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Blocage des prix : un outil idéal pour générer… la pénurie !
©GAIZKA IROZ / AFP

Mesure contre-productive

Depuis l’été 2021, l’inflation « oubliée » est de retour : les plus pessimistes annoncent 10% d’accroissement de l’indice des prix sur l’année 2022. Faisant suite aux chocs pétroliers, le dernier pic inflationniste date il est vrai de la seconde partie des « seventies »

Philippe Charlez

Philippe Charlez

Philippe Charlez est ingénieur des Mines de l'École Polytechnique de Mons (Belgique) et Docteur en Physique de l'Institut de Physique du Globe de Paris.

Expert internationalement reconnu en énergie, Charlez est l'auteur de plusieurs ouvrages sur la transition énergétique dont « Croissance, énergie, climat. Dépasser la quadrature du cercle » paru en Octobre 2017 aux Editions De Boek supérieur et « L’utopie de la croissance verte. Les lois de la thermodynamique sociale » paru en octobre 2021 aux Editions JM Laffont.

Philippe Charlez enseigne à Science Po, Dauphine, l’INSEAD, Mines Paris Tech, l’ISSEP et le Centre International de Formation Européenne. Il est éditorialiste régulier pour Valeurs Actuelles, Contrepoints, Atlantico, Causeur et Opinion Internationale.

Il est l’expert en Questions Energétiques de l’Institut Sapiens.

Pour plus d'informations sur l’auteur consultez www.philippecharlez.com et https://www.youtube.com/energychallenge  

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Qui a encore en mémoire les inflations à deux chiffres de 1974, 1975, 1979, 1980 et 1981 ? En dix ans, les prix à la consommation avaient été multipliés par trois tandis que l’inflation galopante coûta l’élection présidentielle à Valéry Giscard D’Estaing. Pratiquement disparue des radars depuis les années 1990, l’inflation a été depuis le début du XXIéme siècle en moyenne de 1,1% par an avec une valeur maximum de 2,8% en 2008 suite à la crise des subprimes.

Inflation depuis les trente glorieuses

(Source des données : France Inflation)

Même causes, mêmes effets. La crise énergétique apparue mi 2021 a été le déclencheur de cette nouvelle crise inflationniste. En un an les prix du pétrole se sont accrus de 65% tandis que ceux du gaz ont été multipliés par 5,4. Quant aux prix de l’électricité, indexés sur ceux du gaz, ils ont aussi atteint des niveaux stratosphériques. Cette crise, rappelons-le n’est pas conjoncturelle et liée à la reprise post COVID 19 comme l’auraient souhaité certains. Elle tient son origine dans une rupture structurelle offre/demande(1;2) reposant sur un accroissement de la demande électrique portée en grande partie par le gaz et une baisse de l’offre à la suite de l’effondrement des investissements dans l’Oil & Gas passés de 780 milliards de dollars en 2014 à 326 milliards de dollars en 2021. La guerre russo-ukrainienne est venue aggraver la situation en raréfiant des produits de première nécessité comme l’huile de tournesol et certaines céréales dont l’Ukraine est un producteur majeur. 

Après 30 ans d’inflation oubliée, la « valse des étiquettes » a fait son retour, poussant les consommateurs à modifier leurs habitudes. Dès janvier, la thématique du pouvoir d’achat a progressivement occupé les espaces médiatiques et politiques au point de devenir le principal sujet d’intérêt de la campagne présidentielle. Quelles politiques adopter face à ce nouveau défi sociétal ?

Les pays libéraux comme les Etats-Unis restent peu interventionnistes et laissent généralement le consommateur seul face au marché. Peu taxée l’énergie y est bien moins onéreuse qu’en Europe : essence deux fois moins chère et gaz cinq fois moins cher ! 

