, et déjà peuplés de plus de 1300 spécialistes. Mais parce qu'officiellement ils de mènent pas directement d'opérations secrètes – bien qu'ils se déplacent à l'étranger, y compris en Libye pendant le printemps arabe ! - ils nient simplement appartenir à des services de renseignement.

Ainsi, quatre d'entre eux se sont faufilés pour échapper à la surveillance démocratique et le contrôle du Parlement européen. Même aux États-Unis, la "United States Intelligence Community" doit rendre des comptes au Congrès. Pas dans l'UE. Comme tout le reste dans la bureaucratie européenne, ces services – le plus récent datant de 2011 – grossissent sans arrêt, assumant plus de fonctions, de responsabilités, et de pouvoir, avec de vastes bases de données en expansion permanente au bout de leurs doigts, le tout relié à un vaste réseau d'autres services de renseignements. Et ce n'est pas le début.

Certains membres du Parlement s'impatientent et veulent les freiner. Martin Ehrenhauser, un parlementaire indépendant autrichien, membre de la Sous-commission sécurité et défense, est un des lanceurs d'alerte ; sur son blog, il détaille plusieurs problèmes.

D'après ses découvertes, l'Union a mis au point ses propres programmes d’espionnage, souvent impulsés par des besoins spécifiques, de façon "ad-hoc", "sans stratégie", et sans "concept cohérent" quant à sa structure, ses méthodes, des son personnel, écrit-il. Cette "communauté de renseignement de l'UE" a fait ses premiers pas en 1993 avec la création d'Europol, le seul service de renseignement établi par traité, et donc le seul possédant une base légitime. Entre les prolifiques années 2000 et 2004, quatre unités additionnelles ont été concoctées par le Conseil européen non élu. Et une autre en 2011.

Le Parlement, émasculé par nature dans le système hyper-démocratique de l'UE, n'a jamais eu l'opportunité d’être impliqué. La logique ? Puisque ces entités reçoivent seulement des renseignements finis de la part des services nationaux, le contrôle démocratique revient aux Parlements nationaux, et pas au Parlement européen. Hélas, ces services de renseignement rassemblent leurs informations à un niveau encore plus élevé. Ainsi, écrit Ehrenhauser, l'idée selon laquelle l'UE reçoit 100% de ses informations de ses services nationaux est une "illusion".

Les services secrets européens fonctionnent de façon semblable à leurs équivalents nationaux : ils collectent de l'information, souvent à l'étranger, l'analyse, et la transmettent aux décideurs. Ces produits peuvent être classés UE TOP SECRET. Le simple fait qu'ils n'utilisent pas d’opérations secrètes directement pour obtenir l'information, écrit Ehrenhauser, "ne suffit pas pour nier l'existence des services de renseignement et la nécessite de contrôles démocratiques par le Parlement européen."

Sur les six services, seuls Europol (renseignement et application de la loi) et Frontex (frontières extérieures) sous soumis à un contrôle du Parlement. Les quatre autres – le Centre d'analyse des renseignements (IntCen), le Centre satellitaire (SatCen), et le Directoire des renseignements (IntDir), et la Situation Room (surveillance de crise) – sont au-delà du contrôle démocratique.

Les quatre ont été regroupés dans le Service européen pour l'action extérieure (SEAE), fondé en 2011. Certains d'entre eux ne publient même pas leur budget. Bien qu'ils soient encore petits, étant donné leur jeune âge, ils sont destinés à grossir tout comme Europol a grossi en 20 ans d'existence. Ils sont déjà empêtrés dans "des structures de prise de décision de plus en plus complexes aux responsabilités diffuses", explique Ehrenhauser, et "ils prennent des décisions cruciales bien loin de l’électeur."

Il demande donc un contrôle par le Parlement Européen "à tous les niveaux". Ce n'est pas comme s'ils n'avaient pas essayé. En tout cas, un petit peu. Si le Parlement -unique parmi les démocraties – ne peut initié de législation, il a tout de même un certain contrôle sur les questions de porte-monnaie. Il y a donc eu une initiative à la commission budgétaire pour forcer le SEAE à rendre publics les budgets des quatre unités. C'eut été un gage minimal de transparence. Mais cette initiative a été rejetée lors du vote de la commission.

Quel genre de Parlement décide d'abandonner ses responsabilités ? Quel genre de législateur vote pour la poursuite de l'ignorance et de l'impuissance face à ce qui sera un jour un vaste appareil de renseignement aux comptes opaques, aux limites mal définies, et la mission de servir son maitre, le Conseil européen ? Des monstres ont été créés sur cette base. Une nouvelle victoire pour les Eurocrates non élus et leurs armées de fonctionnaires, qui avancent en boitant, s’acharnant à mettre en œuvre leur vision d'un méga-état le moins encombré possible par l'encombrant vernis de la démocratie.

Pendant ce temps, la faim se répand dans ses foyers traditionnels, au Sud de l'Europe. En Grèce, les rapports font état de toujours plus d'enfants obligés de quémander de la nourriture à leurs camarades de classe, tandis qu'en Espagne des citadins se sont accoutumés au spectacle de personnes fouillant dans les poubelles pour manger un morceau. Mais il y a une raison. Voir... "Affamer le monde pour le pouvoir et le profit : le modèle d'agribusiness global."

Article précédemment publié sur le blog Testosterone Pit

Traduit de l'anglais par Julie Mangematin

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