Bombarder l’Etat islamique en Syrie ne suffira pas, il faudra aussi le faire reculer sur un autre territoire où il est solidement implanté : les réseaux sociaux<!-- --> | Atlantico.fr
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L’Etat islamique gangrène les réseaux sociaux.
L’Etat islamique gangrène les réseaux sociaux.
©Reuters

Daech vainqueur sur Internet ?

Contrairement à son aîné Al-Qaïda, L'EI a très bien compris l'intérêt des réseaux sociaux pour rallier une partie de la jeunesse, notamment occidentale. Il se pourrait même que l'Etat islamique soit d'ores et déjà en passe de gagner le conflit sur ce terrain.

Christian Harbulot

Christian Harbulot

Christian Harbulot est directeur de l’Ecole de Guerre Economique et directeur associé du cabinet Spin Partners. Son dernier ouvrage :Les fabricants d’intox, la guerre mondialisée des propagandes, est paru en mars 2016 chez Lemieux éditeur.

Il est l'auteur de "Sabordages : comment la puissance française se détruit" (Editions François Bourrin, 2014)

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Atlantico : Est-il possible de considérer que l'Etat Islamique a gagné la guerre des réseaux sociaux ? Quelles sont ses forces en ce domaine ? En quoi les capacités d'innovation de l'Etat islamique, en ce domaine, ont permis cette situation ? Comment l'expliquer ?

Christian Harbulot : Contrairement aux démocraties qui le combattent, l'Etat islamique n'a à rendre de compte à personne. Il n'est pas enfermé dans un cadre constitutionnel contraignant, n'a pas à craindre des retombées médiatiques contreproductives dans son propre camp puisqu'il contrôle l'information, et n'est enfermé dans aucun carcan juridique contraignant dans la mesure où il fonctionne comme l'embryon d'un Etat totalitaire. Ce dernier se permet toutes les dérives notamment  celle de banaliser par le biais de sa propagande les crimes contre l'humanité commis contre des populations civiles sous sa coupe. Sur ce terrain de la folie criminelle, il va plus loin que les nazis qui ont cherché jusqu'au dernier moment leur politique d'extermination commis sur le front de l'Est et dans les camps de concentration. 

L'Etat islamique se croit indestructible en filmant la décapitation ou l'exécution par balles de femmes et d'enfants. Ce type de délire peut séduire un public précis sur les réseaux sociaux. En revanche, son effet est dévastateur dans la plupart des pays du monde. Cette idéologie du faible devenu fort, "légitimée" sous la bannière de l'islam ne trompe pas grand monde. Les innovations "esthétiques" de la propagande mise en ligne par l'Etat Islamique peuvent séduire des esprits faibles dans un premier temps. Il y eut aussi une esthétique nazie innovante ou copiant déjà celle d'Hollywood dans les films valorisant les grands moments du Troisième Reich. Au début de la seconde guerre mondiale, la propagande de guerre mise en valeur dans les colonnes du magazine Signal impressionna par le sentiment de puissance qui se dégageait de ses messages. Les défaites militaires subies à partir de 1942 par la Wehrmacht firent passer très vite au second plan cette force de l'information manipulée. Il en va de même pour l'Etat Islamique. 

Depuis que cette mouvance politico-terroriste subit des défaites importantes en Syrie et en Irak, la portée de sa propagande a perdu de sa superbe. Les actions spectaculaires de terrorisme de masse menées par l'Etat Islamique en Europe font penser aux tentatives nazies de monter le degré de terreur avec les "armes nouvelles" mises en œuvre durant la période d'agonie du Troisième Reich.  Les V1 puis les V2 ont déjà utilisées à cette époque comme des actes terroristes de masse puisqu'il était très difficile à l'armée allemande de cibler des objectifs précis. Ils ne modifièrent pas l'issue du conflit. L'Etat Islamique est en situation de repli. Quelque soient les opérations de fuite en avant qu'il cherchera à initier pour masquer ses défaites sur le  terrain  militaire, sa propagande ne pourra masquer bien longtemps cette réalité.

Le magazine américain Wired estime qu'avec son magazine numérique, Dabiq, et sa forte présence sur les réseaux sociaux, L'EI se comporte autant comme un conglomérat médiatique que comme une force de combat. Comment expliquer que les puissances ennemies, européennes et américaines, soient en retrait dans un domaine, qui, pourtant, devrait lui être favorable ? 

La constatation de Wired est somme toute assez banale. Comme j'ai essayé de le démontrer dans mon dernier ouvrage Fabricants d'intox, l'Etat Islamique et plus particulièrement les anciens officiers de Saddam qui en constituent la colonne vertébrale opérationnelle, ont construit un modèle de propagande adapté à leur approche de la situation locale. Pour conquérir un espace territorial, ils ont utilisé les moyens les plus classiques (infiltration des villes cibles, noyautage des mosquées, alliance tissée avec des tributs sunnites en révolte contre le gouvernement à majorité chiite de Bagdad. Pour stabiliser leur pouvoir dans les territoires, ils ont appliqué une propagande axée sur l'intimidation et la terreur. Pour attirer de nouvelles forces, ils ont construit un espace informationnel autonome adapté aux différents contextes culturels des pays où ils cherchaient des recrues. Cette capacité de diversifier leur discours s'est appuyé sur un certain mode de production de connaissances que d'aucuns considèrent comme une innovation. Mais notons au passage que le Hezbollah qui intervient dans un tout autre contexte a lui aussi été très créatif dans ce domaine et a élaboré des moyens plus consistants (en particulier une chaîne de télévision). L'Etat Islamique aussi usé de la provocation pour tenter d'affoler et de diviser les opinions publiques de l'ennemi. Sur ce dernier point, c'est un échec assez flagrant.  

En quoi le combat sur les réseaux sociaux est-il  essentiel ? Comment les Etats européens pourraient lutter efficacement dans ce domaine ? Quels sont les manquements observés ?

Le combat sur les réseaux sociaux n'a de sens que s'il est offensif car la guerre de l'information, contrairement à la guerre militaire, est une guerre où celui qui attaque a l'initiative. Mais ce qui est vérifié dans le domaine géoéconomique ne l'est pas forcement dans le cas de figure de l'Etat Islamique. A partir du moment où la genèse même de cette mouvance terroriste soulève de nombreux débats, cet attaquant est vulnérable. Un attaquant est d'autant plus fort si sa raison d'être, son identité politique et son autonomie d'action sont incontestables. Ce n'est pas le cas de l'Etat islamique qui est sorti de nulle part dans un nuage de contradictions, d'incertitudes, de laissez faire et de compromissions diverses et variées. Ce flou est difficilement gérable sur le long terme même dans un monde virtuel comme Internet.

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