Bombardements sur Gaza : ces mesures sans précédent prises par Israël pour limiter les pertes civiles pendant une guerre urbaine<!-- --> | Atlantico.fr
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Une photo prise à Rafah, dans le sud de la bande de Gaza, montre de la fumée s'élevant au-dessus des bâtiments de Khan Yunis au loin, suite à un bombardement israélien le 5 février 2024.
Une photo prise à Rafah, dans le sud de la bande de Gaza, montre de la fumée s'élevant au-dessus des bâtiments de Khan Yunis au loin, suite à un bombardement israélien le 5 février 2024.
©SAID KHATIB / AFP

Différents dispositifs

Différents dispositifs sont mis en place pour essayer, dans la mesure du possible, de prévenir les civils pour limiter les pertes lors des frappes aériennes ou durant certaines interventions.

Pierre Berthelot

Pierre Berthelot

Pierre Berthelot est chercheur associé à l' IPSE et directeur de la revue Orients Stratégiques. 

 

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François Chauvancy

François Chauvancy

Le général François Chauvancy est consultant en géopolitique. Il est aussi l'auteur de « Blocus du Qatar : l’offensive manquée. Guerre de l’information, jeux d’influence, affrontement économique ».

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Atlantico : Quelle est la stratégie et quels sont les moyens déployés par Israël pour limiter les pertes civiles à Gaza dans le cadre de la guerre urbaine et qui sont sans précédent ?

Pierre Berthelot : L’armée israélienne communique et affirme avoir mis en place un certain nombre de mesures pour limiter les pertes civiles à Gaza. Les Israéliens expliquent qu'ils préviennent les populations civiles à l'avance quand ils vont cibler ou bombarder certains lieux afin qu’un maximum de civils puissent être évacués. Ils leur demandent de partir. Les civils sont avertis par exemple par SMS. Des tracts sont aussi largués par les airs et des messages sont aussi diffusés dans les médias.

Différents dispositifs sont mis en place pour essayer, dans la mesure du possible, de prévenir les civils pour limiter les pertes lors des frappes aériennes ou durant certaines interventions. Avant les attaques de l’armée israélienne, cela va permettre aux civils de fuir. Israël sera alors aussi en meilleure position car le fait de cibler des terroristes dans des zones civiles n’est pas du tout pareil au fait de les cibler dans une zone où il n’y plus uniquement que des terroristes et dans laquelle les civils ont quitté le périmètre.

Différents moyens sont donc mis en œuvre pour épargner le plus de civils à Gaza. Mais, à travers ces affirmations, le bilan des victimes civiles à Gaza reste très important. Plus de 1 % de la population gazaouie qui était présente il y a plus de trois mois est décédée et cela ne comptabilise pas les blessés.

Reste à savoir donc si ces mesures déployées sont si efficaces, notamment au regard de l’intensité des combats en zones urbaines. Le nombre important de victimes est lié à la densité de la population à Gaza et dans les sites ciblés.

François Chauvancy : En réalité, il n'y a pas beaucoup d'armées contemporaines occidentales qui ont été engagées dans des combats en zone urbaine d'une telle intensité comme à Gaza. En Irak, les Américains avaient tenté d’avertir la population via des tracts dans le cadre des opérations psychologiques. De fait, beaucoup de moyens sont utilisés par les armées occidentales aujourd'hui pour anticiper les pertes civiles et les éviter au maximum. Mais les soldats américains ou français ont été beaucoup moins confrontés à des opérations de si haute intensité dans des zones urbaines. La protection des populations civiles est intégrée dans les doctrines militaires. Les opérations doivent autant que possible limiter les pertes civiles à travers l’application du droit dans la guerre défini notamment par les conventions de Genève de 1949 et de 1977.

