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Brexit : un accord qui cristallise les mésententes et devrait peser sur les prochaines élections européennes
©EMMANUEL DUNAND / AFP

Round 1

Au Royaume-Uni, l'accord trouvé entre le gouvernement de Theresa May et l'Union européenne rassure les remainers et soft-Brexiters. Mais la grogne est toujours là. Et pourrait faire de cette bataille remportée une victoire à la Pyrrhus.

Michael Bret

Michael Bret

Michaël Bret est économiste, président de Partitus. Il a travaillé ces dernières années pour le Collège de France, l'Institute for Fiscal Studies de Londres, BNP Paribas à Hongkong, l'OCDE et AXA Investment Managers. Il enseigne à Sciences Po et à l’Inalco.

Son compte Twitter : https://twitter.com/m_bret

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Renaud Thillaye

Renaud Thillaye

Renaud Thillaye est consultant en affaires européennes et analyste politique, expert associé à la Fondation Jean Jaures et à Policy Network.

 

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Atlantico : Ce dimanche 25 novembre, les 28 membres européens se réunissaient à Bruxelles en vue de finaliser l'accord de divorce entre Union européenne et Royaume Uni. Comment évaluer le résultat de cette dernière journée d'étape ?

Renaud Thillaye : La signature était en quelque sorte une formalité puisqu’il était clair que les chefs d’Etat et de gouvernement ne réuniraient que sur la base d’un accord finalisé ». Les dernières tractations ont en réalité eu lieu la semaine dernière, et portaient essentiellement sur la Déclaration politique qui servira de cadre à la relation future entre l’UE et le Royaume-Uni (à distinguer de l’Accord de retrait). Le résultat a montré que les 27 avaient clairement la main, par contraste avec Theresa May qui voulait absolument finaliser cet accord pour éviter de se retrouver dans une impasse.

Le sujet de la pêche est emblématique à cet égard. Les pro-Brexit demandaient à cor et à cri la sortie du marché commun de la pêche, notamment la fin de l’accès réciproque aux eaux territoriales. Plusieurs pays emmenés par la France ont imposé que cet accès fasse l’objet d’un accord dans le cadre de la nouvelle relation. La logique est imparable : si le Royaume-Uni veut accéder au marché unique, c’est tout ou rien. Il ne peut pas choisir les secteurs qui l’arrangent, et laisser les autres de côté.

Gibraltar a également fait l’objet d’un habile chantage de la part des Espagnols. En s’assurant que l’association du rocher britannique à l’accord futur fasse l’objet d’une négociation séparée, l’Espagne a pris date pour en renégocier le statut. Le Royaume-Uni n’a bien sur pas dit son dernier mot et n’entend pas céder à l’avenir, mais cela augure de complications futures, comme sur la frontière irlandaise. 

En somme, Theresa May avait à cœur de montrer qu’après une semaine de difficiles négociations, elle a su finaliser l’accord. Pour l’aider à vendre cet accord à son opinion publique, les 27 se sont montrés très ferme. Il y a une part importante de mise en scène dans cette séquence finale.  

Michael Bret : Ce dimanche est probablement le point où se sont enfin cristallisées les incompatibilités profondes qui entourent le Brexit. Cette dernière journée de Theresa May devant ses homologues avant de revenir devant le Parlement britannique est en cela un tournant. Un document, négocié entre gouvernement du Royaume Uni et Union des 27, pose les grands principes d'une future relation. Nous partions d'un gouffre insurmontable séparant les positions représentées d'un côté par Boris Johnson, alors secrétaire d'État des Affaires étrangères, proclamant qu'il obtiendrait "le beurre et l'argent du beurre" (avoir les avantages de l'Union sans les inconvénients, en particulier contribuer à son budget et respecter la liberté de circulation des personnes ou "have one's cake and eat it") et de l'autre l'idée que le choix pour le Royaume Uni see écumait à choisir une relation à la Norvégienne ou à la Canadienne : rien en très les deux, car un troisième type d'arrangement ne pourrait se chercher qu'en sacrifiant au passage les principes guidant l'Union.