Depuis septembre, la majorité présidentielle a transformé lequoi qu’il en coûte pandémique en quoi qu’il en coûte énergétique. Entre fin septembre et début mars l’Etat a déboursé 22 milliards d’euros pour limiter l’augmentation des prix du gaz et de l’électricité. Le prolongement du bouclier énergétique sur le gaz, l’électricité mais aussi les carburants devrait atteindre un coût d’au moins 40 milliards d’euros sur la seule année 2022.  Rien de très différent dans le programme du RN souhaitant baisser la TVA sur l’énergie (diesel, essence, fuel domestique, gaz et électricité) de 20% à 5,5%. Baisse de recettes ou accroissement des dépenses, le bilan global reste identique. 

La Nouvelle Union populaire écologique et sociale (Nupes) propose de son côté de bloquer les prix de l'énergie (carburants automobiles, gaz, électricité) et de certains produits de base (fruits et légumes, épicerie courante, habillement). Ainsi, les tarifs du gaz seraient ramenés à hauteur des prix 2017, ceux de l'électricité et du pétrole au niveau de début 2021 (0,17€ le KWh, 1.3€ pour le diesel et 1.5€ pour le SP 95).

L’idée est cette fois de faire payer les distributeurs (grande distribution pour les biens de première nécessité, compagnies pétrolières pour le gaz et l’essence, EDF pour l’électricité) accusés par l’Extrême Gauche de profiter honteusement de la flambée des prix. 

Une vieille idée appliquée pour la première fois au cours de l’Histoire par la loi du « Maximum Général » votée par les députés de la Convention le 29 septembre 1793. En pleine terreur, le Maximum Général imposa le blocage des salaires et les prix. Son but était de satisfaire les « sans culottes » (gilets jaunes de l’époque) indignés par la flambée des denrées de première nécessité. Les résultats furent désastreux. Plutôt que de vendre à perte, les paysans dissimulèrent leurs récoltes. Aussitôt, les greniers et les magasins se vidèrent et s’ensuivit une terrible famine. Le gouvernement tenta bien de réagir par la force en appliquant des sentences très dures aux contrevenants, y compris la guillotine.

Les conséquences du Maximum Général sont d’autant plus d’actualité que nous vivons dans une économie ou les matières premières (énergétiques mais aussi agricoles) sont mondialisées. Prenons l’exemple du SP95(3). Son prix actuel de 1,90€ se décompose le la façon suivante :

Prix du pétrole brut0,63€

Marge raffinage0,08€

Marge de distribution0,17€

Taxes1,02€

En bloquant le prix SP95 à 1,50€ comme le projette Nupes, la marge du raffineur/distributeur serait érodée de 0,40€. Il serait donc amené à vendre son essence avec une perte de 0,15 €/litre. En dehors du fait que la vente à perte est interdite par la loi communautaire(4) (ce qui semble ne pas inquiéter Nupes !), quel industriel continuerait de vendre à perte ? Le résultat serait rigoureusement identique à celui de la loi du Maximum Général : les pompes à essence et les rayons concernés dans les magasins d’alimentation se videraient instantanément ! La réponse à la stupide loi envisagée par l’Extrême Gauche serait donc…la pénurie généralisée.

A moins que Monsieur Mélenchon, fièrement installé dans son nouvel habit de Premier Ministre, décide de remettre la guillotine sur la Place de la Concorde rebaptisée pour l’occasion « Nouvelle place de Grèves » ! Maximilien de Robespierre n’est-il pas l’une de ses idoles ?

(1) https://www.contrepoints.org/2020/11/18/384591-hydrocarbures-pourquoi-faut-il-continuer-leur-developpement

(2) https://www.contrepoints.org/2021/06/29/400554-prix-du-gaz-attention-danger

(3) https://www.bvoltaire.fr/?s=philippe+charlez

(4) https://www.economie.gouv.fr/dgccrf/Publications/Vie-pratique/Fiches-pratiques/revente-a-perte#:~:text=La%20revente%20%C3%A0%20perte%20est,commer%C3%A7ants%20doivent%20vendre%20leurs%20produits

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