Boissons énergisantes : un problème de santé publique largement sous-estimé<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Consommation
Neuf millions de Français boivent aujourd'hui des boissons énergisantes, comme du Redbull par exemple.
Neuf millions de Français boivent aujourd'hui des boissons énergisantes, comme du Redbull par exemple.
©Reuters

Le plein d'énergie... et de problèmes

Alors que les boissons énergisantes ont longtemps été interdites, la France a finalement accepté leur commercialisation en 2008, malgré les études alarmantes à leur égard. Focus sur les tenants et les aboutissants d'un produit plus dangereux qu'on ne le croit.

Irène Margaritis

Irène Margaritis

Irène Margaritis, Professeur des Universités, est diplômée d’un Doctorat ès Sciences de l’Université d’Aix Marseille II.

Elle a été Maître de Conférences de 1995 à 2002 à l’Université René Descartes (Paris V), puis à l’Université de Nice Sophia-Antipolis.

En qualité d’enseignant-chercheur, Irène Margaritis a centré ses  recherches sur les réponses adaptatives des systèmes antioxydants, modulés par les apports alimentaires et l’activité physique, étant elle-même sportive de niveau élevé : ski-alpinisme en très hautes altitudes, membre de nombreuses expéditions en environnements extrêmes pour National Geographic Society notamment.

Auteur d’un grand nombre de publications dans des revues internationales à comités de lecture en nutrition humaine, ainsi que d’ouvrages destinés aux médecins et étudiants.

Membre d’un laboratoire de recherche mixte du CNRS (UMR), diplômée, en 2001 de l’Habilitation à Diriger les Recherches de l’Ecole Doctorale de pharmacologie et biologie moléculaire de l’Université Nice Sophia-Antipolis, elle a été nommée Professeur des Universités en 2002.

Elle a été Doyen de la Faculté des Sciences du Sport de l’Université Nice Sophia-Antipolis de 2000 à 2006.

Irène Margaritis a été experte du Comité d’Experts Spécialisés en nutrition humaine de l’Agence française de sécurité sanitaire des aliments (Afssa) de 2000 à 2006, puis, plus récemment, de groupes d’experts à l’Efsa (Autorité européenne de sécurité sanitaire des aliments).

Irène Margaritis, est aujourd’hui chef de l’Unité d’évaluation des risques nutritionnels à l’Anses (depuis 2006, initialement Afssa).

Crédit photo « Anses/B.Holsnyder ».

Voir la bio »

Atlantico : Neuf millions de Français boivent aujourd'hui des boissons énergisantes comme Redbull, par exemple. Or, une canette de cette fameuse boisson contient l'équivalent de deux cafés bien serrés. L'excès de caféine ne peut-il pas être source d'une addiction à la boisson énergisante ?

Irène Margaritis : La définition de l’addiction est particulière. Il peut y avoir une dépendance psychologique à la caféine, c’est-à-dire un emballement qui fait que dès lors qu’on sent que notre état de vigilance augmente, on recherche le maintien de cet état. Cette quête peut pousser à consommer davantage de boissons énergisantes comme cela serait le cas avec le café.

La différence majeure entre café et boissons énergisantes c’est que l’on ressent une saturation au goût du café et que l’on est conscient de la quantité de caféine que l’on consomme. A contrario, avec les boissons énergisantes, on a l’impression de boire un soda tout à fait anodin, puisque c’est une boisson sucrée, facile à boire. De ce fait, nous n’avons pas conscience que nous consommons beaucoup de caféine. Ainsi, il est plus facile de boire des boissons énergisantes à l’excès que du café.

A fortiori, les gens qui consomment déjà du café peuvent aussi consommer des boissons énergisantes. Il peut donc y avoir en plus un effet de cumul qui  implique la consommation de l'équivalent de sept à huit cafés dans la journée alors que sans boisson énergisante on en aurait consommé moitié moins.

Les boissons énergisantes contiennent également une très grande quantité de sucre. On retrouve de 7 à 9 cuillères à thé de sucre par canette de 250 ml, soit 110 à 140 calories. Quels sont les risques sur la santé ? Les boissons énergisantes peuvent-elles provoquer le diabète ?

Bien que les boissons énergisantes existent aussi en version édulcorée, il est évident que ces boissons, comme tous les sodas d’ailleurs, contiennent beaucoup de sucre. Ces boissons contribuent à un fort apport calorique. Il s'agit dans ce cas de « calories vides », c'est à dire un apport important en calories mais avec peu d’éléments nutritifs. Bien qu’elles soient tout de même riches, elles ne sont pas enrichies avec des nutriments dont on a forcément besoin dans notre alimentation.

Il faut savoir que l’homme dispose d’un compteur inconscient d’apport calorique alimentaire. Les boissons ne sont pas prises en compte dans ce compteur inconscient. Ce postulat pourrait expliquer que les interactions entre obésité et sucre soient retrouvées spécifiquement avec les consommations de sodas, et pas forcément de sucre qui viennent d’autres sources alimentaires.