Je pense que les Israéliens ont parfaitement pris en considération l’objectif de protéger des civils dans une zone urbaine et densément peuplée. Ils ont intégré la menace militaire de l'adversaire se trouvant au milieu d'une zone urbaine. Dès le début de leur engagement à Gaza depuis le 7 octobre, ils ont été très clairs sur leur objectif. Ils ne souhaitaient pas frapper les populations civiles. Malgré les victimes à Gaza, il n’y a pas eu une intentionnalité première de cibler les civils. L’objectif est d’éliminer les membres du Hamas dans des zones urbaines densément peuplées à Gaza. Quand vous progressez dans un tel contexte opérationnel, Il est très difficile de ne pas causer des pertes civiles, d’autant plus quand l'ennemi combat au milieu de la population et s’est retranché dans les bâtiments civils, y compris en-dessous dans des tunnels.

L’armée israélienne a donc utilisé les moyens de communication via la radio, des tracts largués par avion. La diffusion de messages aux civils leur demandait d’évacuer les zones de combat y compris de zones apparaissant au fur et à mesure de la progression israélienne. Mais un certain nombre de civils ne veulent pas ou ne peuvent pas partir, mettant leur vie en danger. En revanche, il faut noter que le Hamas ne respecte pas les conventions de Genève en se battant au milieu des populations, en utilisant les civils comme boucliers humains pour se protéger des frappes ennemies.

Malgré le respect du droit international, malgré toutes les garanties et mesures de sûreté qu'elle veut apporter dans le conflit, une armée conventionnelle se trouve confrontée à la réalité de la guerre d’aujourd'hui. Pour atteindre l'adversaire, il lui faut combattre au milieu des civils le plus souvent en zone urbanisée. A moins que les belligérants acceptent de se battre en rase-campagne, situation bien difficile à entrevoir alors que les centres de pouvoir, logistiques… sont dans les villes et que 55% environ de la population mondiale y vit. 

Israël a donné plusieurs jours et a envoyé des avertissements aux civils pour évacuer plusieurs villes du nord de Gaza avant de lancer la principale attaque aérienne-sol contre les zones urbaines. Des pauses quotidiennes ont aussi été respectées afin de permettre l’évacuation des civils. Cela a-t-il réellement permis de sauver des vies ?

Pierre Berthelot : Sur le principe, cela permet d’épargner les civils et leur laisse le temps d'évacuer. Mais le problème fondamental auquel est confronté Israël est que le Hamas n'est pas une unité ou une armée régulière. Les membres du Hamas se fondent et « se noient » dans la population, au sein des civils à Gaza.

Le fait de laisser le temps aux civils d’évacuer pose une question du point de vue de l'efficacité militaire qui est discutable car il y a une forte chance qu'il y ait une partie des membres du Hamas qui fuient les zones de combats avec la population.

Au regard de l’évolution liée à l'intensité des combats en zone urbaine, l’armée israélienne n'a-t-elle pas changé de doctrine par rapport à la protection des civils ?

François Chauvancy :L’armée israélienne a tenu à avertir les habitants de Gaza de sa riposte après le 7 octobre. Elle a mis quinze jours à entrer dans Gaza. Durant ces deux semaines, des actions de préparation psychologique de la population civile ont été menées.

Cependant, les forces israéliennes ont dû évoluer depuis quatre mois sous la pression internationale mais surtout à celle des Etats-Unis. La guerre de l’image avec les vidéos de femmes et d’enfants blessés ou tués a eu un impact considérable également sur les opinions publiques.

Israël a donc déployé un grand nombre de mesures et de protocoles afin de limiter les pertes civiles à Gaza, en informant le mieux possible la population avant les frappes, en respectant des pauses pour les évacuations.  

Mais la question se pose aussi pour l’aide humanitaire. La vision occidentale de l'aide humanitaire en temps de guerre est qu’elle doit s’imposer aux opérations militaires avec pour effet cependant de prolonger les combats. Ce scénario tragique s’est déjà produit à Sarajevo et dans d’autres conflits par le passé. Elle est bien souvent en partie détournée par les combattants. Cela leur permet de tenir plus longtemps tune ligne de front surtout s’ils sont assiégés tout en maintenant une pression informationnelle internationale par la diffusion d’images qui suscite émotion et indignation.

De fait, ce que souligne ce conflit est la priorité donnée aux opérations militaires par Israël, donc au but opérationnel à atteindre par ses forces armées au détriment de toute action humanitaire. Or, les pays occidentaux ont pour leur part mis en priorité dans un conflit la protection des populations civiles avant les objectifs militaires d’une opération. 

L’armée israélienne a-t-elle également fait des progrès d’un point de vue de l’armement et des munitions utilisées qui visent plus directement les cibles prioritaires et font moins de victimes collatérales ?

Pierre Berthelot : Des progrès ont été faits, via la miniaturisation des engins qui sont lâchés. Les drones utilisés sont de plus en plus petits, donc par définition cela a des avantages et la charge d'explosifs est forcément aussi plus limitée. Les moyens électroniques sont de plus en plus performants pour cibler au plus près les membres du Hamas. Mais la difficulté repose sur l’objectif d'Israël qui souhaite éliminer un groupe armé qui est noyé dans la population et qui est intimement mélangée à celle-ci. La sophistication des armes et les progrès dans le domaine militaire permettent de faire moins de victimes civiles. Mais ce phénomène de densité de population et des hommes du Hamas pose problème lors des frappes.

L’armée israélienne est confrontée à un mélange de guerre conventionnelle, de guérilla et d'actes terroristes.

Il est extrêmement difficile de triompher, quelle que soit la sophistication des moyens armés.

En cas de conflit avec le Hezbollah, au Sud Liban, la configuration ne serait pas la même, la densité de la population civile serait moindre.

Au regard de ces évolutions et de ces efforts menés pour tenter de protéger un maximum la population civile, comment expliquer qu'Israël soit pointé du doigt alors que certains pays comme les Etats-Unis ou d'autres armées du monde ne respectent pas totalement ce processus visant à avertir les civils ?

Pierre Berthelot : Israël est davantage montré du doigt car cela est lié à la médiatisation du conflit. Les affrontements à Gaza sont davantage médiatisés. Il s’agit d’un élément essentiel qui joue en défaveur d'Israël. Cela a une forte résonance internationale. Derrière la question du conflit israélo palestinien, il y a un enjeu global qui concerne le monde arabo musulman et la question de Jérusalem.

La guerre au Yémen, qui est probablement pire, n’a pas eu le même impact dans les médias. Ce conflit n’a pas la même résonance internationale que le conflit à Gaza. Cette explication joue en défaveur d'Israël.

Malgré tous ces efforts pour démontrer et communiquer sur le fait qu’ils ne sont pas la pire armée, qu’ils multiplient les efforts et les stratégies pour limiter les pertes civiles, Israël est critiqué. Les efforts menés par l’armée israélienne montrent qu’elle n’est pas la pire armée au monde mais pas la plus éthique non plus comme elle l'affirme souvent.

François Chauvancy : Les armées occidentales font leur possible pour éviter qu'il y ait des dommages collatéraux trop importants dans les conflits. Dans le cadre d’une guérilla ou d’un conflit en zone urbaine, cet objectif est beaucoup plus difficile à respecter et l’application stricte du droit international bien illusoire. Le contexte géographique et politique de Gaza accentue cette problématique de limiter les pertes civiles. Ce territoire à la forte densité est enclavé entre Israël, l’Egypte et la Méditerranée. Aucun pays à la frontière ou éloigné ne souhaite accueillir les Gazaouis qui, de fait, ne peuvent pas véritablement fuir les combats.

En raison de ces différents facteurs, Israël est donc pointé du doigt et suscite un sentiment anti-israélien, notamment dans le monde arabe. Ce ressentiment s’exprime aussi dans une partie du monde occidental par une forte sensibilité humanitaire ou pour des questions de politique intérieure : orientations politiques, réactions de populations arabo-musulmanes présentes dans ces Etats.

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