Il est enfin possible de voir qu'un point d'équilibre a pu être trouvé au milieu de cet océan d'incompatibilité, et d'observer où il se situe. Les difficultés ont dû être résolues par compromis, et c'est à mettre au crédit de Theresa May. Mais les compromis ont mis à chaque fois en lumière que différents conceptions britanniques du Brexit existent et qu'elles sont incompatibles entre elles. Il faut à chaque fois choisir qui froisser.

Désormais, Theresa May va devoir faire face au vote du Parlement. Comment évaluer les chances de ce texte devant Westminster, avec quelles conséquences pour l'accord en question ? 

Michael Bret : Finalement, chacune des forces politiques qui soutiennent le gouvernement de Theresa May est insatisfaite. Le problème est que sa majorité est si courte qu'elle ne peut se permettre aucune défection. Toutes les lignes rouges ont été franchies : celle des Unionistes d'Irlande du Nord, des plus libéraux des Tories, des plus anti-européens (menés par Jacob Rees-Mogg). Les travaillistes, même pro-Brexit, sont également mécontents et peuvent s'abriter derrière un test d'acceptabilité qu'ils ont mis en place pour décider s'ils pouvaient soutenir un accord proposé par May. Ce test est en fait une farce, qu'aucun traité de pourrait jamais satisfaire, destiné surtout à masquer la frilosité du parti travailliste à élaborer une position forte sur ce dossier épineux. Corbyn cherche à provoquer de nouvelles élections, les autres figures travaillistes cherchent plutôt à provoquer un nouveau référendum. Theresa May espère tirer son épingle des dissensions qui traversent chaque organe politique, mais ses chances sont bien minces. Son argument le plus massue est "moi ou le chaos" : cet accord est le seul disponible, il ne peut plus être renégocié car l'UE des 27 ne l'accepte plus (des lignes rouges ont également été franchies du côté des gouvernements des Membres), et ne pas accepter cet accord emmène le Royaume Uni vers une sorte sans accord, la pire des solutions. Il n'est pas sûr que le Parlement, fier de se proclamer "mère de toutes les chambres parlementaires", prenne bien d'être mis devant un non-choix, le pistolet sur la tempe.

Renaud Thillaye : L’accord obtenu sera difficile à faire adopter par le Parlement, tout le monde en convient. Les députés n’ayant pas annoncé la couleur de leur vote, il est impossible d’en prédire le résultat, même si Theresa May semble partir avec un handicap important.

Il faut 320 députés pour réunir une majorité. On sait que la majorité des députés conservateurs, environ 200, voteront pour, dans une logique de fidélité au chef, par peur de l’inconnu et parce que beaucoup sont des eurosceptiques modérés. Qu’importe les modalités, c’est avant tout le Brexit qui leur importe.

De l’autre côté, les nationalistes écossais, les libéraux-démocrates, la très grande partie des travaillistes, les unionistes nord-irlandais (DUP) et les conservateurs en faveur d’un hard Brexit (rassemblés autour de Boris Johnson, Jacob Rees-Mogg, David Davies) voteront contre. Cela fait beaucoup de monde, à peu près 300 députés.

Deux catégories de députés peuvent faire pencher la balance : les conservateurs pro-européens, qui pourraient finalement se rallier à May, et les travaillistes pro-Brexit, qui pourraient aller jusqu’au bout de leur logique en votant contre May. On y verra plus clair dans quelques jours.

Si l’accord est rejeté plusieurs scénarios sont possibles : nouveau vote après de nouvelles discussions avec le DUP et au sein des conservateurs (scénario le plus probable), tentative de réouverture des négociations de Theresa May (qui sera probablement rejetée par les Européens), référendum dans lequel l’alternative sera entre l’accord et le « no deal ». Si l’accord est rejeté une seconde fois, May démissionnera sans doute. Le Royaume-Uni se verra sans doute dans l’obligation de demander de repousser la date du Brexit de quelques semaines, voire quelques mois.

Au regard de la situation actuelle, comment anticiper la suite du processus de négociation entre le Royaume Uni et l'Union européenne, notamment sur la "relation future" ? 

Michael Bret : Les grands principes ont été posés. Lors des négociations sur la période transitoire et sur les principes de la future relation, ce sont surtout les points bloquant qui ont été révélés, et il n'est plus possible de les balayer d'un revers de main comme des points techniques, d'intendance, à régler entre experts. D'abord, les quatre libertés de circulation (personnes, biens, capital, services) sont bien indissociables. Il serait illusoire ou dangereux de séparer les offres de biens et de services, comme le plan de Chequers de Theresa May le suggérait, ou de détacher les services financiers et les attacher à la libre circulation des capitaux, comme le voudrait la City pour garder sa place de première place financière européenne. Ensuite, la question de la frontière nord-irlandaise est centrale, non seulement pour la période transitoire mais pour la suite également. Elle coupe encore en deux des communautés qui n'ont pas pansé toutes leurs blessures et le danger est réel que les tensions remontent violemment si la frontière se matérialisait à nouveau. Enfin, commercer librement est effectivement décider de règles compatibles, normes et standards. Les modalités pratiques ne sont pas triviales, et surtout l'adoption des normes futures est un sujet politiquement sensible. C’est un sujet technique mais où s’exprime paradoxalement une vraie question de souveraineté. Entre les deux autres géants économiques, américain et chinois, qui tout deux établissement des normes commerciales et industrielles afin d’aider leurs champions industriels et d’asseoir leur pouvoir diplomatique et technologique, l’établissement de normes européennes basées sur la coopération de démocraties avancées est une arme commerciale et d’influence qu’il ne faut surtout pas sous-estimer.

Les autres grands sujets de coopération sont également les grands absents de la lumière des projecteurs autour du Brexit : coopération scientifique, militaire, policière, diplomatique, financière sont les grands absents du débat mais ils reviendront en force à n’en pas douter dans les négociations. La campagne des européennes sera-t-elle l’occasion de les remettre au centre de la scène médiatique ? Espérons-le.

Renaud Tillaye : Les négociations prendront du temps, et même si les contours de l’accord sont définis par la Déclaration politique, la période de transition de 20 mois ne sera sans doute pas suffisante. On parle après tout de l’un des accords de libre-échange et des partenariats en matière de sécurité les plus ambitieux de l’Union européenne. C’est pourquoi la possibilité d’une extension d’ « un ou deux ans » est prévue par le traité de retrait. Il est donc à prévoir que le Royaume-Uni reste environ trois ans dans le marché unique, continue de contribuer au budget européen et d’accepter la libre circulation des personnes.

Ensuite, tout le monde sait que le problème de la frontière nord-irlandaise ressortira à un moment ou à un autre. Pour sortir de l’Union douanière, il faudra soit que le Royaume-Uni accepter que l’Irlande du Nord reste dans le Marché unique, soit que les solutions technologiques envisagées dans le cadre de l’accord permettre l’absence de contrôle à la frontière nord-irlandaise. Les 27 ne croient pas à cette dernière possibilité, le choix britannique entre l’Union douanière et l’unité du Royaume-Uni n’est donc que repoussé. Comme sur Gibraltar, cela augure de tensions nouvelles.

Cette situation de négociation permanente, avec l’incertitude qui va avec, créera son lot de remous politiques. Mais la probabilité est que le processus sera mené à bien. Une fois dehors, les Britanniques auront à cœur de montrer qu’ils ont fait le bon choix. Ce n’est que si l’économie britannique décline à terme, et que l’influence politique de Londres se trouve amoindrie, qu’un changement de regard pourrait avoir lieu, d’autant que les jeunes générations sont aujourd’hui clairement pro-européennes. Mais il faudra attendre 10 ou 20 ans. D’ici là, qui sait si l’Union européenne telle que nous la connaissons aujourd’hui existera toujours ?  

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