En conclusion, les boissons sucrés contribuent largement à un apport élevé de sucre et à une augmentation de l’apport calorique sur une journée, avec tous les risques associés : obésité, diabète, syndrome métabolique...

Les boissons énergisantes provoquent-elles d'autres effets néfastes manifestes ? Trouble du sommeil ? Accélération cardiaque ? Saute d'humeur ?

Oui, bien sûr, les boissons énergisantes provoquent d’autres effets néfastes.

Les troubles du sommeil sont liés au fait que ces boissons contiennent des apports élevés en caféine. Il faut savoir que même si l’on boit du café le matin et, une ou des boissons énergisantes au cours de la journée, la caféine reste dans le sang tellement longtemps pour que les concentrations de caféine ne sont pas redescendues à zéro au moment de l’endormissement. Ainsi, il y a un risque d’accentuation des troubles du sommeil. La tachycardie, c’est-à-dire l’augmentation du rythme cardiaque chez certaines personnes, est aussi associée à la consommation de café.

L’état d’anxiété peut être constaté, en moyenne, à partir de 210 mg de caféine par jour, ce qui correspond à deux ou trois cannettes de boissons énergisantes. Attention encore, ce chiffre est une moyenne. Chez certaines personnes une canette suffit à constater l’état d’anxiété alors que chez d’autres ayant consommé quatre canettes ou plus, il n’y a pas d’accentuation de l’état d’anxiété.

C’est pourquoi, il convient de noter qu’il existe des différences entre les personnes : nous ne sommes pas tous égaux vis à vis de la sensibilité à la caféine, en fonction de la période de notre vie et de la consommation habituelle de caféine

Les risques liés aux boissons énergisantes sont-ils, en définitive, sous-estimés ? Par qui principalement ? Les pouvoirs publics ? Le corps médical ?

Il  ne s’agit pas  de sous-estimation, mais plutôt de méconnaissance. L’Anses (Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail, ndlr) évalue les risques afin d’apporteraux pouvoirs publics un appui scientifique et technique pour que ces derniers prennent des décisions et mettent en place des dispositifs adaptés.

La communication permet également d’alerter le corps médical et la population des risques potentiels. La population doit savoir que le fait de consommer des boissons énergisantes n’est pas un acte anodin. Il ne s’agit pas de sodas classiques, même si la distribution se fait au même titre que les autres sodas dans le commerce. Pourtant, les deux types de boissons ne n’ont pas la même composition. Les consommateurs doivent être informés des conditions de consommation qui peuvent les exposer à un risque. 

Alors que le Redbull ont longtemps été interdit en France, il a finalement été commercialisé au printemps 2008, malgré les avis négatifs des scientifiques relatifs aux boissons énergisantes. La décision politique était-elle bien raisonnable ? S'est-on précipité sans appréhender tous les tenants et les aboutissants d'une telle consommation ?

L’Anses a rendu quatre avis  en mettant en garde contre les risques liés à la consommation de ces boissons. Les éléments dont on disposait à ce moment-là n’ont pas permis de démontrer un risque.

De ce fait, en l’absence de démonstration formelle d’un risque avéré, et malgré les suspicions de risques présentées dans les avis de l’Agence, la commercialisation des boissons énergisantes a été autorisée en 2008 sur le territoire français au regard du principe de libre circulation des marchandises légalement fabriquées ou commercialisées sur le marché européen.

La mise en place du système de nutri-vigilance en 2009 et le recueil de près de 250 cas, ont été la base de travail de l’Anses et ont permis de démontrer que le risque lié aux boissons énergisantes était loin d’être nul. L’Anses a identifié des situations à risques : concomitance avec l’alcool, avec des pratiques sportives surtout en période de forte chaleur, consommation par les enfants et les adolescents, par les femmes enceintes et allaitantes, etc. L’identification de ces situations a permis de mettre en évidence la réalité du danger.

Le but des travaux de l’Anses n’est pas d’interdire la vente de boissons énergisantes mais d’alerter la population sur les risques associés à la consommation de ces boissons et de recommander à certaines populations de la limiter, en particulier dans certaines conditions. 

Que faudrait-il mettre en œuvre pour déclencher une prise de conscience collective des troubles de la santé pouvant conduire jusqu'au décès du consommateur (problèmes cardiaques, neurologiques, respiratoires, etc.) en cas de consommation excessive de boissons énergisantes ?

C’est définitivement l’information auprès des professionnels de santé et des consommateurs qui est primordiale. Encore une fois, ce sont les modes de consommations qui posent problème, les quantités, les publics, les conditions…Il faudrait donc alerter sur ces modes de consommations qui posent problème !

L’Anses demande expressément que les pouvoirs publics mettent en œuvre des  actions qui encadrent le marché des boissons énergisantes, avec des campagnes  d’information destinées  aux médecins et aux consommateurs.

De plus, il conviendrait d’encadrer la promotion de ces boissons envers les populations sensibles,  et dans les contextes de consommation à risque (par exemple, en évitant d’associer ces boissons avec le sport ou la fête).

Propos recueillis par Marianne Murat

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !