Boualem Sansal : « Pour les islamistes, Paris et Londres sont le plus grand jackpot au monde »<!-- --> | Atlantico.fr
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"Paris et Londres sont les foyers islamiques les plus importants du monde, bien plus que 80% des capitales arabes et musulmanes. L’avenir de l’islam se joue là", prévient Boualem Sansal.
"Paris et Londres sont les foyers islamiques les plus importants du monde, bien plus que 80% des capitales arabes et musulmanes. L’avenir de l’islam se joue là", prévient Boualem Sansal.
©FRANCOIS GUILLOT / AFP

Infiltration de l'islamisme

Boualem Sansal revient pour Atlantico sur les événements en France et dans le monde qui ont suivi les attentats du Hamas en Israël le 7 octobre dernier.

Boualem Sansal

Boualem Sansal

Boualem Sansal est un écrivain et essayiste algérien. Il est notamment l'auteur de 2084 : la fin du monde, Le Train d'Erlingen ou la Métamorphose de Dieu et Abraham ou La Cinquième alliance. Très critique du pouvoir algérien, il est censuré dans son pays.

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Atlantico : Un certain nombre de figures politiques de confession musulmane ou de culture arabo-musulmane ont préféré ne pas dénoncer l’antisémitisme depuis le 7 octobre et l’attaque du Hamas sur Israël. Comment l’expliquer ? Peut-on parler de faute politique ?

Boualem Sansal : Il n’y a pas d’électrons libres dans la communauté musulmane, encore moins à ce niveau de représentation. Ces personnalités sont toutes d’une manière ou d’une autre liées à des organisations islamiques nationales et/ou étrangères, ou des Etats, Leur silence signifie qu’elles n’ont pas reçu l’autorisation de s’exprimer et les éléments de langage afférents ou qu’on leur a demandé de ne pas intervenir à chaud dans l’arène. Le mini drame entre le recteur de la Grande Mosquée de Paris et un de ses imams, qui contestait la véracité du nombre d’actes antisémites depuis le 7 octobre, qui a ridiculisé la Grande Mosquée de Paris et au-delà sa tutelle l’Algérie, est sans doute pour quelque chose dans la réserve observée. Il faut dire qu’il est difficile de se positionner et d’intervenir dans le débat public tant la situation est explosive. On observe que le gouvernement français, à commencer par Macron lui-même, s’exprime de manière très précautionneuse, en disant tout et son contraire pour plaire à tous et calmer le jeu. Le conseil « Dans le doute abstiens-toi », a beaucoup d’adeptes en ce moment. Je trouve cela bête car ils peuvent se voir appliquer l’autre formule « Qui ne dit rien consent ». Le mieux est donc de parler quitte à dire qu’on ne sait que penser tant la situation est complexe. Appeler à la prudence est un classique en politique pour être présent et ne rien dire.

Qui sont ces personnalités politiques musulmanes ou de culture musulmane liées à des Etats étrangers ? Comment et pourquoi ces liens ?

La quasi totalité des imams de France sont en lien étroit et permanent avec leurs pays d’origine, Maghreb, Sahel, Égypte, Turquie. Ils en reçoivent des instructions, des éléments de langage et des fonds qui passent par des canaux pas toujours très clairs. Les fidèles eux-mêmes qui sont de ces pays tiennent à avoir des imams venant de leurs pays pour la proximité culturelle et linguistique, car supposés, et c’est vrai, mieux formés que les imams ‘français’ formés sur le tas et très influencés par les islamistes, eux liés à l’internationale islamiste, côté Frères musulmans, côté Iran, côté des organisations subversives, souvent des partis interdits dans les pays d’origine mais qui se sont reconstitués ailleurs sous d’autres noms. C’est le cas par exemple du parti islamiste algérien, le FIS, dissous et combattu en Algérie mais reconstitué à Genève, Paris et Londres sous le nom « Mouvement Rachad ». Ceci à titre de simple exemple. Ces choses pullulent en Europe.

Les pays musulmans qui ont une diaspora importante en France, comme l’Algérie et le Maroc, se sont tout naturellement dotés de structures diverses et variées pour encadrer leurs diasporas, l’intéresser à l’évolution de leur pays d’origine, surveiller leurs opposants, etc. La religion en particulier est suivie de manière très attentive pour éviter la contamination du dogme en vigueur au Maghreb, et les infiltrations subversives.

Rien à dire sur le fait que le roi du Maroc se dote d’un cabinet pour suivre ces affaires très compliquées et qu’il fasse appel à des personnalités possédant une expertise. Ce qui gêne ici c’est la présence dans ce cabinet d’une ancienne ministre de la France et non des moindres, la ministre de l’éducation nationale, Najat Vallaud Belkacem. Qui a-t-elle servi quand elle était rue de Grenelle ? Quel but visait sa politique d’arabisation dès le CP qu’elle a défendue bec et ongle, alors qu’au Maroc comme en Algérie on rejette officiellement et la France et la langue française ? « Pouah ! » c’est tout ce qu’on peut dire. 

Quid des autorités du culte ? A quel jeu jouent-elles, selon vous ?

Les agents du culte sont des fonctionnaires avec des fils à la patte. Ils ont une tutelle ou des correspondants attitrés qui leur disent quoi dire, quoi faire, quand et où. C’est là qu’il faut regarder, mais ces ombres ne sont jamais visibles. Nous savons que le recteur de la GMP est aux ordres d’Alger qui lui donne la marche à suivre et les éléments de langage mais qui représente cette tutelle, l’ambassadeur d’Algérie à Paris, un honorable correspondant des Services, les AE, le président ? Qui instruit l’intrigant imam de Bordeaux, les Frères musulmans dont il est/était ou ne sait plus, l’ambassadeur, un conseiller du roi, qui d’autre ? 

L’islam est partout dans le monde et se veut universel, il est international par définition. Paris et Londres sont les foyers islamiques les plus importants du monde, bien plus que 80% des capitales arabes et musulmanes. L’avenir de l’islam se joue là. Imaginez qu’il sombre totalement dans l’islamisme et le djihad ou qu’il se laïcise et se mette à se réformer et s’ouvrir aux juifs, aux homosexuels et reconnaisse la liberté de conscience et l’égalité homme-femme, ce qui peut se produire un jour, les musulmans sont aussi des humains, donc faillibles. Dans les deux cas et partout, c’est le branle-bas de combat.

Jean-Luc Mélenchon cultive-t-il le vote musulman ? Peut-on parler d’une tentative de “hold-up” du leader de la France Insoumise sur l’électorat musulman ?

Si Mélenchon ne faisait que cultiver le vote musulman, il n’y aurait rien à redire. Le tropisme arabo-musulman de la France date au moins de Napoléon. Avec son « et en même temps » le candidat Macron avait jeté son filet électoral sur le centre, la gauche, la droite et toute la galaxie de la diversité. Il n’a pas de majorité, il est rejeté de tous, mais cela ne l’empêche pas de gouverner. C’est malin, il ne doit rien à personne, il n’est l’otage de personne. 

Mélenchon déteste la France, il méprise tout le monde et n’a d’yeux que pour lui-même et de rêve que celui d’exploser la France pour, espère-t-il, apparaître comme le recours. Quelque part il est très gaullien, sans l’envergure de l’ombre du Général. Il vit dans le passé, dans le rêve et la forfanterie. Il faut le lui dire, le régime de la France restera ce que la 5e république a voulu qu’il soit. Il n’y aura pas de 6erépublique, et s’il y en une elle sera ou islamique, ce qui signera la mort de la France, ou semi islamique ce qu’elle est déjà un peu, qui n’inquiète guère en haut lieu, l’essentiel est que Colombey-les-deux-Eglises reste Colombey-les-deux-Eglises, à tout le moins, Colombey-la-dernière-Eglise.

Le vote musulman reste à étudier. Il est récent et pas encore ordonné pour y voir des tendances, car les musulmans participent peu à la vie politique française. Ils suivent plus volontiers voire exclusivement les échos de leurs pays d’origine.

Il faut aussi voir que LFI est plurielle, assez fortement multi-ethnique et que Mélenchon doit veiller à son équilibre interne et ne pas s’appuyer sur sa seule composante musulmane. Le pater familias se doit à tous ses enfants, sinon c’est la guerre.

Lors de l’élection présidentielle de 2022, Jean-Luc Mélenchon a pu notamment compter sur le vote musulman. A quel point a-t-il réussi à convaincre les musulmans de France ? Faut-il lire, dans l’adhésion que l’ancien candidat continue à récolter, une certaine forme de radicalisation communautaire à l'œuvre dans l’Hexagone ?

Je crois que le vote des musulmans s’est partagé entre Macron et Mélenchon, Macon parce que séduits par sa fougue juvénile, Mélenchon pour le spectacle de rue et le panache. Les barbons n’ont aucune chance avec les musulmans de France, jeunes à 90% car les vieux rentrent au pays à la retraite.

Rien n’interdit de penser qu’une partie de cet électorat vote demain Marine Lepen ou Zemmour, elle s’inquiète de la montée de l’islamisme et de l’émigration illégale qu’elle voit dans les quartiers s’adonner aux pires trafics, elle aspire à l’ordre et à la discrétion, car elle craint d’être touchée par le rejet de l’islam et des musulmans par une grande partie de l’opinion française, phénomène amplifié par la multiplication des attentats islamistes et par le nombre croissant de Français de souche qui se convertissent à l’islam et deviennent des militants actifs souvent bien plus intolérants que les islamistes.

Cela dit les islamistes et les musulmans voient bien le jeu de Mélenchon, ils s’en détourneront dès lors qu’ils se seront affirmés comme force politique ou sociale au plan local qui est leur véritable cible, et accessoirement au plan national où ils ne trouvent pas de figures charismatiques.

A quel point Jean-Luc Mélenchon surfe-t-il sur la crispation actuelle ?

Mélenchon fait feu de tout bois et ne craint pas de se brûler. Il est kamikaze sur les bords. Il capitalise sur cette crispation qui lui offre l’occasion d’investir les médias et de lancer ses appels à la révolution et de déployer son art oratoire et ses ruses de marchands de légumes en matière de racolage électoral. 

Pourquoi, selon vous, Londres et Paris sont-elles l'avenir du monde musulman ? Quel avenir possible ? Quels espoirs, quels dangers ?

Parce que le Royaume-Uni et la France sont les deux pays occidentaux qui comptent les plus importantes communautés musulmanes et que les islamistes y sont les plus nombreux, les mieux organisés et qu’ils disposent dans ces démocraties libérales de moyens d’action importants, qu’ils n’ont pas ailleurs, dans les pays arabes, à Moscou, à Pékin ou  Washington. Vous voyez l’intérêt pour les islamistes ? Le défi est là, s’ils arrivent à les mobiliser c’est le jackpot, le rapport de forces changera et la guerre civile serra inéluctable, ce que craignait Gérard Collomb. Si au contraire la France et le Royaume-Uni arrivent à les affaiblir, à les éradiquer, ce serait un atout formidable pour faire reculer l’islamisme dans le reste du monde. Dans le premier cas, l’islam et les musulmans en pâtiront dramatiquement, dans le second l’islam libéré de l’emprise de l’islamisme pourrait, s’il se réforme et se modernise, être cet islam de paix et de tolérance que tous les démocrates appellent de leurs vœux. Voilà pourquoi je vous dis que l’avenir de l’islam et du monde musulman, se joue à Paris et à Londres, et cela au cours de cette génération.

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